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C'est ainsi que procède le législateur quand il veut changer les rôles de demandeur et de défendeur apparents, et déroger à l'application littérale de la règle Actor sequitur forum rei. J'en donnerai pour exemple les cas prévus aux art. 176 (C. N.), 584 et 673 (C. pr.). Mais ici la loi est muette sur la compétence; nous devons donc nous en tenir à l'application littérale des principes généraux écrits. dans l'art. 59, Pr., et décider que le créancier sera assigné en validité d'offres au tribunal de son domicile, et que la demande en nullité d'offres sera portée au tribunal du domicile du débiteur.

1078. « Art. 816. Le jugement qui déclarera les offres valables ordonnera, dans le cas où la consignation n'aurait pas encore eu lieu, que, faute par le créancier d'avoir reçu la somme ou la chose offerte, elle sera consignée; il prononcera la cessation des intérêts du jour de la réalisation. >>

La loi suppose ici que les offres ont été faites, mais qu'elles n'ont pas été suivies de consignation. Si les offres sont déclarées valables, dit notre article, le jugement ordonnera la consignation.

Mais il faut remarquer que ces offres non suivies de consignation n'ont pas libéré le débiteur; elles laissent la chose à ses risques; elles n'arrêtent pas le cours des intérêts conventionnels. Elles peuvent néanmoins être utiles au débiteur, soit pour purger sa mise en demeure (Voy. l'art. 1146 du Code Nap., et les commentaires sur cet article), soit pour le soustraire au paiement d'intérêts moratoires. Quelquefois le débiteur, qui fait des offres, doit s'adresser à la justice avant de faire la consignation, lorsque la chose offerte est de telle nature que le lieu ordinaire des consignations ne puisse lui convenir. Ainsi, j'ai offert à mon créancier un cheval, un animal qui exige des soins et un local particulier; la Caisse des consignations, le receveur, ne peuvent le recevoir. Le débiteur fera désigner par le tribunal le lieu du dépôt. Dans l'espèce, le tribunal indiquera, par exemple, les écuries de tel marchand de chevaux; les frais de garde et de nourriture seront mis à la charge du créancier, si les offres sont valables, et à la charge du débiteur, si on les juge insuffisantes.

Il prononcera la cessation des intérêts du jour de la réalisation. Que faut-il entendre par ce mot réalisation? Dans l'ancienne procédure du Châtelet de Paris, on entendait, par réalisation, la réitération des offres à l'audience par le ministère d'un procureur, qui présentait les espèces offertes. Aujourd'hui les espèces sont réellement offertes par l'huissier (art. 812).

Ici, dans notre art. 816, quel est le sens du mot réalisation? de cette réalisation qui fait cesser le cours des intérêts? S'agit-il des offres réelles, c'est-à-dire -de la présentation au créancier de la chose ou de la somme offerte? Quelques auteurs l'ont ainsi compris; mais alors notre art. 816 se trouve en désaccord avec l'article 1259, 2o (C. N.), qui met les intérêts de la somme offerte à la charge du débiteur jusqu'au jour du dépôt. Le mot réalisation est, je crois, dans notre article, synonyme de dépôt, de consiguation. Les art. 816, Pr. et 1259, 2o (C. N.), me paraissent contenir, à cet égard, la même doctrine. C'est bien dans ce sens, d'ailleurs, que l'article a été fait. L'orateur du tribunat, M. Tarrible, disait expressément : « Il est aisé de comprendre que la réalisation dont parle cet arti«cle (816) est celle du dépôt. L'art. 1259 du Code Napoléon, qu'il ne s'agit nulalement de réformer, dit textuellement que les intérêts sont dus jusqu'au jour

« du dépôt. D'un autre côté, les offres, quoique déclarées valables, ne pouvant « éteindre la dette, ne peuvent non plus arrêter le cours des intérêts jusqu'à la « consignation, qui seule consomme la libération. »>

Il y a quelques difficultés relativement aux frais des offres suivies ou non de la consignation. Je vous renvoie, à cet égard, à l'art. 1260 du Code Napoléon et aux explications et commentaires sur cet article.

1079. « Art. 817. La consignation volontaire ou ordonnée sera toujours à la charge des opposants, s'il en existe, et en les dénonçant au créancier. »

Le débiteur qui fait les offres peut jouer le rôle de tiers saisi dans une ou plusieurs saisies-arrêts pratiquées entre ses mains par les créanciers de son créancier. C'est même souvent à cause de ces saisies-arrêts que le débiteur, qui tient à se libérer, fait des offres et consigne. Cette consignation ne pourra être faite qu'à la charge des oppositions formées entre les mains du débiteur (tiers saisi), qui a dû ou qui devra les dénoncer au créancier (saisi). La somme, une fois consignée, pourra encore être l'objet de nouvelles saisies-arrêts de la part d'autres créanciers du saisi.

Le débiteur peut-il retirer la consignation qu'il a faite? Le créancier peut-il, à défaut d'opposition, en toucher le montant? Ces questions et d'autres relatives à cette matière sont résolues par les art. 1261 et suivants du Code Napoléon, au texte et aux commentaires desquels je me borne à vous renvoyer conformément à l'art. 818. *

TITRE II

DU DROIT DES PROPRIÉTAIRES sur les meubles, effets et fruits de leURS LOCATAIRES ET FERMIERS, OU DE LA SAISIE-GAGERIE ET DE LA SAISIEARRÊT SUR DÉBITEURS FORAINS (C. D.).

1080.* En traitant de l'exécution forcée des jugements et actes (Voir n° 813), nous avons distingué les saisies en saisies d'exécution et saisies de précaution. Les premières permettent au saisissant, non-seulement de mettre sous la main de justice un objet appartenant à son débiteur, mais aussi de faire procéder à la vente de l'objet saisi. Dans les saisies de précaution, au contraire, le saisissant fait mettre les meubles de son débiteur sous la main de justice, mais il ne peut pas les faire vendre.

La saisie-gagerie et la saisie-arrêt sur débiteurs forains ou saisie foraine appartiennent à cette dernière classe de saisies.

La saisie-gagerie, à laquelle sont consacrés les art. 819, 820 et 821, est la mise sous la main de justice d'effets, meubles et fruits appartenant aux locataires ou fermiers, à la requête des propriétaires ou principaux locataires, pour sûreté des loyers ou fermages.

La créance des loyers et fermages a paru digne de faveur; le Code Napoléon, reproduisant l'ancienne doctrine, l'a rangée parmi les créances privilégiées (art. 2102, 1o, C. N.). Le législateur a été plus loin dans le Code de procédure; il a permis au bailleur de mettre sous la main de justice les meubles qui garan

tissent le paiement des fermages ou loyers, avant même d'avoir obtenu un jugement de condamnation contre le fermier ou le locataire. Cette saisie-gagerie a pour but d'assurer d'une manière encore plus efficace la créance du bailleur, en empêchant que les meubles affectés au paiement des loyers ou fermages soient distraits pendant le procès sur la créance des loyers.

Mais gardez-vous de croire que la saisie-gagerie soit une conséquence nécessaire du privilége écrit dans l'art. 2102, 1o, du Code Napoléon. Le bailleur, propriétaire ou principal locataire, pourrait très-bien exercer son privilége, même si le droit de saisie-gagerie ne lui avait pas été conféré. Le privilége de l'article 2102, 1° (C. N.), est indépendant des dispositions contenues dans les art. 819, 820 et 821 du Code de procédure.

Si le bail était constaté par acte notarié, le propriétaire, porteur de la grosse du bail, pourrait, dès que le prix du loyer ne serait pas payé à l'échéance du terme, et sans avoir recours aux tribunaux, saisir-exécuter les meubles de son locataire, les faire vendre et se faire payer sur le prix. Mais quand le bail n'est pas constaté par un acte authentique, le bailleur doit se procurer un titre exécutoire, pour pouvoir faire vendre les meubles affectés à son privilége; ce titre exécutoire, il ne le trouvera que dans le jugement qui condamnera son locataire ou son fermier au paiement des loyers ou fermages. Or, pendant l'instance qui doit aboutir à ce jugement, comment empêcher le locataire ou le fermier de faire disparaître les meubles affectés à la garantie de la créance du loyer ou fermage? C'est par la saisie-gagerie qu'il a été pourvu, à cet égard, à l'intérêt des propriétaires. La saisie-gagerie a donc pour but d'assurer l'exécution du privilége du locateur.

1081. On vous a déjà dit, dans d'autres cours, que le privilége du locateur consacré par l'art. 2102, 1° (C. N.), prenait son origine dans l'hypothèque tacite accordée en droit romain au bailleur d'une maison sur les meubles qui y sont apportés, et au bailleur d'un fonds sur les fruits du fonds (L. 4. Pr. et 7 Pr. D. In quibus causis pignus).

Cette hypothèque devint, dans notre ancien droit, notamment dans certaines coutumes, un privilége plus étendu que l'ancienne hypothèque tacite, puisqu'elle s'étendit même aux meubles qui garnissaient la ferme. Dans la coutume de Paris, cependant, d'anciens auteurs faisaient remarquer que le privilége ne s'étendait qu'aux héritages urbains: Lex Parisiorum ad locationem urbanam duntaxat refert privilegium super invectis et illatis (1). Mais, dans la dernière rédaction de la coutume de Paris, les doutes furent levés à cet égard par l'art. 171, qui supposait le privilége du locateur sur les objets apportés dans la ferme.

Quant à la saisie-gagerie, elle remonte à notre ancien droit français, elle est fondée sur l'idée que le propriétaire, pour exercer utilement son privilége sur les meubles qui garnissent la maison louée, doit avoir le droit de les arrêter, de les empêcher de sortir de sa maison. La coutume d'Aurillac (art. 2) allait plus loin, trop loin, en permettant aux maîtres des maisons louées de faire fermer les portes des maisons, jusqu'à ce qu'ils fussent payés du loyer.

Dans un temps plus reculé, l'usage ancien et général de la France permettait

(1) Æginarius Baro, ad. tit. Instit. de locat. et conductione. V. Brodeau sur l'art. 171 de la coutume de Paris.

<< aux seigneurs censiers, faute de payement des arrérages de leurs cens et << rentes seigneuriales, de défoncer et mettre hors des gonds l'huis et les fenê<«< tres de la maison censuelle, c'est-à-dire chargée du cens et de la rente, ou la <«< fermer, obstacler, verrouiller et cadenasser, la barrer ou y mettre barreau et << barrier au-devant, en signe de saisie, ou arrest, ou empeschement (1). » Ce droit fut remplacé dans la coutume de Paris (art. 86) par la simple gagerie, qui différait de la saisie-gagerie pour loyers, comme vous pourrez le voir dans les commentaires sur les art. 86 et 161 de la coutume.

1082. La saisie-gagerie autorisée par l'art. 819 du Code de procédure est celle que la coutume de Paris établissait dans les art. 161 et 171.

Art. 819. Les propriétaires et principaux locataires de maisons ou biens ruraux, soit qu'il y ait bail, soit qu'il n'y en ait pas, peuvent, un jour après le commandement, et sans permission du juge, faire saisir-gager, pour loyers et fermages échus, les effets et fruits étant dans lesdites maisons et bâtiments ruraux et sur les terres. Ils peuvent même faire saisir-gager à l'instant, en vertu de la permission qu'ils en auront obtenue sur requête du président du tribunal de première instance. Ils peuvent aussi saisir les meu. bles qui garnissaient la maison ou la ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans leur consentement; et ils conservent sur eux leur privilége, pourvu qu'ils en aient fait la revendication, conformément à l'art. 2102 du Code Napoléon. »

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Le droit de faire pratiquer la saisie-gagerie est accordé aujourd'hui aux propriétaires et aux principaux locataires d'une maison et d'un bien rural, soit qu'il y ait bail, soit qu'il n'y en ait pas et sans permission du juge. Le mot bail est pris ici dans le sens d'écrit constatant le bail. Mais la demande du prix d'un loyer ou d'un fermage suppose nécessairement l'existence d'un bail ou contrat de louage (2).

Les anciens commentateurs n'étaient pas d'accord sur la question de savoir si la saisie-gagerie devait être ou non autorisée par le juge. Quelques-uns distinguaient entre les baux constatés par acte authentique et les baux constatés par acte sous seing privé, d'autres entre les baux sous seing privé et les baux verbaux. Les rédacteurs du Code de procédure ont tranché la question dans le sens de l'opinion de Bouteillier, de Dumoulin et même de Brodeau, qui ne conseillait de demander la permission du juge, même au cas de bail verbal, que pour plus grande sûreté, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'il ne la croyait pas nécessaire.

Un jour après le commandement. J'ai montré dans une des leçons précédentes (n° 813) l'embarras que ce mot commandement venait jeter dans l'explication de l'art. 819. Le commandement est un exploit d'huissier contenant ordre de payer, et fait en vertu d'un titre exécutoire. Cette dernière condition, en vertu d'un titre exécutoire, est de l'essence du commandement. Sans elle, l'exploit, fût-il qualifié commandement, demeure une simple sommation. Or, ici le bailleur n'est pas porteur d'un titre exécutoire; autrement il prendrait directement la voie de

(1) Brodeau sur l'art. 86 de la coutume de Paris, no 10.

(2) Le Code a suivi ici la phraséologie des anciens auteurs qui disent qu'il n'y a pas de bail, lorsque le bail n'est pas constaté par écrit, V. notamment Lemaitre sur l'art. 162 de la coutume de Paris.

la saisie-exécution, qui l'autoriserait, non-seulement à mettre les meubles de sɔn débiteur sous la main de justice, mais même à les faire vendre. Il ne prend la voie de la saisie-gagerie que faute d'un titre exécutoire, qu'il obtiendra par le jugement sur la validité de la saisie-gagerie. Comment donc peut-il, sans titre exécutoire, faire un commandement qui suppose essentiellement un pareil titre? Quelques auteurs reconnaissent dans l'art. 819 une exception aux principes, un cas où le commandement pourra être fait sans titre exécutoire. Il me paraît impossible de changer ainsi la valeur des mots. Tout ce qu'on peut admettre, c'est que la loi dispensera le saisissant de la nécessité de faire un commandement préalable, et n'exigera de lui qu'une sommation. Je comprends une telle décision, et j'entends en ce sens l'art. 819. Le mot commandement est donc inexact; c'est d'une sommation que veut parler notre article. Le législateur peut bien supprimer, dans une hypothèse donnée, la formalité du commandement, mais il ne peut pas faire qu'un exploit devienne un commandement sans en présenter les caractères.

La saisie-gagerie sera donc précédée d'une simple sommation, et nous tiendrons pour constante cette distinction que j'ai posée précédemment (n° 813), que les saisies d'exécution sont nécessairement précédées d'un commandement, tandis qu'il en est autrement à l'égard des saisies de précaution, parmi lesquelles figure la saisie-gagerie.

1083. Pour loyers et ferinages échus. L'art. 2102, 4o (C. N.), donne quelquefois un privilége au bailleur, même pour les loyers ou fermages à échoir; notre article 819 ne permet la saisie-gagerie que pour les loyers et fermages échus (1). Mais, disait-on déjà dans l'ancien droit (2), un locataire pourra donc, en enlevant les meubles, faire perdre au bailleur le terme courant et tous les loyers à échoir jusqu'à la fin du bail? Il y un remède à cette fraude, dans le droit du propriétaire d'exiger que la maison soit garnie de meubles suffisants pour répondre du loyer (art. 1752, C. N.) (3), et de saisir les meubles qui garnissaient la maison ou la ferme et qui auraient été déplacés sans son consentement, comme nous le verrons en expliquant le troisième alinéa de notre article.

La saisie-gagerie peut frapper les effets et les fruits étant dans lesdites maisons ou bâtiments ruraux et sur les terres. Fixons-nous bien sur le sens de ces expressions. Pour le loyer des maisons, la saisie-gagerie s'exerce sur les effets qui sont dans la maison. Pour les fermages, la saisie-gagerie s'applique aux effets et aux fruits qui se trouvent dans les bâtiments ruraux et sur les terres ; ces mots sur les terres s'appliquent notamment aux récoltes sur pied et aux fruits pendants par racines, comme le prouve l'art. 821, qui renvoie pour la forme de la saisie de ces fruits au titre de la saisie-brandon.

Ils peuvent même faire saisir-gager à l'instant en vertu de la permission...

(1) C. de Bourges, 16 décembre 1837, Journal du Palais, t. II, de 1838, p. 36. Contrà, Nancy, 5 décembre 1837, eod., t. II, de 1840, p. 720. Cass., Rej., 16 mai 1849 (Dall., 1849, 1, 130).

(2) V. les notes de Laurière sur l'art. 6 du tit. VI du livre III des Institutes coutumières de Loysel.

(3) Si c'est une ferme, les effets et les fruits répondent du loyer. Art. 1766, 1767, 2102, Code Napoléon, et 592, 593, 819, 820, C. pr.

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