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prononcer une condamnation à des dommages-intérêts, sans en fixer le chiffre quant à présent, et ordonner que l'état lui en serait présenté plus tard. Il peut être utile au demandeur d'obtenir ce premier jugement pour avoir une hypothèque judiciaire, sans attendre les lenteurs qu'entraînera la détermination des dommages et intérêts. De plus, cette liquidation nécessite peut-être des enquêtes, des expertises, des examens de livres et registres, en un mot, des opérations dispendieuses dont les frais seraient faits en pure perte, si l'on commençait par procéder à ces modes d'instruction, et si, plus tard, la créance des dommagesintérêts n'était pas reconnue.

Les art. 523, 524 et 525 n'ont trait qu'aux dommages-intérêts dont le tribunal n'a pas fixé le chiffre dans le jugement qui a admis en principe la créance des dommages-intérêts. Ces articles règlent la procédure à suivre pour arriver à leur liquidation. Le Code n'a fait à peu près que reproduire à cet égard les dispositions du titre XXXII de l'ordonnance de 1667.

« Art. 523. Lorsque l'arrêt ou le jugement n'aura pas fixé les dommages-intérêts, la déclaration en sera signifiée à l'avoué du défendeur, s'il en a été constitué; et les pièces seront communiquées sur récépissé de l'avoué, ou par la voie du greffe. »

Celui qui a droit aux dommages-intérêts en vertu du jugement ou de l'arrêt qui les a accordés sans les liquider, c'est-à-dire sans en fixer le chiffre, déclarera quels dommages-intérêts il entend réclamer, et fera signifier cette déclaration à l'avoué du défendeur, s'il en a constitué un; sinon, par exploit d'huissier.

S'agit-il de l'avoué du défendeur dans l'instance qui a été terminée par le premier jugement? L'art. 4 du titre XXXII de l'ordonnance de 1667 disait positivement que les procureurs qui avaient occupé sur les instances principales seraient tenus d'occuper dans celle de liquidation des dommages-intérêts, sans nouveau pouvoir; et les commentateurs de l'ordonnance (1) nous apprennent que cette disposition n'était que l'application d'une règle générale écrite dans l'art. 7 de l'ordonnance de Roussillon, de 1563. Les rédacteurs du Code de procédure ne se sont pas expliqués à cet égard dans le titre qui nous occupe. Il faut donc se référer à la règle posée dans l'art. 1038 du Code de procédure. L'avoué qui a occupé sur l'instance principale occupera sans nouveau pouvoir sur l'instance en liquidation des dommages et intérêts, qui n'est que l'exécution du premier jugement, pourvu que cette exécution ait lieu dans l'année de la prononciation du jugement primitif.

Si le chiffre des dommages-intérêts réclamés est appuyé de pièces justificatives, elles seront communiquées dans les formes ordinaires (V. no 414).

« Art. 524. Le défendeur sera tenu, dans les délais fixés par les art. 97 et 98, et sous les peines y portées, de remettre lesdites pièces, et, huitaine après l'expiration desdits délais, de faire ses offres au demandeur, de la somme qu'il avisera pour les dommages-intérêts, sinon, la cause sera portée sur un simple acte à l'audience, et il sera condamné à payer le montant de la déclaration, si elle est trouvée juste et bien vérifiée. »

Si le défendeur accepte le chiffre des dommages-intérêts proposé par le de

(1) V. Pothier Traité de la Procédure civile, partie IV, ch. 1, § 6, art. 2: et Jousse sur l'art. 4 du titre XXXII de l'ordonnance de 1667.

mandeur dans la déclaration faite conformément à l'article précédent, tout est terminé. S'il le conteste, il doit faire lui-même des offres de la somme qu'il croit due pour les dommages-intérêts auxquels il a été condamné. Ces offres ne sont point des offres réelles qu'on soit tenu d'effectuer dans la forme et avec les conditions prescrites par les art. 1257 et suivants du Code Nap. et 812 et suivants du Code de procédure. L'offre dont il est question dans notre art. 524 se fait par une déclaration signifiée au demandeur dans la huitaine qui suit l'expiration du délai fixé par les art. 97 et 98.

Le demandeur, en signifiant la déclaration qui contient le chiffre des dommages-intérêts qu'il réclame, a dû communiquer ses pièces justificatives; le défendeur, qui les a reçues en communication, doit les restituer dans le délai fixé par les art. 97 et 98 et sous les peines y portées. Les art. 97 et 98, auxquels notre article renvoie, fixent bien un délai, mais ils ne font mention d'aucune peine; c'est à l'art. 107 que notre article a voulu se référer pour la peine à appliquer en raison de la non-constitution des pièces. En effet, l'art. 519 du projet, qui est aujourd'hui l'art. 524, renvoyait pour les peines aux art. 102 et 103, dont les dispositions forment aujourd'hui l'art. 107.

«Art. 525. Si les offres contestées sont jugées suffisantes, le demandeur sera condamné aux dépens, du jour des offres. »

Le débiteur ne sera d'ailleurs libéré que par la réalisation de ces offres. C'est dans les principes du droit civil que le tribunal puisera les règles d'appréciation des dommages-intérêts. Il pourrait avoir recours à des enquêtes et à des expertises, si les pièces et documents qui lui sont présentés ne semblaient pas suffisants.

TITRE III

DE LA LIQUIDATION DES FRUITS (C. D.).

→→→ 786. * Vous avez vu sur l'art. 129 dans quels cas il pouvait y avoir lieu à restitution de fruits, quels fruits devaient être restitués en nature, quels fruits en argent (V. no 274). Le jugement qui ordonne une restitution de fruits ne les liquide pas. Il renvoie les parties à compter, conformément aux termes de l'art. 526.

« Art. 526. Celui qui sera condamné à restituer des fruits, en rendra compte dans la forme ci-après, et il sera procédé comme sur les autres comptes rendus en justice. »

Notre article renvoie au titre suivant qui traite de la procédure des redditions de comptes. Et les tribunaux ne pourraient procéder autrement (1).

(1) Cass., 20 décembre 1819, et 26 février 1838 (Dall. Rép., vo Compte, no 71).

TITRE IV

DES REDDITIONS DE COMPTES (C. D.).

787. On appelle compte un état comparatif et détaillé de recettes et de dépenses présenté par celui qui a été chargé d'une administration. Celui qui présente cet état s'appelle le rendant compte, celui à qui il est présenté l'oyant compte, et, pour abréger, on dit : le rendant, l'oyant. La reddition de compte est précisément la présentation de l'état ; et, si le rendant a reçu plus qu'il n'a déboursé, cet excédant de recettes sur les dépenses, dont il reste débiteur, se nomme le reliquat.

En général, on rend compte de l'administration du bien d'autrui. Ainsi le mandataire, le tuteur, l'administrateur provisoire de celui dont l'interdiction est demandée (art. 497, C. N.), le curateur à succession vacante, etc., rendent compte de la gestion des biens appartenant au mandant, au pupille, à l'interdit, à la succession. Quelquefois, cependant, un propriétaire doit rendre compte de l'administration de ses propres biens: cette obligation est imposée à l'héritier bénéficiaire, au saisi constitué gardien de sa propre chose.

Les règles que nous allons examiner se réfèrent, en général, à toutes les redditions de comptes. Cependant on reconnaît qu'elles ne sont point applicables à certains comptes d'une nature particulière; ainsi les comptables de deniers publics doivent suivre les règles spéciales tracées par la loi du 5 septembre 1807. En matière commerciale, on n'applique pas celles des règles de notre titre qui supposent le ministère des avoués.

788. Nous diviserons la matière de ce titre en trois parties; nous examinerons: 1o la compétence en matière de comptes (art. 527, 528); 2° les formalités à suivre pour arriver à la reddition de comptes (art. 529 à 539) ; 3° les règles relatives au jugement qui apure les comptes, et aux effets de ce jugement (art. 510, 541, 542).

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De la compétence en matière de comptes (art. 527, 528).

« Art. 527. Les comptables commis par justice seront poursuivis devant les juges qui les auront commis; les tuteurs devant ́les juges du lieu où la tutelle a été déférée; tous les autres comptables devant les juges de leur domicile. »

Sous l'ordonnance de 1667, on ne distinguait, au point de vue de la compétence, que deux classes de comptables, suivant qu'ils avaient été nommés ou non par justice. En règle générale, ils devaient être assignés en reddition de comptes devant le tribunal de leur domicile. Toutefois les comptables commis par justice pouvaient être assignés devant le tribunal qui les avait commis. Mais ce n'était là qu'une faculté accordée par l'art. 2 du titre XXIX de l'ordonnance de 1667; l'oyant pouvait n'en pas user et actionner le comptable devant le tribunal du domicile de ce dernier. Quelques auteurs, s'appuyant sur des arrêts

antérieurs à l'ordonnance, prétendaient en outre que les tuteurs devaient rendre compte devant le juge du lieu où la tutelle avait été déférée; mais cette opinion était généralement repoussée, sous l'empire de l'ordonnance de 1667, comme contraire au texte précis de l'art. 2, qui n'admettait pas cette distinction. Notre art. 527 a tenu compte de cette ancienne doctrine. Il reconnaît trois sortes de comptables, au point de vue de la compétence des tribunaux qui statueront sur les redditions de comptes: 1° les comptables commis par justice; 2o les tuteurs; 3° tous autres comptables. La règle générale de compétence, actor sequitur forum rei, ne s'applique qu'aux derniers.

Cette règle reçoit deux exceptions: d'après l'une, les comptables commis par justice seront assignés devant le tribunal qui les aura commis; d'après l'autre, les tuteurs seront poursuivis devant le tribunal du lieu où la tutelle a été déférée ; la première de ces exceptions est reproduite de l'art. 2 du titre XXIX de l'ordonnance de 1667; pour la seconde, on fait revivre une jurisprudence antérieure à l'ordonnance. Seulement l'ordonnance de 1667 (tit. XXIX, art. 2) ne donnait à l'oyant qu'une faculté de citer le comptable commis par justice devant le tribunal qui l'avait commis, mais il pouvait, sans user de cette faculté, assigner ce comptable devant le tribunal de son domicile, conformément aux principes généraux. Au contraire, l'art. 527 indique impérieusement trois sortes de compétences; ce n'est plus facultativement, c'est nécessairement que l'oyant compte poursuivra le comptable commis par justice devant le juge qui l'aura commis, et le tuteur devant le juge du lieu où la tutelle aura été déférée.

L'héritier bénéficiaire ne peut être considéré comme un comptable commis par justice. La qualité d'héritier bénéficiaire émane de la volonté même de l'héritier manifestée par sa déclaration au greffe dans la forme de l'art. 793 du Code Napoléon; elle n'émane pas d'un jugement. Faut-il cependant l'assigner devant le tribunal de son domicile comme tous autres comptables? Je ne le pense pas; il me paraît raisonnable de porter la demande de compte d'une succession bénéficiaire devant le tribunal de l'ouverture de la succession, par un argument d'analogie tiré de l'art. 993 C. pr., qui ordonne que, dans le cas prévu par les art. 992 et 993, l'héritier bénéficiaire présentera caution au greffe du tribunal de l'ouverture de la succession.

→ 789. « Art. 528. En cas d'appel d'un jugement qui aurait rejeté une demande en reddition de compte, l'arrêt infirmatif renverra, pour la reddition et le jugement du compte, au tribunal où la demande avait été formée, ou à tout autre tribunal de première instance que l'arrêt indiquera.

« Si le compte a été rendu et jugé en première instance, l'exécution de l'arrêt infirmatif appartiendra à la cour qui l'aura rendu, ou à un autre tribunal qu'elle aura indiqué par le même arrêt. »

Cet article a eu pour but de décider une question de compétence controversée dans l'ancien droit. Mais, pour bien saisir les termes de la question, vous devez avoir présentes à l'esprit les dispositions de l'art. 472 (C. de pr.). D'après cet article, la connaissance des difficultés relatives à l'exécution d'un jugement de première instance, confirmé par la cour impériale, appartient au tribunal qui a rendu le jugement confirmé. Mais, si la cour infirme le jugement de première instance, elle retient la connaissance de l'exécution, ou elle la renvoie à un autre

tribunal d'arrondissement. La loi ne veut pas que les juges dont la décision a été infirmée connaissent eux-mêmes de l'exécution; on craint qu'ils ne cherchent, dans l'exécution, à revenirà leur première décision, ou au moins qu'un soupçon ne s'élève à cet égard sur leur impartialité.

Notre art. 528 distingue avec soin les jugements qui ordonnent un compte de ceux qui statuent sur la reddition du compte. Lorsqu'un tribunal reconnaît qu'il y a un compte à rendre, une telle décision ne peut rien préjuger sur les difficultés du compte, sur la question de savoir qui sera reconnu créancier, ou débiteur par suite de la reddition du compte. Au contraire, les juges qui ont statué sur la reddition de compte se sont prononcés, ont reconnu les prétentions de l'une des parties, et l'ont déclarée créancière de son adversaire.

Voyons maintenant où cette distinction a conduit le législateur, et examinons à cette occasion les différentes décisions qui ont pu émaner tant du tribunal d'arrondissement statuant en premier ressort que de la cour impériale.

Parlons d'abord des jugements qui se bornent à ordonner une reddition de compte. Si les premiers juges ont ordonné qu'il serait rendu compte, et que, sur l'appel, la cour confirme leur jugement, elle devra renvoyer devant les premiers juges pour statuer sur le compte lui-même. Cette solution incontestable n'est que l'application des premiers mots de l'art. 472.

Si les premiers juges ont rejeté la demande d'un compte, et que leur décision soit confirmée en appel, le procès est terminé. Il en est de même, si la cour impériale infirme le jugement qui ordonnait un compte.

Supposons enfin que les premiers juges ont rejeté la demande d'un compte, et que la cour impériale, infirmant leur jugement, a ordonné que le compte serait rendu, alors s'applique le premier alinéa de l'art. 528, qui modifie l'art. 472. En effet, en cas d'infirmation du jugement dont est appel, l'art. 472 ordonne à la cour de garder la connaissance de l'exécution ou de la renvoyer à un autre tribunal que celui qui a rendu le jugement infirmé. Dans l'art. 528, 1er alinéa, la loi, au contraire, permet à la cour de renvoyer au tribunal dont elle a infirmé la décision pour procéder à la reddition et au jugement du compte. On aperçoit facilement le motif de cette dérogation à la règle de l'art. 472. Le jugement qui statue purement et simplement sur la demande d'un compte, même pour la rejeter, peut n'engager nullement l'opinion des premiers juges sur les débats et les difficultés de la reddition de compte, s'il doit être définitivement rendu. Quoique les juges aient d'abord rejeté la demande d'un compte, ils peuvent être complétement à l'abri de tout soupçon de partialité relativement à l'exécution de l'arrêt infirmatif qui ordonne le compte, c'est-à-dire relativement à la reddition et au jugement du compte lui-même. La cour sera d'ailleurs juge des circonstances, et, si elle peut renvoyer l'exécution de l'arrêt infirmatif qui ordonne le compte au tribunal dont elle a infirmé le jugement, l'art. 528 l'autorise aussi à la renvoyer à un autre tribunal.

Jusqu'ici nous ne nous sommes occupés que des jugements qui statuent sur la demande d'un compte. Le deuxième alinéa de l'art. 528 qui suppose un jugement sur la reddition du compte, c'est-à-dire sur les difficultés que les comptes soulèvent entre les parties, reproduit complétement la doctrine de l'art. 472, à l'explication duquel je vous renvoie (V. nos 716, 717).

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