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ce qui fit en tout environ cinq cent mille hommes.

Le Comte de Toulouse, que des forces fi confiderables étonnoient vint au devant du Duc de Bourgogne & des autres Princes jufqu'à Valence; où ni la Croix qu'il avoit pris comme eux, ni les offres qu'il fit de recevoir Garnifon dans fes Places, ou de donner fon Fils en ôtage, ou de demeurer lui-mefme au pouvoir des Croifez, ne convainquirent perfonne qu'il fût au fond de l'ame un vrai Catholique: Mais en recompenfe on le croyoit trop humilié pour ofer remuer à la vûë d'une Armée si nombreufe, & dans la crainte d'en attirerune plus formidable. On marcha de toutes parts au rendez-vous general qui étoit aux environs de Beziers, capitale des Etats de la Maifon de Beziers, dont la puiffance égaloit prefque celle de la Maifon de Toulouse. Raymond Roger Vicomte de Beziers n'avoit pas de plus grandes liaisons. avec les Albigeois, que fon oncle le Comte de Touloufe. Il avoit tâché, à fon exemple, de fe reconcilier avec l'Eglife; & il l'auroit fait, s'il eût pû se déterminer à paroître dans l'état où

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on avoit vû Raymond aux pieds du Legat. Son malheur fut, que bien jeune encore, il ne fçavoit pas affez qu'il y a des occafions où il faut s'humilier, quoi qu'il en coûte. Accoûtumé à entendre parler de fa Grandeur & de fa Puiflance, il ne concevoit pas qu'on pût ruiner les forces du maître des territoires de Beziers, d'Alby, de Carcaffonne, de Caftres, de Nifmes & d'Agde, où chaque canton étoit à l'abri de quelque fortereffe. Il mefuroit la gloire qu'il alloit aquerir par le defir qu'il avoit de fe Mr du diftinguer. Le deffein de faire échoüer Tiller l'entreprife de cinq cent mille Croifez dit cin- lui paroiffoit la plus belle chofe du monde, & la plus digne de fon conrage. En tout cas il fe tenoit fûr que fi les affaires tournoient mal, le Roy d'Arragon fon protecteur, le Comte de Toulouse fon oncle, le Comte de Foix fon mi ne le laifferoient pas opprimer. Vaftes projets pour un jeune Seigneur qui avoit fi peu de conduite, qu'il s'enfuit de Beziers avec l'élite des Albigcois aux premieres aproches des Croifez; ce qui fit dire alors que le païs delicieux de Beziers, dont les Oliviers font tirez au cordeau dans

quante

mille.

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une infinité d'allées au milieu des campagnes du monde les plus fertiles, & fur lesquelles on ne void que de beaux jours, meritoit un maître ou plus brave, ou plus fage.

Rainauld de Montpellier Evefque de Beziers, également refpecté à caufe de fon grand âge, & à caufe de l'Alliance dont le Roy d'Arragon avoit honoré fa famille en époufant fa parente Marie heritiere de Montpellier, ne pût comme il fouhaitoit ménager un Traité entre les Croifez & fes Diocefains. Les Croifez vouloient qu'on leur livrât les Albigeois de Beziers, & les habitans de cette Ville ne pouvoient s'y refoudre. Ce n'eft pas qu'il n'y en eût beaucoup qui n'étoient pas Albigeois, mais il n'y en avoit point qui ne fût & parent & ami des heretiques. Outre cela Beziers avoit à foûtenir la réputation d'une Ville imprenable, & tous fes habitans, fans exception, regardoient l'Armée de la Ligue comme un amas confus de petit peuple, qui ne fongeoit qu'à gagner des Indulgences & à piller le Languedoc. Les Catholiques de leur côté ne manquoient pas de puiffantes raifons pour

R. de V.

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agir avec vigueur. Ils étoient en prefence d'une Place où l'on reconnoiffoit publiquement deux Dieux; où le Myftere de la Trinité paffoit pour une chimere & la Divinité de JESUS-CHRIST pour une fable; les Sacremens pour une vaine fuperftition; le Paradis & l'Enfer pour des inventions humaines; le Vol, l'Adultere & l'Incefte pour des chofes permises.

Un évenement que je vai raconter ne contribua pas moins à réveiller leur courage: Pendant que les Bourgeois de Beziers travailloient à mettre leur Ville en état de défense, un Vieillard vénérable leur ayant demandé ce qu'ils pretendoient? Faire échouer l'entreprise des François, répondirent-ils Elevez donc auffi des remparts du côté du Ciel, qui va combattre pour eux, interrompit le Vieillard, & en mefme tems il difparut.

De quelque maniere que la chofe fût a rivée, les Albigeois qui ne penfoient pas qu'il fe fit jamais de Miracles dans le monde, traiterent malheureufement pour eux de conte & de fable tout ce qu'en difoient les Catholiques; ils n'attendirent pas mef

me qu'on battît leur Ville : quelquesuns des plus temeraires fortirent fans Chefs pour braver des ennemis qui ne venoient pas affez tôt à leur gré. Une telle infolence fit perdre patience aux Croifez. Ils furent encore plus outrez de l'impieté d'un Albigeois, qui ves noit de profaner un Livre des Evan, Cafaire giles d'une maniere qu'on n'ofe exprimer. Ils chargerent les heretiques, ils les rompirent, & les fuivirent de fi prés, qu'ils entrerent pêle-mêle avec eux dans la Ville avant que les Chefs des deux Partis fçûffent que Beziers étoit affiegée. On accourut de part & d'autre; les Croifez fe fortifier autour de la porte qu'ils venoient de gagner, les Albigeois. pour chaffer les Croifez. Le feu de ceux-ci l'emporta fur la refiftance des. autres; en peu de tems ils devinrent maîtres de la Place, & ne pouvant diftinguer l'heretique du Catholique, emportez d'ailleurs par un fuccés fi peu attendu, ils firent main-baffe fur tout ce qu'ils rencontrerent. Soixante mille perfonnes y perdirent la vie, & les maifons furent réduites en cendre. La feule circonftance du jour de la Madeleine, auquel arriva cette bou 1 20 9

pour

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