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pas bien lairement démontrée aux yeux des jurisconsultes romains. Ainsi, dans la loi 1re, au Digeste, au titre De appellationibus, livre XLIX, titre Ier, Ulpien, parlant de la généralité, de la fréquence de l'usage des appels, semble néanmoins élever quelques doutes sur leur utilité, sur leur mérite. Il dit: Appellandi usus quàm sit frequens quàmque necessarius nemo est qui nesciat; quippè cùm iniquitatem judicantium vel imperitiam recorrigat. Il n'est personne qui ne sache combien est fréquent, combien est nécessaire l'usage de l'appel; car il redresse l'injustice ou l'ignorance des juges. Puis il ajoute : Licet nonnunquam benè latas sententias in pejus reformet. Il peut cependant arriver que, sur l'appel, on réforme, dans un mauvais sens, un jugement qui en lui-même était parfaitement rendu. Neque enim, ajoute-t-il encore, utique melius pronuntiat, qui novissimus sententiam laturus est. Il peut fort bien arriver que le juge du dernier ressort ne juge pas mieux, juge moins bien que le premier.

Dans notre ancien droit français, le système des appels fut encore plus variable; dans les origines du droit français le système des appels dut être incompatible avec le mode des épreuves ou des combats judiciaires. Il est clair que, tant que le système du combat ou de l'épreuve judiciaire fut admis, tant que le jugement de Dieu fut en usage dans les procès, tout appel fut impossible; le combat ou l'épreuve, considérée comme jugement de Dieu, terminait nécessairement et souverainement la contestation.

Plus tard, lorsqu'on abandonna ce mode barbare de terminer les procès, on introduisit, sous le nom d'appel, un système assez barbare aussi, et qui se rapprochait bien plus de ce que nous nommerions aujourd'hui une prise à partie. Il arrivait, au moins dans un assez grand nombre de causes, que la partie condamnée était autorisée, non pas à un appel proprement dit, dans le sens où nous le prenons aujourd'hui, mais à défier à un combat véritable, non point l'adversaire qui obtenait gain de cause, mais les juges par le moyen desquels l'adversaire obtenait gain de cause. La partie condamnée, en déclarant que le juge avait jugé faussement, méchamment, calomnieusement, était autorisée à lui porter un défi, à lui présenter un gage de combat, dont le résultat pouvait être l'infirmation du jugement, quand le juge avait succombé.

Plus tard, notamment à partir de saint Louis, la raison modifia ce système barbare. Un véritable système d'appel vint à s'introduire, et on ne recourut plus contre le juge qui avait rendu la sentence, bonne ou mauvaise; mais l'usage s'introduisit de porter la sentence devant un tribunal supérieur. L'appel, au lieu d'un défi à un véritable combat, ne fut plus, comme le dit Montesquieu, qu'un combat de plume (V. livre XXVIII, chapitre xxvII et suivants de l'Esprit des lois). Une fois les appels introduits, transportés dans le droit français, soit par l'influence des institutions de saint Louis, soit par celle des institutions du droit romain, ce système se mêla à la multiplicité des degrés de juridiction qu'avaient introduits chez nous et les institutions féodales et le désordre des habitudes de ce temps. Déjà nous avons signalé les énormes inconvénients de cette multiplicité de juridictions; nous avons vu que des causes d'un intérêt modique étaient appelées souvent à subir des degrés de juridiction fort nombreux, à passer par cinq ou six jugements, avant d'être souverainement et définitivement décidées (V. no 10). Le monument le plus frappant de ce mal se trouve dans les édits de 1788, rendus la veille même de la réforme judiciaire, et par lesquels Louis XVI

essayait, mais vainement, de porter remède à cette multiplicité de degrés. Ces changements de système peuvent faire comprendre quelles hésitations se manifestèrent dans l'Assemblée constituante, lorsque, organisant par la loi de 1790 le nouveau système judiciaire, elle fut appelée à se prononcer sur la question de savoir si l'appel serait admis, ou si, au contraire, le premier jugement serait en même temps le dernier. Y aura-t-il, n'y aura-t-il pas plusieurs degrés de juridiction? Et, en cas d'affirmative, comment organiser ces degrés? Devant qui porter le jugement de l'appel?

Les adversaires de l'appel, ceux qui voulaient tout réduire à un unique degré de juridiction s'appuyaient, les uns sur l'idée d'Ulpien : qu'il n'est pas prouvé qu'un jugement, pour être le dernier, soit pour cela le meilleur. Les autres ne voyaient dans l'appel qu'un débris des anciennes institutions de l'ancienne hiérarchie féodale, qu'on voulait faire tomber. D'autres enfin, quoique partisans, en principe, de la faculté d'appeler, et c'étaient là sans doute les plus nombreux, étaient cependant arrêtés par une assez grande difficulté d'exécution, effrayés qu'ils étaient de l'influence politique acquise et exercée, surtout dans les derniers temps, par les corps judiciaires auxquels appartenaient les jugements souverains, par les parlements; ils ne voyaient pas de moyen de constituer, d'organiser un système d'appel, sans constituer ou conserver ces grands corps judiciaires dont les récentes usurpations politiques faisaient ombrage à l'Assemblée. De là, les hésitations sur la question de savoir si l'appel serait autorisé; et, en cas d'affirmative, comment il serait organisé.

Enfin, les partisans de l'appel prévalurent; on décida, en principe, qu'il y aurait deux degrés de juridiction, jamais plus, quelquefois moins; nous verrons bientôt les règles posées à cet égard. Et pour éviter de rétablir cette hiérarchie judiciaire dont on redoutait les inconvénients, pour éviter de reconstituer ces grands corps dont les empiétements passés faisaient craindre l'existence à venir, on imagina un appel assez bizarre: on établit que les tribunaux de district (ce sont nos tribunaux d'arrondissement), qu'instituait la loi de 1790, seraient juges réciproques des appels l'un de l'autre; que l'appel contre le jugement d'un tribunal de district serait porté devant l'un des tribunaux les plus voisins. Un tableau des tribunaux les plus voisins fut dressé, et chacune des parties avait la faculté d'en écarter par récusation un certain nombre.

Ce système assez étrange, qui constituait l'appel sans établir de supériorité judiciaire, fut cependant assez longtemps en vigueur. Ainsi, lorsque, dans la Constitution de l'an III, on substitua aux tribunaux de district un tribunal unique institué dans chaque département, la même règle fut admise, et l'appel de chaque tribunal de département fut porté à l'un des tribunaux des trois départements les plus voisins. C'était encore l'appel organisé entre des tribunaux de degrés égaux, l'appel organisé sans hiérarchie judiciaire. On retrouve ce système dans les art. 218 et 219 de la constitution du 5 fructidor an III.

Ce fut seulement après la Constitution du 22 frimaire an VIII, lors de la création du consulat, que fut organisé un système d'appel analogue à celui qui existe aujourd'hui. La loi du 27 ventôse an VIII, constituant l'ordre judiciaire, rétablissant, sous le nom de tribunaux d'arrondissement, les tribunaux de districts, établis en 1790, institua en même temps des tribunaux d'appel, au nombre de 29. Il faut en déduire deux tribunaux d'appel, séparés par les démembre

ments de 1814, et y ajouter la Cour de Chambéry, depuis l'annexion de la Savoie à la France. Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII donna à ces tribunaux le nom de cours d'appel. Enfin, la loi du 20 avril 1810, réunissant la justice civile et la justice criminelle, organisa, sous le nom de cours impériales, les corps connus, de 1816 à 1848, sous le nom de cours royales. * Après la révolution de 1848, ils reprirent leur nom de cours d'appel, jusqu'au décret du 2-9 décembre 1852 qui leur rendit le nom de cours impériales.

Les dispositions de ce titre s'appliquent particulièrement à la procédure d'appel devant les cours impériales, auxquelles la loi attribue l'appel des jugements des tribunaux civils d'arrondissement et des tribunaux de commerce. Mais nous avons vu sur l'art. 404 que les appels des jugements des juges de paix étaient portés aux tribunaux civils d'arrondissement; sous ce point de vue, la plupart des dispositions de ce titre seront également applicables aux tribunaux d'arrondissement statuant comme juges d'appel. *

668, Voilà l'histoire de ces pouvoirs judiciaires compétents pour connaître de l'appel. Mais ces variations ne concernent que l'organisation, que l'établissement des pouvoirs; elles sont étrangères aux délimitations de la compétence, à la fixation du premier et du dernier ressort.

La question de savoir quelles sentences, quels jugements jouiront du privilége des deux degrés, ou seront, au contraire, soumis à la juridiction d'un degré unique, cette question, autrefois réglée par l'art. 5 du titre IV de la loi de 1790 trouve aujourd'hui sa solution dans les art. 1 et 2 de la loi du 11 avril 1838.

Le principe en cette matière, c'est que toute demande doit passer par deux degrés de juridiction: voilà la règle générale. Cette règle est invariable en ce sens qu'aucune cause n'est soumise à trois degrés, qu'aucune cause n'est soumise à deux appels. Au contraire, cette règle reçoit exception en ce sens que certaines causes ne sont soumises qu'à un degré de juridiction.

Ainsi, d'abord, des lois ou des dispositions spéciales ont fait des exceptions au principe des deux degrés de juridiction. Par exemple, la loi du 7 septembre 1790, art. 2, veut que les actions civiles entre le Trésor et les contribuables, relatives à la perception des impôts indirects, soient jugées sans appel par les tribunaux civils d'arrondissement. De même, une loi postérieure, relative à la poursuite des droits d'enregistrement, la loi du 22 frimaire an VII, art. 64 et 65, décide que les contestations relatives à la perception de ces droits seront jugées en premier et en dernier ressort par les tribunaux civils d'arrondissement.

Dans ces deux cas, quelle que soit la quotité de l'intérêt en litige, aucun appel n'est admis, et ce jugement, rendu par le tribunal d'arrondissement en faveur du Trésor ou du contribuable, ne peut être attaqué que par la voie de cassation, en cas de violation de la loi ou d'infraction à ses prescriptions. * Il faut ajouter à ces exceptions à la règle des deux degrés de juridiction, celles qui résultent des art. 652, 703, 730 du Code de procédure rectifiés par les lois des 2 juin 1841, et 24 mai 1842. *

A part ces règles spéciales, relatives à la nature même de l'intérêt en litige, c'est toujours sur la quotité et non pas sur la nature de cet intérêt, c'est touours sur l'importance pécuniaire de l'affaire que se détermine la question de savoir si le jugement est en premier ou en dernier ressort. A ce point de vue,

la loi du 11 avril 1838, qui abroge l'art. 5 du titre IV, de la loi du 16-24 août 1790 (1), apporte une dérogation bien plus large à la règle de l'appel : voici le texte de son art. 1er:

« Les tribunaux civils de première instance connaîtront, en dernier ressort, des actions personnelles et mobilières, jusqu'à la valeur de 1,500 fr. de principal, et des actions immobilières, jusqu'à 60 fr. de revenu déterminé, soit en rentes, soit par prix de bail. - Ces actions seront instruites et jugées comme matières sommaires. >>

Cette loi dispense donc de l'appel toutes les affaires dont la valeur ne dépasse pas un certain chiffre.

On a critiqué cette base adoptée par la loi de 1838, comme par celle de 1790 et qui consiste à décider uniquement par le montant précis de l'intérêt pécuniaire le point de savoir s'il y aura ou s'il n'y aura pas lieu à l'appel. On comprendrait, a-t-on dit, que la loi, autorisant les juges à statuer, tantôt en premier ressort, tantôt à la charge d'appel, appuyât la distinction sur le plus ou moins de simplicité, ou, au contraire, sur le plus ou moins de difficulté de l'affaire. On comprendrait que, quand l'affaire, par sa nature même, est simple, claire, d'une décision facile, la loi se relâchàt alors de la garantie générale des deux degrés de juridiction; que, au contraire, toutes les fois que l'affaire présente des caractères de complication, de difficulté, la loi exigeât cette garantie des deux degrés. Mais pourquoi, dit-on, faire dépendre cette question du plus ou moins de valeur de l'intérêt en litige? De deux choses l'une ou les deux degrés de juridiction paraissent au législateur la garantie nécessaire d'une bonne justice, et alors il faut toujours les exiger; ou bien cette garantie paraît sans importance, et alors pourquoi l'exiger jamais? Est-ce parce que la somme inférieure à 1,500 fr., par exemple, a moins d'importance? Mais une somme, un intérêt, un litige quelconque n'a jamais par lui-même une valeur absolue; un intérêt de 1,500 fr. peut avoir, pour celui qui le débat, plus d'importance, plus de gravité qu'un intérêt de 20,000 ou de 30,000 fr. n'en aurait pour un autre.

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Ces critiques ne sont pas très-fondées; c'est, je crois, mal saisir la pensée du législateur, dans l'art. 1er de la loi de 1838, que de s'appuyer sur cette idée, qu'une somme de 1,500 fr. peut être, et est, en effet, pour tel une somme bien plus importante que 20,000 pour un autre ; ce n'est pas dans l'idée que la somme est plus ou moins forte qu'il faut rechercher le motif du premier ou du dernier ressort; c'est dans cette idée que, soit que la somme présente, soit qu'elle ne présente pas une grande importance relative pour celui qui la réclame, l'important est, avant tout, d'empêcher que l'objet du litige ne soit consommé par les frais qu'entraînerait une instruction prolongée plus longtemps; dès lors, c'est évidemment à une somme fixe qu'il devient nécessaire de s'attacher. C'est avec raison, je crois, qu'on a dispensé de l'appel la contestation d'une valeur assez modique pour qu'on pût craindre, en autorisant l'appel, que la plus grande partie de l'objet en litige ne disparût dans les frais du procès.

(1) Art. 5, tit. IV, 1. de 1790: « Les juges de district connaitront, en premier et dernier ressort, de toutes les affaires personnelles et mobilières, jusqu'à la valeur de 1,000 11vres de principal, et des affaires réelles, dont l'objet principal sera de 50 livres de revenu déterminé soit en rentes, soit par prix de bail. »

Remarquez d'abord qu'en plaçant sous l'art. 1er de la loi de 1838, le siége des questions que nous devons parcourir, nous devons cependant donner à ces questions et aux solutions qu'elles recevront une application bien plus générale. Les questions que soulève cet art. 1er, pour savoir si un tribunal d'arrondissement statue en premier ou en dernier ressort, reparaissent sous l'art. 404, par exemple, pour déterminer si telle matière doit ou non être jugée comme sommaire; en effet, notre art. 1er, in fine, classe les demandes qu'il mentionne parmi les matières sommaires. De même, quand il s'agit de déterminer si un juge de paix a pu statuer en premier ou dernier ressort, c'est-à-dire si l'intérêt du litige était inférieur à 100 francs, les mêmes questions et les mêmes solutions se présentent. De même, enfin, quand il faut savoir si une cause purement personnelle est de la compétence des juges de paix ou des tribunaux d'arrondissement, c'est-à-dire si elle n'excède pas ou si elle excède 200 francs, ce sont encore les mêmes questions. Dans tous ces cas, la quotité du chiffre varie: mais ces variations sont tout à fait indifférentes aux questions de principes que soulève cette détermination, cette fixation par voie de quotité. J'ai donc réuni ces questions sous l'art. 1er de la loi de 1838, parce que c'est à propos de cet article que la pratique les soulève le plus souvent, et avec le plus d'intérêt.

Renfermons-nous donc dans le texte de cet art. 1er, et attachons-nous à saisir le sens de la limitation posée par la loi entre le premier et le dernier ressort. Le texte de cet art. 1er distingue deux cas, les actions personnelles et mobilières pour lesquelles les tribunaux d'arrondissement sont compétents, en dernier ressort, jusqu'à concurrence de 1,500 fr., et les actions immobilières pour lesquelles ils sont compétents jusqu'à concurrence de 60 fr. de revenu déterminé par rente ou par prix de bail.

Ainsi l'action est-elle mobilière ? Alors le tribunal statuera en premier et dernier ressort, lorsque l'objet de l'action n'excédera pas 1,500 francs de principal; je reviendrai tout à l'heure sur ce dernier mot. L'action est-elle immobilière ? Alors on ne s'attache plus à la valeur de l'immeuble, qui fait l'objet de l'action, parce que cette valeur ne pourrait être déterminée que par des estimations, des expertises qui consommeraient souvent une très-grande partie de la valeur de l'immeuble; mais la valeur de cet immeuble ne peut être évaluée que par le revenu n'excédant pas 60 francs, et ce revenu doit être déterminé ou par rente, ou par prix de bail. Si cette condition ne se rencontre pas, si l'on ne constate pas que l'immeuble n'excède pas, par rente ou par prix de bail, 60 fr. de revenu, la valeur de l'objet est indéterminée, et, dès lors, on rentre dans la règle, le jugement rendu est susceptible d'appel.

669. Partons d'abord du premier point, et attachons-nous aux actions mobilières, pour voir comment la valeur en sera déterminée. Une action mobilière est intentée contre vous, devant un tribunal d'arrondissement; comment saurez-vous si le tribunal appelé à statuer sur cette action statuera à charge d'appel, ou, au contraire, en dernier ressort ?

D'abord, si l'objet réclamé est de l'argent, rien de plus facile; sa nature même ici désigne clairement sa valeur. Demande-t-on plus ou moins de 1,500 francs? Lors même que la demande n'a pas pour objet de l'argent, il est possible que sa valeur soit clairement déterminée, si par exemple, on demande une cer

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