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la tierce opposition, dans la matière des pourvois en cassation. En examinant plus tard cette procédure, nous verrons que le pourvoi en cassation n'est en général recevable qu'autant que le demandeur a consigné une amende qui varie selon certaines distinctions; elle est, par exemple, dans les cas les plus fréquents, de 150 francs. Vous verrez de plus, dans le règlement de 1738, qui est encore la loi en vigueur pour la procédure de la cour de cassation, que la cour de cassation, en rejetant le pourvoi, peut condamner le demandeur non-seulement à l'amende consignée, mais, si bon lui semble, à une amende supérieure, dont elle déterminera le montant. Eh bien! quoiqu'il n'y ait qu'un minimum de fixé, il est sans exemple que la cour de cassation, quelque mal fondés que fussent les pourvois, ait jamais dépassé le minimum. A plus forte raison en serait-il ainsi en matière de tierce opposition.

TRENTE-TROISIÈME LEÇON

TITRE II

DE LA REQUÊTE CIVILE.

728. La seconde des voies extraordinaires indiquées par le Code pour attaquer les jugements est la requête civile.

La requête civile, bien différente de la tierce opposition, est une voie ouverte contre les jugements ou arrêts, non point aux tiers, mais, au contraire, aux parties. La première condition exigée pour être recevable à employer la requête civile, c'est d'avoir été partie dans l'instance terminée par le jugement qu'on prétend attaquer par cette voie. Et, quand je dis, avec l'art. 480, que la requête civile est une voie ouverte aux parties, j'entends ce mot dans le même sens où il a dû être pris en matière de tierce opposition, c'est-à-dire qu'ici, comme précédemment, on aura pu être partie dans une instance ou par soi-même, ou par ses mandataires conventionnels ou légaux, ou enfin par ceux qu'on représente, dont on est l'ayant cause, soit à titre universel, soit à titre particulier. Or de même que, dans ces diverses hypothèses, on n'est pas recevable à former tierce opposition, de même, à l'inverse, pour être admis à la requête civile, il faut avoir été partie de l'une de ces manières, dans le jugement ou arrêt qu'on prétend attaquer par cette voie.

Secondement, la requête civile est une voie ouverte aux parties, non pas contre toute espèce de jugements ou d'arrêts, mais seulement contre les jugements ou arrêts en dernier ressort, comme nous le verrons sur le 1er alinéa de l'art. 480. Le but de la requête civile est de faire rétracter le jugement ou l'arrêt attaqué par le tribunal même qui l'a rendu.

729. Ce mot de requête civile, qui ne présente qu'une acception assez vague, a été puisé dans l'ancienne jurisprudence et dans des usages maintenant à peu près abrogés. Précisément parce que cette voie n'était ouverte, par la procédure

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ancienne, comme elle ne l'est par la procédure moderne, que contre des décisions souveraines, on tenait qu'une permission, une autorisation spéciale, émanée du pouvoir souverain, était un préalable essentiel pour pouvoir entamer cette procédure; on tenait que, de même que les contrats ne pouvaient être attaqués pour cause de dol, d'erreur, de lésion, de minorité, qu'en vertu d'une permission préalable du roi, de même cette permission était nécessaire pour pouvoir lutter avec succès, dans les cas spéciaux de requête civile, contre les jugements ou arrêts qui avaient force de chose jugée. De là, la nécessité autrefois imposée, et notamment par l'ordonnance de 1667, dont vous pourrez consulter avec fruit le titre XXXV, la nécessité imposée autrefois à toute partie qui voulait attaquer une sentence par la requête civile, d'obtenir, au préalable, des lettres appelées dans l'usage Lettres royaux, des lettres délivrées par les chancelleries, condition nécessaire pour se servir de cette procédure. Ces lettres étaient délivrées sur une requête, et renfermaient d'ailleurs la copie ou la transcription de la requête; à cause de cette circonstance, on les appelait Lettres en forme de requête civile, faisant allusion par le premier de ces deux derniers mots à la requête présentée par l'exposant à la chancellerie; quant à l'épithète ou adjonction de civile, ajoutée au mot requête, elle vient, selon les commentateurs et notamment selon Rodier, de ce qu'il était défendu de se servir dans cette requête d'aucune expression injurieuse contre la sentence attaquée. Telle est l'étymologie du mot Requête civile que le Code a consacré.

Les lettres qui s'accordaient avaient fini par n'être plus qu'une formalité fiscale, qu'on devait nécessairement supprimer. La suppression de ces lettres a été prononcée par la loi du 7 septembre 1790, art. 20 et 21. Ainsi, maintenant, aucune démarche préalable auprès du gouvernement n'est nécessaire, ou même n'est possible pour introduire une demande en requête civile. Nous verrons sur l'art. 483 que l'ancien usage des lettres a laissé quelque vestige dans le Code.

→730. Voici donc l'idée générale de la requête civile: c'est un moyen d'attaque, dirigé par une partie contre un jugement ou un arrêt inattaquable par les voies ordinaires, un moyen d'attaque qui, d'après la définition précédente, n'est évidemment autorisé que par exception, dans certains cas spécialement déterminés.

« Art. 480. Les jugements contradictoires rendus en dernier ressort par les tribunaux de première instance et les cours impériales, et les jugements par défaut rendus aussi en dernier ressort, et qui ne sont plus susceptibles d'opposition, pourront être rétractés sur la requête de ceux qui auront été parties ou dûment appelés, pour les causes ci-après : 10 S'il y a eu dol personnel. 2o Si les formes prescrites à peine de nullité ont été violées, soit avant, soit lors des jugements, pourvu que la nullité n'ait pas été couverte par les parties. 3o S'il a été prononcé sur choses non demandées. — 4o S'il a été adjugé plus qu'il n'a été demandé. 5o S'il a été omis de prononcer sur un des chefs de demande. — 6o S'il y a contrariété de jugements en dernier ressort, entre les mêmes parties et sur les mêmes moyens, dans les mêmes cours ou tribunaux. - 7° Si, dans un même jugement, il y a des dispositions contraires. -8° Si, dans les cas où la loi exige la communication au ministère public, cette communication n'a pas eu lieu, et que le jugement ait été rendu contre celui pour qui elle était ordonnée. 9o Si l'on a jugé sur pièces reconnues ou déclarées fausses depuis le jugement. 10° Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives, et qui avaient été retenues par le fait de la partie.»

Le premier alinéa de l'article indique d'abord contre quels jugements la requête civile est admise.

La loi parle de jugements contradictoires rendus en dernier ressort, soit par les tribunaux de première instance, soit par les cours impériales; d'où vous devez conclure avec assurance que la requête civile n'est jamais autorisée, au moins dans les divers cas qu'énumère l'art. 480, contre les jugements rendus en première instance, et contre lesquels on a négligé d'employer l'appel dans le délai de deux mois. Ainsi, lorsque dans un jugement rendu en premier ressort se rencontre l'un des vices qui, d'après l'art. 480, constituent des ouvertures de requête civile, cependant ce jugement ne peut être attaqué par cette voie, ni pendant les délais de l'appel, parce que la voie ordinaire doit toujours être préférée, ni même après les délais d'appel, parce que la partie qui a négligé d'employer la voie ordinaire n'est plus recevable à employer ensuite la voie extraordinaire (1). Notez bien, au moins en matière de jugements contradictoires, qu'il est absolument nécessaire que la voie ordinaire ne soit pas ouverte ou n'ait pas été ouverte contre le jugement pour que la voie extraordinaire de la requête civile puisse être accordée.

Le même raisonnement semblerait nous conduire à penser que, dans le cas d'un jugement rendu par défaut et renfermant l'un des vices que nous allons plus tard examiner, la requête civile n'est recevable ni pendant le délai de l'opposition, parce que la voie ordinaire est alors ouverte, ni même après l'expiration de ce délai, parce qu'on devrait, ce semble, imputer à la partie défaillante d'avoir négligé l'emploi de la voie d'opposition. Mais ce raisonnement d'analogie serait démenti par le texte ; dans la seconde partie de son premier alinéa, l'art. 480 autorise expressément la voie de la requête civile contre les jugements par défaut rendus en dernier ressort et qui ne sont plus susceptibles d'opposition. Il est donc vrai de dire que, si la partie défaillante ne peut invoquer la requête civile tant que l'opposition lui reste ouverte, elle peut à l'inverse attaquer par la requête civile le jugement qu'elle a négligé d'attaquer par la voie de l'opposition. En d'autres termes, la loi ne fait pas pour l'opposition le même raisonnement qu'elle a fait pour l'appel, apparemment parce que, les délais d'opposition étant beaucoup plus courts, et le défaillant ayant pu quelquefois ignorer le jugement (V. no 323), on n'a pas entendu attacher la même peine à la négligence de la partie dans le dernier cas que dans le premier.

Ainsi, 1o jugements contradictoires rendus en dernier ressort, c'est-à-dire sans possibilité d'appel; 2° jugements par défaut rendus en dernier ressort et contre lesquels on a négligé d'employer, dans les délais voulus, la voie de l'opposition: telles sont les deux classes de décisions judiciaires que la loi permet d'attaquer par la voie de la requête civile.

931. Le texte parle, d'ailleurs, soit des arrêts de cours impériales qualifiés ici par l'expression générique de jugements, soit aussi des jugements proprement dits émanés des tribunaux de première instance, dans le cas, bien entendu, où ces tribunaux avaient qualité pour juger en dernier ressort. Sous ce rapport, l'expression usuelle de première instance, employée par l'art. 480, est évidem(1) Cass., Rej., 21 juin 1827. Grenoble, 24 février 1827, Journal du Palais. - Cass., Rej., 13 novembre 1848, Journal du Palais, t. II, de 1849, p. 211.

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ment inexacte; il s'agit ici de jugements rendus par les tribunaux civils d'arrondissement en premier et en dernier ressort à la fois; c'est ce qui résulte bien clairement du texte.

Mais que déciderons-nous, 1° pour les jugements des tribunaux de commerce; 2° pour les jugements des juges de paix ; 3° enfin, pour les décisions arbitrales, dans tous les cas où ces différentes décisions auront été rendues en dernier ressort, conformément à l'art. 480 ? Sera-t-il permis, dans le silence de cet article, d'invoquer contre ces diverses décisions la voie de la requête civile ?

A l'égard des décisions arbitrales, l'art. 1026 autorise formellement contre elles l'emploi de la requête civile ; seulement il indique, dans la compétence du tribunal de la requête civile, une modification qu'exigeait la nature même du jugement arbitral. Ainsi, il n'est pas douteux qu'à l'art. 480 ne doive s'ajouter l'art. 1026, relativement à l'emploi de cette voie contre les décisions arbitrales. A l'égard des tribunaux de commerce et des juges de paix, la question est plus douteuse; car le silence de l'art. 480 n'est suppléé par aucun texte. Cependant il faut, je crois, reconnaître, au moins pour les tribunaux de commerce, que la requête civile peut être employée contre leurs décisions en dernier ressort ; on peut, à cet égard, s'appuyer du texte même de l'art. 480, dont les expressions bien entendues sont générales. L'article nous parle des cours impériales et des tribunaux de première instance, et, quoique dans l'usage commun on entende ordinairement par tribunaux de première instance les tribunaux civils d'arrondissement, il est cependant vrai de dire que, dans son sens général, cette locution peut embrasser aussi les tribunaux de commerce, et que, d'ailleurs, ces tribunaux étant placés, quant à l'importance de leur compétence, absolument sur la même ligne que les tribunaux civils, on ne voit guère de raison pour refuser dans un cas la requête civile, qu'on accorde dans l'autre. J'inclinerais donc, tout en reconnaissant que l'article n'est pas formel, qu'il peut y avoir quelque doute sur la question, j'inclinerais donc à considérer les tribunaux de commerce comme compris dans les expressions générales de notre article, Tribunaux de première instance (1).

J'ajouterai cependant que, dans la procédure à suivre pour la requête civile dirigée contre une décision en dernier ressort d'un tribunal de commerce, se présenteront nécessairement quelques modifications, quelques dérogations à la procédure ordinaire, puisqu'une partie des formalités que nous verrons exposées dans ce titre sont d'une application impossible devant les tribunaux de commerce. Mais cette difficulté, n'arrêtant pas la loi quand il s'agit de jugements arbitraux, ne doit pas nous arrêter quand il s'agit des jugements des tribunaux de commerce.

Al'égard des justices de paix, les textes nous manquent complétement; il est impossible de renfermer dans les expressions de l'art. 480, Tribunaux de première instance, les décisions des justices de paix, auxquelles ce nom n'est jamais appliqué. Ajoutez que, comme la requête civile n'est jamais autorisée que contre des décisions rendues en dernier ressort, comme d'ailleurs les juges de paix ne

(1) Cass., 24 août 1819. - C. de Toulouse, 21 avril 1820. Paris, 28 juillet 1826, Journal du Palais. Cass., Rej., 20 mars 1850 (Dall., 1850, 1, 319). Contrà, C. de Toulouse, 19 janvier 1818, Journal du Palais.

peuvent statuer en dernier ressort que jusqu'à une valeur de 100 fr., on s'explique aisément que la loi n'ait pas ouvert cette voie exceptionnelle et coûteuse contre les jugements et dans les affaires d'une si minime importance. Il est clair, en effet, que, si le juge de paix a statué au-dessus de 100 francs, sur une matière importante, et par conséquent à charge d'appel, la requête civile sera ouverte contre le jugement rendu, sur l'appel, par le tribunal civil d'arrondissement, s'il y a lieu. On ne voit donc aucun texte qui autorise à se pourvoir par requête civile contre les sentences rendues en dernier ressort par les juges de paix, et l'importance minime de la valeur de ces sentences ne laisse à cet égard aucun regret.

732. La requête civile, étant une voie extraordinaire, n'est admise que dans les cas expressément déterminés par la loi ; l'énumération de ces cas fait l'objet des dix paragraphes de l'art. 480, et aussi de l'art. 481.

Les jugements pourront être rétractés sur la requête civile de ceux qui auront été parties ou dûment appelés, pour les causes ci-après: ces derniers mots prouvent que c'est là essentiellement une voie exceptionnelle que nous ne devons pas étendre.

*Rétractés. La requête civile est toujours une voie de rétractation; elle se porte devant le tribunal qui a rendu le jugement attaqué (art. 490, 502). *

1° S'il y a eu dol personnel. Cette qualification ajoutée ici au dol peut d'abord surprendre; on ne voit pas pourquoi le texte ne se borne pas à dire : pourront être rétractés, 1° pour cause de dol. Par ce mot de dol personnel, on a dû vouloir exclure ce que les auteurs ont appelé et appellent encore parfois le dolus in re, c'est-à-dire le préjudice, la lésion éprouvée par une partie dans un contrat ou dans un jugement, mais sans aucune manœuvre, sans aucune fraude de la part de son adversaire; c'est là la simple lésion, qui, dans les contrats comme dans les jugements, diffère essentiellement du dol.

Peut-être ici a-t-on voulu exprimer que, dans les jugements, pour autoriser la requête civile, le dol devait émaner de la partie même au profit de laquelle le jugement a été rendu en d'autres termes, que si, dans une instance, je viens à succomber par suite des manœuvres frauduleuses employées contre moi, non pas par mon adversaire, mais par un tiers étranger à l'instance, le dol, n'étant pas personnel à l'autre partie, ne peut être à mon profit un moyen de faire rétracter le jugement rendu en faveur de celle-ci. Le dol, dans ce cas, pourra sans doute donner lieu, de ma part, contre son auteur, à une action de dommages-intérêts, mais non point à une action pour faire tomber un jugement rendu en faveur d'une partie qui n'a été ni l'auteur ni le complice du dol pratiqué. C'est au reste l'idée consacrée en droit civil, en matière de contrats; l'art. 1116 s'exprime formellement à cet égard:

«Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. » C'est là une condition essentielle à l'action en rescision à laquelle le dol donne lieu contre un contrat. La même idée s'applique en matière de jugements; il faut que la partie adverse ait été l'auteur ou le complice du dol.

Ajoutez encore, et toujours d'après l'art. 1116, qu'une grande analogie rap

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