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avec Deffigni, pour tomber fur les Ennemis, qu'il croyoit n'être pas fur leurs gardes, tomba lui-mefme dans une embuscade. Deffigni demeura mort fur la place, & Bouchard ayant été fait prifonnier, fut conduit à la Cabarade. Giraud de Pepios › que les Croifez avoient comblé de graces jufqu'à le mettre en état de donner de la jaloufie aux plus grands Seigneurs du Languedoc, livra aux Albigeois toutes les Villes dont on lui avoit confié le gouvernement; & pour ef facer entierement la défiance que fes compatriotes euffent pu prendre de lui à caufe du rang qu'il avoit tenu dans l'Armée des François, il furprit Pinfoquier, où ceux-ci avoient Garnifon. Montfort oublia, pour ainfi dire, le refte; il vint enveloper le perfide dans le Château qu'il avoit pris, & il alloit en faire une juftice exemplaire, quand pour comble de malheur les Narbonnois refuferent d'aller à l'affaut, & fe débanderent, cela mit le General hors d'état de preffer le fiege, & cela ne put neanmoins raffurer Pepios: Ce méchant homme, auffi peu brave que fidelle, profita de l'occafion pour s'enfuir,

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& l'on n'aprit qu'il s'étoit retiré à la Menerbe que par deux Chevaliers François qu'il en chaffa, aprés leur avoir fait crever les yeux, couper le nez, les lévres & les oreilles, ne leur laiffant que la langue pour aprendre à Montfort qui les avoit ainfi traitez. La trah fon de Pepios étoit comme le fignal de la revolte generale. Les Hiftoire Bourgeois de Caftres, dont on avoit de Caf cru la foi inébranlable, reffemblerent tres, par au fameux rocher qu'on voit, dit-on, Borel. affez proche de leur Ville, & qui est tellement fufpendu, que le moindre effort le fait changer de fituation. Ils pafferent tout à coup d'une extrémité à l'autre, & ils arrêterent les François qui fe trouverent dans leur Ville. Ceux de Lombez les imiterent: Le Comte de Foix afficgea un Château qu'il avoit livré à Montfort; & il fit efcalader Fanjaux, où étoient les magazins des François. Si fes gens avoient eu autant d'ardeur pour fe battre, qu'ils curent d'agilité pour fe lancer fur les murailles, la reduction de cette feule Ville auroit été affurément fuivie de la prife des autres Places conquifes. Aymery de Realmont fut encore plus heureux dans fa re

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volte; car fans employer les Armes, il corrompit la fidelité d'un Ecclefiaftique François qui commandoit dans Realmont, & il en redevint le maître.

Les Villes de Carcaffonne, de Pamiers, d'Alby, de Faiffac, de Fanjaux, de Limours & d'Embialet refterent feules dans les interests de la Croifade. Montfort n'avoit que quelques Compagnies de refte, parce que dans les premiers mouvemens de la revolution on avoit affommé & eftropié la plupart des François, qui n'étoient pas fur leurs gardes, ou du moins qui n'étoient pas les plus forts; cependant il fortifia les Garnifons de fes Places, & avec une poignée de braves il tint la campagne pendant l'hyver, nul parti des ennemis n'ofa jamais l'attendre de pied ferme. On demandoit s'il venoit, & non pas s'il avoit des Troupes. Le Roy d'Arragon lui-mefme, dont les intrigues avoient débauché tant de Sujets à ce General, n'ofa rompre ouvertement avec lui.

Guy Abbé de Vaucernay, qui revint en ce tems-là de France pour partager les foins du Comte, dont il

étoit ami intime, ne fut point furpris que fa reputation feule foûtint la "Guerre de Comte & l'Abbé s'eftimoient infiniment l'un l'autre, & fans fe flâter ils fe croyoient mutuellement capables de ce que deux grands hommes pouvoient faire chacun dans leur état; cette union a trop contribué au fuccez de cette fainte Guerre pour manquer d'en faire connoître l'occafion. Le Comte & l'Abbé p. de V. avoient vécu long-tems fans avoir d'autres fentimens l'un pour l'autre, que ceux qu'on a pour des perfonnes dont on entend fouvent faire l'éloge: l'entreprise des Venitiens & des François fur Zara fut ce qui forma les liens de leur étroite amitié. Les Venitiens, dont la politique eft fi fine, obligeoient en 1 2 0 2 les Seigneurs François qui s'embarquoient fur leurs Vaiffeaux de fervir la Republique dans le Siege de Zara avant que de paffer dans la Paleftine, où ils pretendoient aller. Le Maréchal de Villardhoüin dit que la Guerre que la Republique déclaroit au Roy de Hongrie, à qui Zara apartenoit, étoit jufte. Selon les autres Hiftoriens, c'étoit une injustice manifefte,

& Rome envoya ordre à l'Abbé de Vaucernay d'excommunier & les Venitiens & les Croifez, s'ils ne levoient inceffamment le Siege. L'Abbé fe difpofoit à executer les ordres du Pape, quand les Venitiens qui avoient tout efperé de la generofité des François, & qui commençoient à tout craindre de la delicateffe de leur confcience, en furent tellement indignez, que fans avoir égard ni à l'illuftre naiffance de l'Abbé, ni au rang que lui donnoit la commiffion du Pape, ils voulurent le poignarder. Simon de Montfort qui étoit prefent, Guy fon frere, Simon de Neaufle, Robert de Mauvoifin, Robert de Concreffant, & quelques autres amis du Comte firent tête aux Venitiens, & arracherent l'Abbé de leurs mains encore en vie; aprés quoi ces intrepides défenfeurs de l'honneur du Saint Siege fe rembarquerent, fans que les Venitiens ofaffent fe commettre avec eux. L'Abbé qui avoit l'ame admirablement bien faite, n'oublia pas fon liberateur; il chercha toûjours l'occafion de lui témoigner fa gratitude, jufqu'à ce que l'ayant trouvé fept ans aptés au tems du choix qu'il fallut

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