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resserré le droit de faire procéder à la saisie-brandon dans un intervalle de temps fort court fixé par l'art. 626.

« Art. 626. La saisie-brandon ne pourra être faite que dans les six semaines qui précéderont l'époque ordinaire de la maturité des fruits : elle sera précédée d'un commandement, avec un jour d'intervalle. »>

Dans les six semaines qui précéderont, etc. C'est dans cet espace de temps que le créancier peut pratiquer la saisie-brandon. En cas de contestation sur l'époque ordinaire de la maturité des fruits, les tribunaux la fixeront suivant les circonstances. Dans l'exposé des motifs du projet du Code de procédure au corps législatif, deux raisons ont été données à l'appui de cette fixation du délai de six semaines; l'une, qui est la principale, consiste dans l'impossibilité d'apprécier plus tôt la valeur des objets saisis, c'est-à-dire des fruits. La seconde est une considération d'économie; on ne voulait pas imposer aux parties les frais d'une garde indéfiniment prolongée.

La plupart des auteurs et la jurisprudence, se fondant sur ces deux motifs, permettent au créancier de saisir, même avant les six semaines, les récoltes dont la valeur peut être facilement appréciée plus tôt; mais à la condition que le créancier supportera seul les frais de garde qui précéderont les six semaines indiquées par l'article 626. Ils font remarquer l'utilité de cette décision qui ôte au débiteur le moyen de vendre les fruits avant ces six semaines, et de rendre ainsi d'avance impossibles ou inutiles les futures saisies-brandons. Malgré ces raisons d'utilité, je n'admets pas cette opinion. Sans doute il y a à craindre que le débiteur ne vende la récolte avant que le créancier ait pu exercer la saisiebrandon; mais on remédie à cet inconvénient en annulant la vente, si elle est entachée de fraude. Cet inconvénient, que le législateur a bien connu et qui s'applique à la vente de toute espèce de fruits, ne l'a pas empêché d'établir sans distinction un délai uniforme de six semaines pour toutes les saisies-brandons. Le texte de l'art. 626 contient des expressions restrictives fort précises: la saisiebrandon ne pourra être faite que dans les six semaines... etc.; il me semble bien difficile d'autoriser les juges à violer un texte formel, en s'appuyant sur un argument tiré d'un rapport fait au corps législatif. La saisie est une mesure de rigueur, dont les dispositions ne doivent être appliquées que dans les limites fixées par la loi (1).

878. Nous connaissons maintenant le caractère de la saisie-brandon. Elle met sous la main de justice des choses immobilières, pour les faire vendre comme meubles; le prix qui proviendra de la vente sera distribué comme prix de meubles. Elle a donc principalement le caractère d'une saisie mobilière ; on peut la considérer comme une saisie-exécution modifiée. Aussi la plupart des règles sur la saisie-exécution recevront-elles ici leur application, comme le prouve d'ailleurs l'article 634. Nous devons, en conséquence, nous borner dans ce titre, comme le législateur l'a fait, à indiquer les règles spéciales à la saisiebrandon. Rappelons-nous donc notre division du titre de la saisie-exécution. Nous avons examiné successivement les dispositions relatives 1° aux formalités qui précèdent ou accompagnent la saisie; 2° aux choses insaisissables; 3° aux (1) C. de Bourges, 24 janvier 1863 (Dall., 1863, 2, 155).

gardiens; 4o aux incidents de la saisie; 5o enfin aux formalités qui précèdent ou accompagnent la vente.

Nous reprendrons ici les diverses branches de cette division, pour rechercher quelles modifications comporte la saisie-brandon.

1° Formalités qui précèdent et accompagnent la saisie. Ces formalités, vous vous le rappelez, sont au nombre de deux, le commandement et le procès-verbal de saisie. Quant au commandement, l'article 626 in fine en rappelle la nécessité. La saisie-brandon suppose, en effet, un titre exécutoire, puisqu'elle est une saisie d'exécution. On peut appliquer ici tout ce que nous avons dit sur les articles 583 et 584. Le propriétaire non muni d'un titre exécutoire peut aussi, aux termes de l'article 819, faire placer sous la main de justice les fruits de son locataire ou de son fermier. Mais ce n'est là qu'une saisie-gagerie des fruits, qui differe de la saisie-brandon autant qu'une saisie de précaution d'une saisie-exécution (V. n° 813).

La seconde formalité de la mise sous la main de justice est le procès-verbal de saisie. L'huissier ne sera pas accompagné de témoins comme dans la saisieexécution (art. 43 du tarif). Du reste, je vous renvoie aux articles 586 (première phrase), 595, 599, 601 et 602, qui sont encore ici entièrement applicables. Au contraire, la fin de l'article 586, les articles 587, 588, 589, 590 doivent rester étrangers à la matière de la saisie-brandon.

« Art. 627. Le procès-verbal de saisie contiendra l'indication de chaque pièce, sa contenance et sa situation, et deux au moins de ses tenants et aboutissants, et la nature des fruits. »>

Cet article ne présente aucune difficulté. Remarquons seulement, quant à la mention de la contenance de la pièce de terre qui porte les fruits, que, pour la saisie même du fonds, l'article 675 n'exige que la contenance approximative; on ne saurait en exiger ici davantage.

879. 2o Des choses insaisissables. Parmi les objets susceptibles de saisie-brandon, il n'y en a point d'insaisissables. L'article 592 demeure donc étranger à cette matière, sauf l'application des nos 7 et 8 de cet article qui permettra quelquefois de laisser quelques fruits au saisi.

880. 3o Du gardien. Les droits et obligations du gardien suivent ici les mêmes règles que dans la saisie-exécution. La loi n'a introduit de modification que sur la question de savoir qui sera gardien.

Art. 628. Le garde champêtre sera établi gardien, à moins qu'il ne soit compris dans l'exclusion portée par l'article 598; s'il n'est présent, la saisie lui sera signifiée : il sera aussi laissé copie au maire de la commune de la situation, et l'original sera visé par lui.

« Si les communes sur lesquelles les biens sont situés sont contigues ou voisines, il sera établi un seul gardien, autre néanmoins qu'un garde champêtre le visa sera donné par le maire de la commune du chef-lieu de l'exploitation, et, s'il n'y en a pas, par le maire de la commune où est située la majeure partie des biens. >>

Ainsi, en règle générale, si les pièces de terre qui portent les fruits saisis sont toutes situées dans la même commune, la loi désigne comme gardien le garde

champêtre de la commune. C'est une désignation obligatoire; ni le saisi ni l'huissier ne peuvent présenter ou choisir un autre gardien, sauf dans le cas prévu par l'article 598.

Le deuxième alinéa suppose que les terres qui portent les fruits saisis sont situées sur différentes communes dans ce cas, comme un garde champêtre n'a qualité pour exercer ses fonctions que sur le territoire de sa commune, il faudrait, pour appliquer la règle générale, établir chaque garde champêtre gardien des fruits tenant au sol de sa commune. Mais le législateur compris que cette multiplicité de gardiens augmenterait inutilement les frais. Dans cette hypothèse, il abandonne sa règle : la garde des fruits n'est confiée à aucun des gardes champêtres, et il n'y aura qu'un seul gardien.

881. 4o Des incidents de la saisie. Il suffit, pour cette partie, de renvoyer à l'explication des articles 607 à 612, en ajoutant toutefois que le fermier peut s'opposer à la saisie que ferait pratiquer un créancier du propriétaire. Les fruits non détachés du sol appartiennent encore, il est vrai, au propriétaire du fonds; mais le fermier, par son bail, a sur ces fruits un droit acquis, auquel le saisissant ne saurait porter préjudice. D'un autre côté, ce motif autorise la saisie-brandon du chef du fermier, quoique ces fruits ne lui appartiennent pas encore au moment de la saisie.

Il en sera de même à l'égard des fruits d'un fonds sur lequel il existe un usufruit. L'usufruitier a le droit de s'opposer à une saisie-brandon faite du chef du nu propriétaire; mais les créanciers de l'usufruitier en font valablement pratiquer une, quoique les fruits ne doivent appartenir à l'usufruitier que lorsqu'ils seront détachés du sol. Aussi, dans ce dernier cas, c'est-à-dire lorsqu'une saisie-brandon est exercée du chef d'un usufruitier, sa mort survenue avant la récolte annulerait-elle la saisie, par application de l'art. 585 du Code Napoléon. Le saisissant, qui voit ses poursuites entravées par l'opposition d'un prétendu fermier ou d'un prétendu usufruitier, peut contester le droit de bail ou d'usufruit; mais pendant cette contestation, comme pendant celle que soulèverait tout autre incident, il est possible que les fruits parviennent à leur maturité. Alors le saisissant, ou la partie la plus diligente, assignera en référé tous les intéressés, pour faire ordonner que les fruits seront coupés et engrangés dans un lieu désigné par le juge, sous la surveillance d'un gardien ; qu'ils seront coupés et vendus au profit de qui de droit, s'ils ne peuvent être conservés sans détérioration.

882. 5° Formalités qui précèdent ou accompagnent la vente. Les articles 629 à 633 relatifs à ces formalités ne présentent aucune difficulté, et je me borne à renvoyer à la lecture de leur texte.

La vente se fait sur les lieux mêmes, si les fruits sont encore sur pied. Qui doit procéder à cette vente ? Les uns attribuent à cet égard un droit exclusif aux huissiers, mais il vaut mieux, suivant l'opinion généralement admise, rester ici dans la règle ordinaire en matière de ventes de meubles, et décider qu'ils seront vendus par les commissaires-priseurs exclusivement dans le chef-lieu de leur établissement, et partout ailleurs par les commissaires-priseurs en concurrence avec les notaires, les huissiers et les greffiers (1).

(1) Il peut y avoir des ventes aux enchères de récoltes sur pied, hors du cas de saisie

« Art. 634. Seront, au surplus, observées les formalités prescrites au titre des saisiesexécutions. »

Cet article s'applique non-seulement au no 5 de notre division, mais à tous les numéros précédents, quoique l'article 634 ne semble renvoyer au titre de la saisie-exécution que pour les formalités de la vente. On appliquera généralement à la saisie-brandon les règles de la saisie-exécution.

« Art. 635. Il sera procédé à la distribution du prix de la vente ainsi qu'il sera dit au titre de la Distribution par contribution. »

La distribution par contribution s'applique précisément au produit des ventes mobilières, et il s'agit ici d'une vente de cette nature (V. no 877). *

TITRE X

DE LA SAISIE DES RENTES CONSTITUÉES SUR PARTICULIERS (C. D.).

883. Une rente est le droit de demander à des époques périodiques une certaine redevance, nommée arrérages, et qui consiste soit en argent, soit en denrées.

Les rentes se divisent de plusieurs manières. Elles sont établies à titre gratuit ou à titre onéreux. Parmi ces dernières, et sous le rapport du prix que le créancier donne pour les acquérir, les unes sont établies pour une somme d'argent ou pour des effets mobiliers, et les autres pour la cession d'un immeuble. Sous le rapport de la durée, elles sont perpétuelles ou viagères: perpétuelles, si elles sont dues à perpétuité au créancier et à ses héritiers; viagères, si elles sont dues pendant la vie d'une personne, le plus ordinairement pendant la vie du créancier. Sous le rapport de la personne du débiteur, elles peuvent être dues ou par l'État ou par des particuliers.

Le titre qui nous occupe ne traite que de la saisie des rentes constituées sur particuliers. Nous devons laisser de côté les rentes sur l'État. Ces rentes ont été, en effet, déclarées insaisissables par les lois; c'est un privilége qui leur est accordé pour attirer vers elles les capitaux, et augmenter le crédit public qui s'estime habituellement d'après le prix de ces rentes.

La saisie dont nous allons examiner les formalités ne s'applique donc qu'aux rentes dues par des particuliers, perpétuelles ou viagères, établies soit pour une somme d'argent, soit pour la cession d'un immeuble, soit même gratuitement. brandon. Les notaires ont soutenu que ces ventes avaient alors le caractère de ventes d'immeubles et que le droit d'y procéder devait leur appartenir exclusivement. Cette prétention, rejetée d'abord par la jurisprudence, avait été enfin admise depuis l'arrêt de la cour de cassation du 1er juin 1822. La concurrence des commissaires-priseurs, des huissiers et des greffiers avec les notaires a cependant paru utile. Des projets de loi ont été présentés successivement dans ce sens en 1833, en 1840, en janvier 1848, mais ils n'ont pu, par diverses causes, aboutir à un résultat définitif. Enfin, une loi du 5 juin 1851 admet la concurrence des officiers ministériels, au choix des parties, pour les ventes publiques, volontaires, de fruits et de récoltes pendants par racines et de coupes de boistaillis.

Toutes les rentes perpétuelles sont rachetables, c'est-à-dire que le débiteur peut toujours se libérer du service des arrérages en remboursant le capital de la rente, ou en exécutant les clauses et conditions qui peuvent avoir été fixées pour le rachat de la rente dans le cas de l'article 530 (C. N.). Mais le créancier n'a jamais le droit d'exiger ce rachat, et les parties peuvent convenir que ce rachat n'aura pas lieu avant une époque déterminée, qui ne saurait dépasser dix ans ou trente ans suivant les cas (art. 530 et 1911, C. N.). Les rentes viagères ne sont jamais rachetables.

Il est un autre caractère commun à toutes les rentes perpétuelles ou viagères et plus important que le précédent au point de vue de la saisie, je veux parler de la nature mobilière des rentes. On reconnaissait autrefois des rentes foncières et des rentes constituées à prix d'argent. Les premières étaient considérées comme immeubles, tandis que les rentes constituées étaient quelquefois considérées comme mobilières. Cette distinction entraînait comme conséquence des différences dans la saisie des rentes. Ainsi, les rentes qui étaient regardées comme immeubles étaient soumises aux formalités ruineuses de la saisie des immeubles, tandis que la saisie des rentes mobilières, plus simple dans l'exécution, n'avait pas de règles fixes et variait arbitrairement dans les différentes juridictions.

Aujourd'hui les rentes sont toutes meubles (art. 529, C. Nap.). Les rédacteurs du Code de procédure ont donc dû les soumettre à une procédure uniforme. Fallait-il leur appliquer purement et simplement la procédure de saisie-exécution? Leur caractère de droits, c'est-à-dire de choses incorporelles, s'y opposait par deux motifs: d'une part, il n'était pas possible de faire pour la saisie des rentes un procès-verbal, semblable à celui de la saisie-exécution. Dans cette dernière saisie, l'huissier, à la vue du meuble corporel, en fait sur son procès-verbal la description matérielle et déclare qu'il le met sous la main de justice. Mais comment ferait-il la description matérielle d'une rente, c'est-à-dire d'une chose incorporelle, qui ne tombe pas sous les sens? Souvent même, comment en soupçonnerait-il l'existence?

D'autre part, au moment de la vente, dans le lieu où se font les enchères, l'officier public fait montrer la chose à ceux qui veulent se rendre adjudicataires; ceux-ci l'examinent, la touchent, peuvent, sur l'apparence, juger de son état, de sa qualité, de sa valeur. Mais la rente, chose incorporelle, ne peut être montrée aux acheteurs. Présentera-t-on l'écrit qui constate l'obligation du débiteur de la rente? La vue d'un pareil écrit n'édifiera ceux qui voudraient enchérir ni sur la solvabilité du débiteur, ni sur la solidité des garanties, cautions, hypothèques, etc., qui assurent le service de la rente. On ne pouvait donc employer la procédure de la saisie-exécution ni pour mettre les rentes sous la main de justice, ni pour les faire vendre.

Aussi, notre titre consacre une procédure particulière à la saisie des rentes Les formalités en sont empruntées à deux autres procédures, à la saisie-arrêt et à la saisie-immobilière. La saisie-arrêt, comme nous l'avons vu, s'applique aux créances, c'est-à-dire à des droits, à des choses de même nature que les rentes; il semblait donc naturel de soumettre la saisie des rentes aux formalités de la saisie-arrêt. Mais la saisie-arrêt, même quand elle est faite en vertu d'un titre exécutoire, a pour but de forcer le débiteur du saisi à payer ce qu'il doit entre

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