Page images
PDF
EPUB

ties, et l'art. 1004 trace des limites qui se rattachent un peu plus directement à la nature du compromis.

« Art. 1003. Toutes personnes peuvent compromettre sur les droits dont elles ont la libre disposition.

[ocr errors]

La première conséquence, c'est que le compromis ne peut être consenti ni par le mineur ni pour lui; par le mineur, frappé par le droit civil d'une entière incapacité, il n'y a rien de si simple; ni même pour le mineur par son tuteur, on le comprend aisément, car le tuteur n'a dans aucun cas la libre disposition des droits et biens de son mineur. Ainsi, non-seulement s'il s'agit d'un droit ou intérêt immobilier, mais même s'il s'agit d'un droit uniquement mobilier, le tuteur n'aura pas qualité pour compromettre, pour soustraire l'examen de la cause qui intéresse son pupille à la juridiction des tribunaux ordinaires. Le tuteur peut, il est vrai, d'après l'art. 464 du Code Napoléon, acquiescer à une demande mobilière formée contre son mineur; cet article, en lui défendant d'acquiescer aux demandes immobilières sans une autorisation, lui permet, à contrario, d'acquiescer seul à une demande toute mobilière. Mais le droit d'acquiescer ne renferme pas, n'entraîne pas le droit de compromettre; l'acquiescement du tuteur donné en justice à une demande mobilière n'entraîne pas, pour le mineur, la perte immédiate de ce droit; cet acquiescement n'enlève pas au tribunal le droit d'examiner la réalité des prétentions de l'adversaire; cet acquiescement ne dispense pas d'entendre les conclusions du ministère public nécessaires dans toutes les causes de mineurs, aux termes de l'art. 83; il n'y a donc pas à argumenter de l'acquiescement au compromis (1).

De même, non-seulement le tuteur ne peut pas, seul, sans autorisation, sans concours, consentir un compromis; il ne le pourrait même pas en s'entourant des garanties que la loi a exigées pour les actes de la plus haute gravité. Ainsi, aux termes de l'art. 467 du Code Napoléon, le tuteur peut transiger pour son pupille, en réunissant, bien entendu, toutes les sûretés, toutes les garanties énumérées par cet article: autorisation du conseil de famille, avis de trois jurisconsultes, homologation du tribunal, homologation subordonnée elle-même à l'accomplissement de certaines formalités. Mais le tuteur ne pourrait pas, même en suivant les règles tracées pour la transaction, le tuteur ne pourrait pas compromettre. Une raison de texte se trouve d'abord écrite dans l'art. 1989 du Code Napoléon ; vous y voyez que le pouvoir de transiger, donné à un mandataire, ne lui confère pas le pouvoir de compromettre. Or, ce que l'art. 1989 dit du mandataire conventionnel, qu'il a principalement en vue, s'applique naturellement au mandataire, au représentant légal, au tuteur pour les droits de son pupille. Il y en a d'ailleurs une raison fort simple: quand on transige, on connait au juste et d'avance à quels sacrifices on se soumet; au contraire, quand on compromet, quand on souscrit à un arbitrage, on s'oblige par avance à se soumettre à une décision encore inconnue, on s'impose d'avance des sacrifices dont il est impossible de mesurer l'étendue. On comprend donc qu'il n'y ait pas à argumenter, en matière de compromis, de la faculté de transiger accordée au tuteur par l'art. 467.

(1) C. de Bourges, 18 décembre 1840 (Dall., Rép., vo Arbitrage, no 246).

La même décision doit s'appliquer à l'interdit (art. 509, C. N.).

A l'égard du mineur émancipé il y a quelques distinctions à faire : En principe, le mineur émancipé, même assisté de son curateur, n'a pas plus que le tuteur du mineur non émancipé faculté de compromettre, faculté de souscrire un arbitrage. La raison en est toujours la même ; c'est que le mineur émancipé, bien qu'investi de plus de liberté que le mineur en tutelle, ne peut cependant pas, même avec l'assistance dont la loi veut l'entourer, disposer gratuitement des droits qui lui appartiennent. Ainsi, en principe, l'incapacité de compromettre s'applique également à lui.

Nous ferons cependant exception à l'égard des contestations qui concernent ses revenus les art. 481 et suivants du Code Napoléon déterminant sa capacité lui laissent pour ses revenus une plénitude de liberté qui paraît entraîner, de sa part, faculté de compromettre sur ce point. Vainement on invoque l'art. 83 combiné avec l'art. 1004 ; d'après l'art. 83, le ministère public doit être entendu dans toutes les causes qui intéressent les mineurs émancipés ou non émancipés ; et, d'après l'art. 1004, le compromis est impossible dans toutes les causes où il y a lieu aux conclusions du ministère public. Mais, malgré la généralité de l'art. 83, je ne pense pas que les conclusions du ministère public soient nécessaires dans les causes du mineur émancipé, lorsque ces causes sont purement relatives à la perception des revenus de ce mineur ayant qualité pour en disposer; on ne voit pas la nécessité de ces conclusions; on ne voit pas la nécessité d'appliquer au mineur émancipé les derniers mots de l'art. 1004. Mais, à part cette exception, l'incapacité de compromettre s'applique pleinement au mineur émancipé.

1179. La question peut encore se présenter à l'égard de deux incapables, savoir la femme mariée et le prodigue.

A l'égard de la femme mariée, l'incapacité de compromettre sans l'autorisation dn mari est en général la conséquence de l'incapacité de contracter; cette incapacité, quoique fondée sur un principe différent de celle dont est frappé le mineur, n'en est pas moins fort analogue et presque identique dans ses effets, du moins dans le droit de compromettre. Cependant, comme la femme mariée, lorsqu'elle est séparée de biens, soit par contrat de mariage, soit par un jugement postérieur, peut, d'après l'article 1449 du Code Napoléon, disposer librement de son mobilier, on ne voit pas pourquoi elle n'aurait pas le droit de compromettre sur ce mobilier. Il est vrai que compromettre, c'est à quelques égards plaider; c'est plaider, non pas devant des tribunaux, mais au moins devant les arbitres; or, la femme mariée, quoique séparée de biens, ne peut jamais plaider sans autorisation; le principe s'applique même à la femme commerçante, quelque large que soit la capacité d'aliéner que la loi lui ait accordée.

Mais je crois qu'ici il faut appliquer l'art. 1449, et non pas l'art. 215 du Code Napoléon. La femme mariée séparée de biens peut aliéner son mobilier; mais elle ne peut plaider, même sur son mobilier qu'elle est libre d'aliéner. Mais quel est ce motif d'incapacité de plaider? L'incapacité de la femme ne tient point à son inexpérience; elle tient tout entière à l'autorité maritale, on conçoit donc que, dans le cas même où la femme mariée est déclarée libre d'aliéner, on la déclare cependant incapable de plaider. Pourquoi ? Pour qu'elle ne puisse pas,

38

sans autorisation maritale, se jeter dans la publicité des débats judiciaires : c'est une raison de pure convenance, et non pas une raison d'incapacité proprement dite, qui interdit à la femme, même séparée de biens, même commerçante, tout accès près des tribunaux. Or, cette raison est inapplicable à l'arbitrage, aux contestations secrètes, privées, auxquelles le compromis la soumet; le droit de compromettre dérive uniquement du droit d'aliéner, et nous déciderons, sans être arrêtés par l'art. 215, que la femme mariée, ordinairement incapable de compromettre, parce qu'elle est ordinairement incapable d'aliéner, redevient cependant capable de compromettre dans les limites exceptionnelles où elle peut aliéner. Ainsi, la femme commerçante pourra librement compromettre sur les affaires de son commerce. De même, la femme séparée de biens, non commerçante, pourra, en -vertu de l'art. 1449, compromettre sur des droits purement mobiliers qu'elle est libre d'aliéner sans autorisation (1).

Enfin, quant au prodigue, soumis, en vertu de l'art. 513 du Code Napoléon, à l'assistance d'un conseil judiciaire, nous dirons qu'il peut toujours compromettre pour les actes qu'il est libre de faire, pour les droits qu'il peut aliéner sans l'assistance de ce conseil. Ainsi, le prodigue peut très-bien, sans assistance de son conseil, donner décharge, ou même faire remise de ses revenus ; il pourra, sans assistance, compromettre sur ses revenus. Mais le prodigue ne peut pas, sans assistance de ce conseil, aliéner, hypothéquer, consentir des droits plus importants; il ne pourra donc pas, sans assistance du même conseil, compromettre sur ces droits; mais, avec cette assistance, il le pourra sans difficulté. Vous savez que l'incapacité dont le prodigue est frappé ne doit se confondre ni avec celle du mineur en tutelle, ni même avec celle du mineur émancipé.

→ 1180. Voilà, pour ce qui tient à l'incapacité des personnes, les premières exceptions, renfermées implicitement dans l'art. 1003, à la faculté générale de consentir un compromis. D'autres exceptions à cette faculté de compromettre sont énumérées dans l'art. 1004, et elles tiennent, partie à l'incapacité personnelle de disposer, partie à la nature de certains droits que la loi dérobe à la libre action, à l'empire ordinaire des conventions entre particuliers.

Art. 1004. On ne peut compromettre sur les dons et legs d'aliments, logement et vêtements, sur les séparations d'entre mari et femme, divorce, questions d'État, ni sur aucune des contestations qui seraient sujettes à communication au ministère public.

On ne peut compromettre sur les dons et legs d'aliments, logement et vêtements. Sous ce rapport, l'art. 1004 va plus loin que l'art. 1003; cette prohibition ne pouvait résulter du texte de l'art. 1003. Les dons, les legs d'aliments, logement et vêtements ne sont pas inaliénables; le légataire peut y renoncer, le légataire peut aliéner son droit, et, cependant, la loi lui défend de compromettre à cet égard. La raison en est fondée sur le caractère de nécessité que la loi répute toujours inhérent à cette nature de legs, caractère qui déjà, dans l'art. 581, a servi à expliquer la prohibition de saisir-arrêter contenue dans cet article.

La loi romaine avait déjà présenté cette même idée, mais en lui donnant plus

(1) * L'opinion contraire est plus généralement admise, par application de l'art. 215 (C. N.). Et il me semble, en effet, que plaider devant arbitres, c'est toujours plaider, et même sans les garanties qu'offrent aux parties fes tribunaux ordinaires. *

de force. Ainsi, la loi 8 (Digeste, De transactionibus) défendait de transiger sans l'autorisation du Préteur sur les dons et les legs de nature alimentaire. Transiger, nous l'avons déjà dit, c'est moins que compromettre: transiger, c'est consentir des sacrifices qui, en général, ne sont pas sans réciprocité, et dont on peut mesurer la portée avec certitude.

Le Code Napoléon n'a pas reproduit cette prohibition; il ne défend pas d'aliéner en tout ou en partie, par une transaction, les droits alimentaires dont parle l'art. 1004. Mais, en laissant la transaction dans le domaine commun, il n'y laisse pas le compromis; bien qu'il soit permis de transiger, il est défendu de compromettre sur cette nature de droits. C'est en ce sens que l'art. 1004 va plus loin que l'art. 1003; il soustrait à l'empire du compromis des droits dont, à tout autre égard, le propriétaire aurait la libre et pleine disposition.

Sur les séparations d'entre mari et femme. Ceci s'applique, soit aux séparations de corps, soit même aux simples séparations de biens.!

Pour les séparations de corps, il ne peut y avoir de doute. Ainsi, d'après les derniers mots de l'art. 1004, il est défendu de compromettre sur toutes les causes que la loi déclare communicables au ministère public; or, l'art. 879 veut que, dans toute demande en séparation de corps, le ministère public soit entendu. La combinaison de l'art. 879 avec les derniers mots de l'art. 1004 suffisait déjà pour frapper de nullité tout compromis sur une demande en séparation de corps. Mais il faut appliquer la même prohibition aux demandes en séparation de biens; et cela, d'abord parce que la loi ne distingue pas, parce que ces mots : les séparations d'entre mari et femme, s'appliquent également à l'une et à l'autre séparation. Une autre raison, plus décisive, se tire du § 2 de l'art. 1443 du Code Napoléon; toute séparation de biens volontaire est déclarée nulle par cet article; or, ce serait arriver, au moins par une voie indirecte, à cette séparation con ventionnelle que l'art. 1443 interdit, que de pouvoir la faire résulter d'un jugement arbitral, d'un compromis, dont la source unique est le consentement des parties.

Questions d'État. De même pour les questions d'État; mais c'est là une mention assez inutile quand on s'attache aux derniers mots de l'article. C'est tou jours la même idée : toute cause qui est communicable au ministère public n'est pas susceptible de compromis; or, les instances relatives à ces questions d'État sont soumises à cette communication par le § 2 de l'art. 83.

Enfin, quant à ces mots : Ni sur aucune des contestations qui seraient sujettes à communication au ministère public, il y a là, vous le voyez, un renvoi général à tous les paragraphes de l'art. 83, contenant certaines matières non susceptibles de compromis, les unes à raison de la qualité des parties, les autres à raison de la nature de l'affaire qu'on voudrait soumettre au compromis.

Telles sont les exceptions que nos deux articles, en développant la règle de la loi de 1790, apportent à la faculté générale de compromettre.

1181. Quelle est la sanction de ces prohibitions; quelle est la conséquence de ces exceptions? Le compromis, consenti dans les cas qui en sont excep. tés par les art. 1003 et 1004, sera-t-il absolument nul? le jugement arbitral, rendu sur un tel compromis, sera-t-il non avenu? A cet égard, il parait raisonnable de distinguer:

La nullité du compromis se fonde-t-elle sur la nature de l'affaire, sur le caractère même de la cause qu'on y a mal à propos soumise? alors il est certain que le compromis, et tout ce qui a suivi, sont également nuls : c'est-à-dire que chacune des parties intéressées peut invoquer et faire déclarer cette nullité.

Que si, au contraire, on prétend faire résulter l'exception du droit de compromettre, et par conséquent la nullité du compromis souscrit, non pas de la nature de l'affaire, du caractère de la cause, mais bien de l'incapacité de l'une des parties qui ont souscrit le compromis, alors la nullité n'est pas pleine, entière, absolue; alors elle est régie par le principe général de l'art. 1125 du Code Napoléon, d'après lequel l'incapable seul est autorisé à attaquer, pour cause d'incapacité, les engagements qu'il a souscrits. Si, par exemple, il s'agit d'un compromisouscrit par un mineur, ou pour un mineur, nous permettrons bien à ce mineur, ou à ses représentants, d'attaquer le jugement arbitral rendu sur ce compromis; nous le permettrons, sauf la question générale sur la nécessité de la lésion, question de droit civil et non pas de procédure. Mais nous ne permettrons pas à la partie majeure, capable, maîtresse de ses droits, qui a souscrit le compromis conjointement avec le mineur, de se faire de l'incapacité de son adversaire un moyen d'attaquer la convention souscrite par lui. Ce n'est là qu'une application d'un principe général qui vous est déjà connu, un principe que l'art. 1125 avait emprunté au texte des Institutes de Justinien.

Mais, dans ces deux cas, soit qu'il s'agisse d'une nullité pleine, complète, fondée sur la nature de la cause, par exemple dans une séparation de corps ou de biens, soit qu'il s'agisse d'une nullité personnelle, relative, fondée sur l'incapacité, par quelle voie devra-t-on attaquer le jugement arbitral rendu sur un tel compromis?

Cette voie est indiquée par l'art. 1028, c'est l'opposition que doit faire la partie à l'ordonnance d'exequatur dont toute sentence arbitrale doit nécessairement être revêtue, opposition portée aux termes de l'art. 1028, devant le tribunal dont le président a rendu l'ordonnance d'exequatur nécessaire à ce jugement (V. n° 1210).

→ 1182. « Art. 1005. Le compromis pourra être fait par procès-verbal devant les arbitres choisis, ou par acte devant notaires, ou sous signature privée. »

La rédaction de cet article est de nature à laisser quelque équivoque sur la portée précise des termes qu'il a employés. Le compromis est une convention, ou plus exactement un contrat; or, d'après l'art. 1108 du Code Napoléon, les conditions essentielles à un contrat sont : l'objet, la cause, le consentement, la capacité. Quant à la constatation du contrat par écrit, l'écriture ne se présente ordinairement que comme un moyen de preuve; ce n'est que dans des cas exceptionnels que l'écriture constitue une condition de l'existence même du

contrat.

Dans quel sens faut-il donc entendre l'art. 1005 ? Veut-on dire que le compromis n'existera, qu'il n'y aura vraiment contrat, que quand on aura rédigé la convention des parties dans l'une des trois formes indiquées par l'art. 1005; ou bien les trois genres d'écriture dont il est ici question ne sont-ils, comme dans la plupart des conventions ordinaires, que des moyens de preuve, à défaut des

« PreviousContinue »