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veaux Legats, Milon & Theodofe. Une droiture infléxible, un defintereffement parfait, une vertu folide, une grande ame étoient les qualitez du premier; le fecond paffoit pour être de ces gens qui fans faire de bruit ni meriter l'eftime de ceux qui n'aprofondiffent rien, fçavent par une politique fouple & équitable conduire & achever heureufement ce qu'ils entre prennent. Tous deux alloient être auffi terribles au Comte, qu'il croyoit les trouver favorables, aprés la refolution qu'il avoit prife de defarmer leur vertu par des fommes fi grandes & des établiffemens fi relevez, qu'il leur feroit impoffible d'y refifter.

Les deux Legats arrivant en France allerent demander au Roy fon agrément pour la publication de la Croifade contre le Comte de Toulouse. Ils lui reprefenterent qu'une Guerre fi fainte ne pouvoit manquer d'être heureuse, fi le plus grand Roy du Monde vouloit commander les Croifez. Philipe en Prince religieux aprouva le deffein de la Croifade, & en habile politique il refufa le commandement des Troupes. Ses deux Ennemis, Othon, qui prenoit le til

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tre d'Empereur, & Jean Roy d'Angleterre, étoient, comme il le dit aux Legats, deux lions trop animez contre fon Royaume pour qu'il le livrât à leur fureur; ce qui feroit infailliblement arrivé, s'il eut porté ses Armes jufqu'aux extrémitez du Languedoc.

Les Legats contens de la permiffion qu'on leur donnoit de faire prefcher la Croisade, n'infifterent pas fur la priere qu'ils faifoient au Roy de conduire lui-mefme l'Armée : Ils répandirent dans les Provinces de zélez Miffionnaires; & on peut dire, fans exagerer, que tous les Ecclefiaftiques. devinrent Prédicateurs pour annoncer les Indulgences que le Pape acordoit à ceux qui ferviroient pendant quarante jours contre-les Albigeois. La facilité qu'il y avoit à gagner en France ces pardons, qu'on eftimoit infiniment, & qu'on alloit auparavant chercher jufques dans la Paleftine, charmoit les Peuples. Ce n'eft pas que les Indulgences euffent plus de force au treizième Siecle que dans celui où nous vivons: mais elles étoient fort rares, & les hommes eftiment extraordinairement ce qu'ils

n'obtiennent qu'avec beaucoup de peine.

Raymond cependant étoit violem- Catel ment déchiré par l'inquietude que lui caufoit la nouvelle d'une Croifade. Car l'Herefie établie dans fes Etats, le meurtre d'un Legat, les Monafteres ruinez, des Eglifes changées en Citadelles, des Evefques emprifonnez & chaffez de leurs Sieges, des Juifs élevez aux premieres Charges & plufieurs autres démarches femblables qu'il avoit regardez jusqueslà comme autant de moyens permis pour établir fon autorité, lui parurent des crimes capables de revolter tous les hommes. Il avoit befoin d'u-ne puiffante protection; & n'y en ayant point d'auffi fûre que celle de Philipe, qui étoit en mefme tems fon plus proche parent, il le conjura de ne le point facrifier au reffentiment du Pape. On ne refufe gueres fa protection quand on trouve fon intereft: à la donner. Philipe fit entendre à Raymond que s'il vouloit rompre avec l'Empereur, on fe chargeroit de détourner l'orage qui grondoit fur fa tête, & qu'on le feroit éclater fur les autres Seigneurs Albigeois, en atten

dant qu'on pût ménager la Paix avec Rome. Ces offres augmentoient l'embarras du Comte, au lieu de le diminuer : Comme Seigneur du Languedoc, il étoit vaffal de Philipe; & comme Marquis de Provence, il étoit feudataire de l'Empire. D'ailleurs la puiffance de Philipe & celle d'Othon fembloient à peu prés égales; ils alloient fe faire la Guerre, & l'on ne fçavoit à qui des deux le Ciel feroit favorable. Il étoit de la prudence de ménager l'un & l'autre ; ce fut le parti que prit Raymond. Aprés avoir fait fa cour au Roy, il alla prefenter fes refpects à l'Empereur, & il eut le fort de ceux qui veulent demeurer neutres entre deux ennemis ; il ne gagna ni l'un ni l'autre. Othon ne lui promit point de Troupes, & Philipe indigné de voir le Comte balancer entre les interefts de la France & ceux d'Othon, l'abandonna.

Alors il fallut plier, en attendant de plus heureufes conjonctures. Raymond promit d'accepter fans delai les conditions aufquelles Rome voudroit lui acorder la Paix ; & paffant des promeffes à l'effet, il livra aux Miniftres du Pape fept Places de

Guerre pour gage de fa foy. De plus, il confentit que ces Places & la Comté de Melgevil apartinffent de plein droit à l'Eglife Romaine, fupofé qu'il violât jamais fa parole. Il convint mefme par un Acte fort fingulier, qu'en ce cas on pouroit l'excommunier, interdire fes Etats, & difpenfer fes Sujets de la fidelité qu'ils lui avoient promise.

Ce ne fut là toutefois que le prélude de fes humiliations; il figna un Traité, dans lequel il s'obligeoit de remettre les Evefques de Carpentras & de Vaifon, fes vaffaux & fes ennemis, dans tous leurs biens; de caffer les Troupes qu'il entretenoit, de regarder comme heretiques ceux que les Evefques auroient jugé tels, & de perfecuter enfin auffi vivement les Albigeois, qu'il les avoit tendrement aimez : moyennant quoi, on lui promit de fe reconcilier avec lui à Saint Gilles, petite Ville plus connuë aujourd'hui par le perfonnage qu'y fit alors ce Comte, que par la grandeur qu'elle avoit eu quelques fiecles auparavant fous les Rois Goths, qui la choifirent pour le lieu de leur fejour.

Catel.

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