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673. Le défendeur à l'action principale peut former de son côté une demande reconventionnelle (V. no 527.) Quelle sera l'influence de cette demande sur le taux de la compétence en premier ou en dernier ressort. L'art. 2 de la loi du 11 avril 1838 a résolu cette question qui avait soulevé beaucoup de controverses.

« Art. 2. Lorsqu'une demande reconventionnelle ou en compensation aura été formée dans les limites de la compétence des tribunaux civils de première instance en dernier Si l'une des demandes ressort, il sera statué sur le tout sans qu'il y ait lieu à appel. s'élève au-dessus des limites ci-dessus indiquées, le tribunal ne prononcera, sur toutes les demandes, qu'en premier ressort. Néanmoins, il sera statué en dernier ressort sur les demandes en dommages-intérêts lorsqu'elles seront fondées exclusivement sur la demande principale elle-même. »

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Il résulte de ce texte que la demande principale et la demande reconventionnelle seront envisagées séparément; on ne doit pas cumuler les chiffres des deux demandes pour déterminer la recevabilité de l'appel. Ainsi la demande principale s'élevant à 1,400 fr. et la demande reconventionnelle à 1,200, le jugement ne sera pas susceptible d'appel, parce que chaque demande prise isolément est inférieure à 1,500 fr.

Mais si la demande reconventionnelle est supérieure à 1,500 francs, non-seulement elle est sujette à appel, mais elle entraîne le droit d'appeler relativement à la demande principale inférieure à 1,500 fr., et qui, si elle eût été seule, eût été jugée en dernier ressort. Ainsi, je forme contre Paul une demande de 1,400 fr.; le jugement, s'il ne porte que sur cette demande, ne sera pas susceptible d'appel. Mais Paul a formé une demande reconventionnelle s'élevant à 1,800 francs. Alors le jugement tout entier peut être frappé d'appel, non-seulement du chef de la demande reconventionnelle de 1,800 francs, mais encore à l'égard de la demande principale de 1,400 francs (art. 2, 2o alin. de la loi de 1838). Cette disposition est facile à justifier; il est possible que les deux parties du jugement soient intimement liées l'une à l'autre; que les décisions sur la demande principale et la demande reconventionnelle soient fondées sur les mêmes motifs. Or, il serait très-rigoureux de maintenir la demande principale, quand il aurait été jugé sur l'appel de la demande reconventionnelle, que les motifs qui appuyaient l'une et l'autre demande étaient erronés. L'appel de l'une entraînera donc l'appel de l'autre.

Le 3o alinéa de l'art. 2 de la loi de 1838 contient une exception à la décision contenue dans le second. On suppose que la demande reconventionnelle du défendeur est une demande en dommages-intérêts, basée sur le préjudice causé par la demande principale; dans cette hypothèse, le chiffre de cette demande n'influera pas sur l'appréciation de la compétence en premier ou en dernier ressort. Ainsi Paul a formé contre Primus une demande en paiement de 1,400 fr.; Primus demande de son côté 2,000 francs de dommages-intérêts pour le tort que lui cause cette demande principale. Le jugement ne sera pas sujet à appel, malgré le chiffre de 2,000 fr. de la demande en dommages-intérêts. La loi a consacré par là une jurisprudence déjà antérieurement établie dans le silence des textes. Quel est le motif de cette solution? Pourquoi le législateur s'écarte-t-il, à l'égard des demandes de dommages et intérêts de la règle posée dans le § 2 de l'art. 2 de la loi de 1838? C'est qu'autrement il eût été trop facile

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à un défendeur qui aurait voulu gagner du temps, d'éluder les dispositions de l'art. 1er de la loi de 1838, et de rendre sujette à appel toute demande au-dessous de 1,500 fr., en formant lui-même une demande reconventionnelle en dommages-intérêts fondée sur le tort causé par la demande principale (1).

Mais la disposition spéciale du 3o alinéa de l'art. 2 de la loi de 1838 ne s'appliquerait pas aux demandes en dommages-intérêts fondées sur d'autres causes que la demande principale. Ces demandes rentreraient dans l'application du deuxième alinéa.

Les lois du 15 mai 1838 et du 3 mars 1840 reproduisent à peu près les mêmes dispositions pour les jugements des juges de paix et des tribunaux de com

merce.

674. * A qui appartient le droit d'interjeter appel d'un jugement? Le droit d'appeler appartient, en principe, aux parties de la cause, sans distinguer entre les parties principales et intervenantes. Il faut d'ailleurs que celui qui appelle soit lésé par le jugement; autrement son appel serait irrecevable faute d'intérêt. Si la partie est incapable, l'appel sera interjeté par son représentant légal; ainsi le tuteur interjettera appel pour le mineur ou l'interdit (V. no 682).

Les héritiers, successeurs irréguliers, légataires universels pourront interjeter appel du chef de celui auquel ils ont succédé. Quant aux ayants cause à titre particulier, comme un acheteur, un légataire à titre particulier, un cessionnaire (2), ils pourraient aussi interjeter appel d'un jugement rendu contre leur vendeur, contre le testateur, contre le cédant, et qui serait relatif à l'objet vendu ou légué, ou à la créance cédée.

On a contesté aux créanciers d'une partie le droit d'appeler au nom de leur débiteur. Mais l'art. 1166 (C. N.) me semble, au contraire, favorable à l'opinion généralement admise qui autorise les créanciers à exercer le droit d'appel appartenant à leur débiteur. Ce n'est pas là un droit exclusivement attaché à la personne (3).

La partie qui a le droit d'appeler peut-elle renoncer à ce droit? Cette question n'en est pas une lorsque le jugement a été rendu ; il est constant que la partie condamnée en première instance peut, sans attendre l'expiration des délais d'appel, se priver, par un consentement exprès, du droit d'interjeter appel; nous verrons même que ce consentement n'a pas besoin d'être toujours formel, que, dans bien des cas, l'acquiescement à un jugement est tacite, est indirect. Mais les parties pourraient-elles, dès le début ou dans le cours de l'instruction de première instance, et avant le jugement obtenu, renoncer valablement au droit d'appeler? Au contraire, ce droit est-il d'ordre public? Est-il un principe général de juridiction dont on ne puisse s'écarter à l'avance?

Cette renonciation, admise indistinctement et d'une manière absolue dans les lois romaines, paraît, au contraire, avoir été repoussée dans notre ancienne jurisprudence; on n'admettait point que les parties pussent d'avance renoncer à l'appel, et nonobstant leur renonciation, on les admettait toujours à attaquer

(1) C. de Limoges, 7 juillet 1860 (Dall. 1861, 2, 85).

(2) Cass., 15 mars 1847 (Dall., 1847, 1, 155).

(3) C. de Toulouse, 1er avril 1840.

nos 556 et 557).

Limoges, 28 avril 1841 (Dall., Rép., vo Appel,

par l'appel la sentence qui leur faisait grief. En est-il de même aujourd'hui ? Quelques auteurs l'ont encore prétendu. Quels peuvent être leurs motifs? D'abord, pour déclarer, comme on le faisait autrefois, que la renonciation à l'appel est sans effet, il faudrait reconnaître que la faculté d'appeler est d'ordre public; si elle n'est établie que dans un intérêt privé, il serait impossible de comprendre pourquoi les parties ne pourraient la perdre par leur volonté. Mais si, comme on le pensait autrefois, la faculté d'appeler est d'ordre public, il faudrait, pour être conséquent, aller jusqu'à décider qu'on ne peut s'en dépouiller même après coup; or, c'est ce que personne n'a jamais fait : on a toujours reconnu qu'immédiatement après la condamnation, la renonciation à l'appel est parfaitement valable. Le droit d'appeler n'est donc au fond que d'intérêt purement privé, et dès lors on ne voit pas pourquoi la renonciation ne serait pas aussi valable avant qu'elle l'est après.

Cependant, en abordant les textes, on a dit: l'art. 7 permet aux parties de renoncer d'avance à l'appel, lorsqu'elles sont devant un juge de paix ; l'art. 639 du Code de commerce leur donne la même faculté dans la procédure commerciale, soit devant les tribunaux de commerce, soit devant les tribunaux civils jugeant en ces mêmes matières. Et l'on a conclu, à contrario, que ces deux Codes accordant expressément cette faculté en justice de paix et devant les tribunaux de commerce, et ne s'expliquant point, au contraire, en ce qui touche les tribunaux d'arrondissement, cette faculté n'appartenait point aux parties dans les matières civiles, dans les matières ordinaires.

En général, les arguments à contrario ont assez peu de force, c'est une manière d'argumenter toujours incertaine et périlleuse; ici, surtout, il est bien facile d'en faire sentir la faiblesse. Ainsi, d'abord, dans l'art. 7, vous voyez, il est vrai, que les parties en justice de paix peuvent renoncer au droit d'appel.

Faut-il dire, avec les auteurs que, je combats, que si on l'a dit expressément pour les justices de paix, c'est que cela n'est pas vrai pour les tribunaux d'arrondissement; que c'est là une exception fondée sur la simplicité des affaires dévolues aux juges de paix, et pour les faire juger avec le plus de rapidité et le moins de frais possibles? Non, parce que la faculté accordée aux parties de renoncer à l'appel n'est pas l'objet direct et principal de l'art. 7, cette faculté n'est mentionnée que transitoirement, occasionnellement, en passant, dans l'art. 7 (v. n° 616).

De même, si, dans l'art. 639 du Code de commerce, nous trouvons cette faculté mentionnée formellement, nous n'en devons pas davantage conclure, à contrario, qu'on ait entendu, par le seul silence de la loi, la refuser dans les tribunaux civils. En effet, si l'art. 639 a décidé la question, c'est encore parce que dans le Code de commerce il existe un titre exprès, un titre spécial sur la compétence des tribunaux de commerce, titre dans lequel se place naturellement le droit de renoncer à l'appel, droit qui tient tout à fait à la matière de la compétence. Or, dans le Code de procédure, par inadvertance, ou autrement, on n'a pas inséré de titre général sur la compétence; c'est ainsi que cette disposition ne s'y trouve point comprise. Mais d'abord, dans le Code de procédure, vous verrez dans l'art. 1010, à propos de l'arbitrage, que les parties qui soumettent leur différend à des arbitres peuvent renoncer d'avance au droit d'appeler. Et il faut

convenir que, si ce droit ne leur appartenait pas devant la justice ordinaire, devant les tribunaux d'arrondissement, il y aurait dans la loi une singulière contradiction de vues. Comment! on pourrait investir des particuliers, des arbitres du choix des parties, du droit de les juger en premier et en dernier ressort, quelle que soit la valeur de l'intérêt de la contestation, et on ne pourrait pas conférer le même droit aux tribunaux ordinaires! La loi aurait plus de confiance dans les arbitres du choix des parties qu'elle n'en aurait dans les tribunaux institués par elle, qu'elle n'en aurait dans les juges ordinaires et publics! Cela est impossible.

Mais il faut remonter plus haut, et voir plus nettement la cause du silence du Code de procédure sur cette question, et l'impossibilité d'argumenter à contrario des deux articles cités. Le Code de procédure ne contient rien sur la compétence, déjà nous l'avons dit et regretté plus d'une fois : sans doute il aurait mieux valu, dans un titre préliminaire, réunir ces notions générales, éparses dans les lois, et qu'il faut maintenant réunir à grande peine, en feuilletant le Bulletin: mais toujours est-il que ces lois de compétence existent, et précisément parce que le Code de procédure est muet sur toutes ces questions, il faut nous reporter, pour les résoudre, aux lois dans lesquelles elles étaient déjà écrites et par lesquelles le Code de procédure doit se compléter. Or, la loi du 24 août 1790, titre IV, art. 6, s'exprimait ainsi : « En toutes matières personnelles, réelles ou mixtes, à quelque somme ou valeur que l'objet de la contestation puisse monter, les parties seront tenues de déclarer, au commencement de la procédure, si elles consentent à être jugées sans appel, et auront encore, pendant le cours de l'instruction, la faculté d'en convenir, auquel cas les juges de district prononceront en premier et dernier ressort. »

On dit dans cet art. 6: 1o que dans toute affaire civile les parties seront interpellées de déclarer, dès le début, si elles entendent ou non renoncer à l'appel; 2o que cette renonciation n'ayant pas été faite par elles dès le début, elles resteront libres de la faire volontairement, d'un commun accord, pendant toute la durée de l'instance, auquel cas, le jugement sera en premier et dernier ressort.

Quant à l'obligation imposée aux parties de déclarer à l'avance si elles entendent renoncer à l'appel, quarante ou cinquante ans de désuétude complète l'ont absolument abrogée; depuis fort longtemps, la première partie de cet article ne s'exécute plus, on n'interpelle pas les parties de déclarer à l'avance si elles veulent ou ne veulent pas renoncer à l'appel. Mais quant à la renonciation facultative, que ce même article consacre dans une disposition distincte, et de la manière la plus formelle, il n'y a aucune raison de croire qu'elle soit maintenant abrogée. Cet article doit donc produire tout son effet en ce qui concerne la renonciation facultative. On s'explique dès lors pourquoi la loi, qui a parlé de la renonciation à l'appel, en ce qui concerne les juges de paix, les arbitres et les tribunaux de commerce, n'en a pas parlé pour les tribunaux civils, pour la compétence desquels elle s'est référée à la loi organique de 1790.

En résumé, je ne considère pas la question comme douteuse, et il faut, je crois, tenir pour certain que la renonciation à l'appel peut être faite valablement parles parties dès l'origine du procès, et pendant toute la durée de l'instance;

qu'elle sera alors aussi complète, aussi valable qu'elle pourrait l'être si elle était faite après coup (1).

* Mais faut-il admettre, à l'inverse, que les parties pourraient renoncer au premier degré de juridiction, et saisir directement le tribunal d'appel, par exemple la Cour impériale? Je ne le pense pas. Aucun texte n'admet ou ne suppose cette faculté de renoncer au premier degré de juridiction. Au contraire, l'art. 464 (C. pr.) défend de former en appel aucune demande nouvelle. L'art. 473 du même Code permet bien aux Cours impériales et autres tribunaux d'appel de statuer sur le fond qui n'a pas été jugé en première instance, mais seulement dans certains cas et avec certaines conditions. Donc, en règle générale, ce droit ne doit pas leur être accordé.

TRENTIÈME LEÇON

DE L'APPEL, ETC. (suite).

675. Nous diviserons ainsi l'examen de ce titre : § 1, du délai d'appel (art. 443 à 452, et art. 455); § 2, quels jugements sont susceptibles d'appel (art. 453 et 454); § 3, de l'acte d'appel et de ses effets (art. 456 à 460); § 4, de l'instruction sur l'appel (art. 461 à 466); § 5, du jugement sur l'appel et de ses effets (art. 467 à 472); enfin § 6, du droit d'évocation (art. 473).

§ 1. Du délai d'appel.

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Art. 443. Le délai pour interjeter appel sera de deux mois : il courra, pour les jugements contradictoires, du jour de la signification à personne ou domicile; Pour les jugements par défaut, du jour où l'opposition ne sera pas recevable. L'intimé pourra néanmoins interjeter incidemment en appel en tout état de cause, quand même il aurait signifié le jugement sans protestation. »>

Le délai pour interjeter appel a varié de la manière la plus sensible dans les différents systèmes de législation admis relativement à l'appel. Ainsi, dans l'origine, et en remontant seulement à l'appel dans le droit français, dans l'origine, lorsque l'appel n'était autre chose que le défi adressé par la partie à l'un de ses juges, qu'une provocation à un combat judiciaire, l'appel devait être interjeté immédiatement, à la face même du juge qui venait de prononcer la sentence; il ne fallait même point attendre que tous les juges eussent prononcé; la partie défiait au combat le premier juge qui opinait contre elle (V. no 667).

li parait que cette coutume d'interjeter l'appel immédiatement, à l'audience, à la face du juge, survécut assez longtemps à l'abolition de la pratique barbare des combats judiciaires. Alors même que saint Louis eut organisé un véritable appel, l'appel dut encore, pendant un certain temps, être interjeté sans délai, avant même de sortir de l'audience.

Plus tard, on se jeta dans un excès tout contraire; on appliqua à la faculté

(1) C. de Rennes, 24 juillet 1812 (Dall., Rép., vo Appel, no 223. Cass., Rej., 26 juin 1855 (Dall., 1856, 1, 9).

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