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Ainsi, on pourra saisir en vertu de toute dette liquide constatée par un titre exécutoire, en vertu de tout titre exécutoire où l'on verra nettement la quotité de la dette. Mais s'il s'agit, par exemple, d'une dette de denrées, de tant de sacs de blé, de tant de muids de vin, alors la dette est liquide sans doute, et cette qualité suffit pour autoriser à saisir. Mais elle ne suffit pas pour autoriser à vendre; et, pour passer de la saisie à la vente, il faudra, au préalable, avoir fait évaluer, apprécier en argent, la valeur de la dette dont la quotité n'était connue qu'en espèces.

Tel est le principe commun à l'art. 2213 (C. N.), spécial à la saisie d'un immeuble, et à l'art. 551 (C. de proc.), applicable à toute espèce de saisies. Seulement, vous trouverez entre ces deux textes une légère différence d'expressions. Dans l'art. 2213, on vous dit que, si la dette est en espèces non liquides, c'està-dire si on connaît le quantùm en espèces, mais non évaluées en argent, la poursuite est valable, mais que l'adjudication ne peut être faite qu'après la liquidation. Le Code Napoléon permet donc non-seulement de saisir, mais de procéder à toutes les poursuites, sauf l'adjudication qui ne peut avoir lieu avant la liquidation. Au contraire, l'art. 551 permet seulement de saisir ; c'est-à-direque, la saisie une fois pratiquée, il faudra surseoir non-seulement à la vente, mais même à toutes les procédures intermédiaires qui suivent la saisie et précèdent la vente; il y faudra surseoir tant que la quotité pécuniaire ne sera pas déterminée. C'est là une dérogation qui résulte expressément des termes de l'art. 551 comparé à l'art. 2213.

La nécessité de connaître d'abord la quotité précise de la dette pour pratiquer une saisie, et sa valeur pécuniaire exacte pour passer outre aux poursuites après la saisie, se rattache à plusieurs motifs.

D'abord, le débiteur contre qui on exécute doit toujours pouvoir arrêter à l'in stant les poursuites, en payant ou en consignant la totalité de ce qu'il doit. De là, la nécessité de faire liquider, déterminer nettement ce qu'il doit, avant d'en venir contre lui à des mesures de rigueur.

En second lieu, d'après l'art. 622, la vente des meubles doit s'arrêter, dès que le prix des meubles déjà vendus atteint le montant de la somme nécessaire pour satisfaire le créancier. De là, la nécessité de faire liquider la dette en argent, avant de passer outre à la vente, sans quoi on s'exposerait à vendre plus qu'il ne faut.

Enfin, d'après l'art. 2242 (C. N.), le débiteur menacé d'une saisie immobilière peut obtenir un sursis, en justifiant qu'une année de revenu net de ses immeubles suffit pour acquitter la dette en principal, intérêts et frais. Ce sursis est pour lui de la plus haute importance; mais, pour qu'il l'obtienne en justifiant de la suffisance de son revenu, il faut qu'au préalable la dette, pour laquelle on l'a saisi, ait été liquidée en argent.

Ainsi, il y a plusieurs motifs également graves, également clairs qui justifient la nécessité de la liquidation pécuniaire dont parlent les art. 2213 et

551.

807. Des motifs de même nature, d'une nature plus grave encore, à raison de l'importance du mode d'exécution, vous expliqueront aisément la disposition de l'art. 552.

«Art. 552. La contrainte par corps, pour objet susceptible de liquidation, ne pourra être exécutée qu'après que la liquidation aura été faite en argent. »

Ceci s'explique par l'art. 798 du Code de procédure, soit par l'art. 24 de la loi du 17 avril 1832. D'après l'art. 798, le débiteur frappé d'une contrainte par corps obtient son élargissement en consignant dans les mains du geôlier la totalité de ce qu'il doit ; il est donc de la plus haute importance qu'avant de pratiquer la contrainte, on ait nettement constaté le montant de la dette. L'art 24 de la loi du 17 avril 1832 est même venu introduire une disposition de faveur dans ce qui n'était que de stricte justice : désormais, pour ce qui concerne les dettes civiles, le débiteur frappé d'une contrainte par corps obtiendra son élargissement en consignant non pas même la totalité, mais seulement le tiers de la dette pour laquelle il est emprisonné, et en donnant caution pour le surplus. Or, pour que cette disposition favorable ne puisse pas être entravée par des difficultés d'exécution, il est essentiel que la quotité de la somme, pour garantie de laquelle est pratiquée la contrainte par corps, ait été nettement déterminée (V. l'explication de l'art. 798).

La contrainte par corps pour objet SUSCEPTIBLE de liquidation. En effet, la nature des cas qui donnent souvent lieu à l'emploi de la contrainte par corps nécessite, au principe de l'art. 542, de fréquentes exceptions. Ainsi, en parcourant les art. 2059 et suivants du Code Napoléon, dans lesquels sont énumérés, non pas tous les cas, mais les principaux cas où la contrainte par corps est applicable, vous verrez que, dans quelques-unes de ces espèces, l'objet de la contrainte par corps est susceptible de liquidation, que l'on sait précisément pour quelle somme, pour quelle dette, le débiteur est incarcéré. Dans d'autres cas, au contraire, la nature du fait, l'espèce de l'engagement pour sanction duquel la loi prononce la contrainte par corps, se refuse impérieusement à toute espèce de liquidation, par exemple dans le cas où la contrainte est pratiquée contre un notaire, contre un officier ministériel pour restitution des titres qui lui ont été confiés; dans ce cas et autres pareils, énumérés dans l'art. 2060 du Code Napoléon, il est clair qu'il n'y a pas lieu à liquidation préalable, et que, par conséquent, les art. 798 du Code de procédure et 24 de la loi de 1832 sont inapplicables. C'est à des cas de cette nature que notre article fait allusion, quand il exige la liquidation préalable à l'emploi de la contrainte, lorsqu'il s'agit d'un objet susceptible de liquidation.

→ 808. Les art. 553 et 554 ont pour objet de déterminer, non pas les formes générales des divers modes d'exécution autorisés, mais la compétence des tribunaux devant lesquels pourront être portées les difficultés que soulève l'emploi de ces voies d'exécution.

En principe, la connaissance des difficultés relatives à l'exécution d'un jugement appartient au tribunal de qui ce jugement émane. Vous avez trouvé ce principe dans l'art. 472, au titre de l'appel; vous y avez vu en même temps des modifications assez nombreuses dans lesquelles la loi attribue la connaissance de l'exécution à un tribunal autre que celui qui a rendu ce jugement. Tantôt, par exemple, ce sera la cour impériale qui a infirmé la sentence, tantôt un second tribunal auquel la cour impériale, après arrêt infirmatif, aura spécialement renvoyé l'exécution; quelquefois enfin, comme en cas d'expropriation forcée d'un

immeuble, la loi attribue directement la connaissance de l'exécution à un tribunal déterminé d'avance, au tribunal de la situation de l'immeuble. Mais, à part cette exception ou autres de même nature (V. notamment l'art. 794) indiquées sur l'art. 472, en principe, la connaissance des difficultés d'exécution d'un jugement appartient au tribunal qui a rendu ce jugement.

Mais, d'après l'art. 442, les tribunaux de commerce, étant des juges d'exception et d'attribution, n'ont pas qualité pour connaître de l'exécution de leurs jugements. Les questions d'exécution n'ont rien de commercial; les tribunaux civils, par la nature de leurs travaux, de leurs habitudes judiciaires, par l'autorité qui d'ailleurs leur appartient sur les officiers ministériels, peuvent seuls connaître utilement des difficultés d'exécution que soulève le jugement même d'un tribunal de commerce.

Art. 553. Les contestations élevées sur l'exécution des jugements des tribunaux de commerce seront portées au tribunal de première instance du lieu où l'exécution se poursuivra. »

L'art. 553 confirme la disposition de l'art. 442, et, de plus, il vient remplir la lacune que laissait cet article; l'art. 442 refusait aux tribunaux de commerce la connaissance des questions d'exécution, mais il ne disait point à quel tribunal ces questions seraient portées. Elle ne le sont pas devant le tribunal civil dans le ressort duquel siège le tribunal de commerce dont émane le jugement, ce serait là une suite de lenteurs et de frais parfaitement inutiles. En effet, ce tribunal civil, quoique placé au même lieu que le tribunal de commerce qui a jugé, n'a par lui-même aucune connaissance du jugement, et, par conséquent, aucune qualité pour connaître les difficultés d'exécution de ce jugement. Les difficultés relatives à l'exécution des sentences des tribunaux de commerce seront portées, dans tous les cas, devant le tribunal dans le ressort duquel l'exécution se poursuit. Il y a en faveur de la compétence de ce tribunal une raison de célérité et, par suite, d'économie qui lui fait attribuer la connaissance des difficultés d'exécution, sauf en matière de saisie immobilière (art. 2210, C. N.) et d'emprisonnement (art. 794, Pr.).

809. L'art. 554 contient une autre exception au principe que la connaissance de l'exécution appartient au tribunal qui a rendu le jugement. Mais cette exception est moins importante que celle de l'article précédent.

« Art. 554. Si les difficultés élevées sur l'exécution des jugements ou actes requièrent célérité, le tribunal du lieu y statuera provisoirement, et renverra la connaissance du fond au tribunal d'exécution. »

En effet, il arrive fréquemment que, dans le cours d'une voie d'exécution, il s'élève de ces incidents qui exigent une prompte solution, promptitude absolument impossible s'il fallait porter ces difficultés devant le tribunal, souvent éloigné, auquel appartient la connaissance de l'exécution. De là, l'attribution exceptionnelle au tribunal du lieu pour connaître de ces incidents, non pas d'une manière complète et définitive, mais d'une manière provisoire, c'està-dire d'en connaître de manière à ce que l'une des parties ne puisse pas trouver - dans ces incidents un moyen d'arrêter à chaque pas la marche de l'exécution.

Mais le tribunal du lieu n'est pas pour cela compétent pour le fond de la discussion: il ne rend qu'une décision provisoire, destinée à dégager l'exécution des entraves par lesquelles on la gênait ; le fond même de ces entraves doit être porté au tribunal de l'exécution, qui rendra à cet égard une décision définitive. Vous verrez même, dans l'art. 806, au titre des Référés, que la loi, par des motifs identiques, autorise, en certains cas, une marche plus expéditive encore, pour faire lever à l'instant même les difficultés qui s'élèvent dans le cours de l'exécution d'un jugement, pour les faire lever au moins d'une manière transitoire, passagère, sauf toujours la connaissance du fond réservée au tribunal compétent.

⇒ 810. « Art. 555. L'officier insulté dans l'exercice de ses fonctions dressera procèsverbal de rebellion, et il sera procédé suivant les règles établies par le Code d'instruction criminelle. »

Ces derniers mots se réfèrent aux art. 209 et suivants du Code pénal; vous y verrez quelles sont les peines du crime ou délit de rébellion pratiquée avec ou sans armes, par une ou plusieurs personnes, contre des officiers de justice agissant pour l'exécution d'un jugement ou d'un mandat.

811. « Art. 556. La remise de l'acte ou du jugement à l'huissier vaudra pouvoir pour toutes exécutions autres que la saisie immobilière et l'emprisonnemeut, pour lesquels il sera besoin d'un pouvoir spécial. »

Nous avons déjà vu que, dans certains cas, le titre d'officier ministériel dispensait de l'observation rigoureuse de certaines formalités. Ainsi, la remise à un avoué de l'exploit d'ajournement, par le défendeur, constitue, de la part de ce dernier, mandat tacite à l'avoué d'occuper pour lui sur cet exploit. Ici la même raison amène la même décision. En général, la remise qu'une partie fait à un huissier du titre exécutoire qu'elle a contre son adversaire, autorise cet huissier à procéder à l'exécution, sans avoir besoin d'un pouvoir exprès, d'une procuration écrite: voilà la règle.

Par exception, et dans deux cas seulement, à raison de l'extrême gravité des deux modes d'exécution et de leurs importantes conséquences, la loi exige un pouvoir formel, écrit ; ces deux cas sont: 1° celui où il s'agirait d'exécuter par la voie de saisie immobilière; 2o et, à plus forte raison, celui où il s'agirait de pratiquer une contrainte par corps.

De cette règle, de cette exception dérive une double conséquence:

Pour les modes d'exécution ordinaires, et j'appelle ordinaires tous ceux autres que les deux que la loi excepte, la remise du titre suffit pour autoriser l'huissier à procéder. Donc, d'une part, le débiteur contre lequel l'exécution est pratiquée ne peut pas demander à l'huissier la représentation d'un pouvoir qui l'autorise à agir. A plus forte raison ne peut-il pas, après la saisie pratiquée, en provoquer la nullité, sous prétexte du défaut de pouvoir; la remise du titre exécutoire établit, en faveur de la réalité du mandat, une présomption légale qui arrête toute demande en nullité de la part du débiteur.

D'autre part, et réciproquement lorsque la partie, au nom de laquelle l'huissier a exécuté en vertu du titre qui lui a été remis volontairement, prétend ne l'avoir pas autorisé, prétend ne l'avoir pas chargé de pratiquer telle poursuite,

la présomption est pour l'huissier, la présomption est pour l'officier ministériel contre la partie qui désavoue. Cette présomption peut être détruite sans doute, mais enfin elle existe, et c'est à l'auteur du désaveu à démontrer, contrairement à la présomption, que ce n'était pas pour faire exécuter qu'il avait remis le titre entre les mains de l'huissier.

Placez-vous, au contraire, dans l'hypothèse inverse, dans celle d'une contrainte par corps ou d'une saisie immobilière à pratiquer; alors c'est la règle opposée qui domine. Ainsi, d'une part, le débiteur contre qui l'huissier voudrait pratiquer l'une de ces exécutions pourra s'opposer à la poursuite tant que l'huissier ne justifiera pas du pouvoir spécial dont la loi lui commande de se munir. De même, après l'exécution pratiquée, le débiteur pourra en provoquer la nullité, si l'on ne justifie pas de la réalité des pouvoirs (1). Vainement dira-t-on que l'art. 556 n'attache pas de nullité au défaut de pouvoir, que l'art. 1030 défend de suppléer les nullités; déjà nous savons comment l'art. 1030 doit s'entendre, il doit s'entendre des nullités de forme, de l'omission de telle ou telle mention, de tel ou tel détail dans la rédaction d'un acte. Mais, quant au défaut de qualité dans l'huissier qui agit, c'est là une affaire tout à fait étrangère à l'art. 1030; et il n'est pas douteux qu'on ne dût prononcer la nullité de ces voies d'exécution qui nous occupent, faites par un huissier muni des titres exécutoires, mais non muni du pouvoir spécial qui est exigé par la loi. (V. n° 1049). De même, et quant au second cas, si le créancier au nom duquel l'huissier a pratiqué, sans pouvoir formel, une contrainte par corps ou la saisie d'un immeuble, si ce créancier prétend n'avoir pas donné mandat d'exécuter, si, en conséquence, il intente contre l'huissier une action en désaveu, la présomption légale, au lieu d'être, comme tout à l'heure, en faveur de l'huissier qui a exécuté, sera en faveur du créancier qui désavoue. Par cela seul que l'huissier ne représente pas la procuration formelle, le pouvoir spécial exigé par l'art. 556, il est présumé avoir agi sans pouvoir; car, en lui remettant le titre exécutoire, on n'est pas censé l'autoriser à pratiquer l'un des deux modes d'exécution déterminés dans les derniers mots de l'art. 556.

TRENTE-SEPTIÈME LEÇON

DES SAISIES (C. D.).

812. * Vous vous rappelez que la procédure enseigne d'abord à celui qui prétend avoir un droit, quel est le juge ou le tribunal auquel il doit s'adresser, ensuite quelles sont les formes à observer, quel est le mode d'instruction suivant la juridiction devant laquelle l'instance se poursuit; enfin, quand le droit est reconnu par un jugement, si le débiteur ne peut ou ne veut l'exécnter volontairement, quels sont les moyens de parvenir à l'exécution forcée de ce jugement. La loi a tracé ces moyens d'exécution forcée dans les titres suivants

(1) V. les autorités en sens divers (Dall., 1861, 2, 184).

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