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Raymond IV. furnommé le Grand, avoit aquife dans la premiere Croifade à la bataille d'Antioche, au Siege de Jerufalem, & dans mille autres occafions; la réputation que Bertrand fon frere aîné avoit meritée par la prife de Tripoli & de plufieurs autres Places de l'Orient l'exemple du Roy Louis le Jeune qui paffoit dansla Palestine; tout cela fe prefentoit fans ceffe à fon efprit, & lui fit entreprendre le voyage de la Terre Sainte. On attendoit de fa conduite & de fon courage des actions auffi memorables que l'avoient été celles de fon Pere & de fon Frere: mais il fut empoifonné en arrivant dans la Syrie, fans qu'on $148. ait jamais fçû certainement quel étoit l'auteur d'un fi grand crime.

la mort

Durant les mouvemens que de ce Prince & la nouvelle domination de Raymond V. fon fils caufe rent dans le Languedoc, on perdit de vûe des démarches auffi difficiles à penetrer que l'étoient celles des nou-veaux Manichéens. Nul d'entr'eux n'avançoit une propófition dangereufe, à moins qu'il n'eut aquis une fi grande reputation de pieté, que ceux qui l'entendoient ne pouvoient plus

croire fa doctrine mauvaife. Il étoit Luc de même rare qu'un de ces heretiques fe Tuy. fit entierement connoître; il fe contentoit de raconter ce que difoient les Novateurs ; il dévelopoit auffi les réponfes des Catholiques, mais d'une maniere foible. On faifoit naître des foupçons de la bonne foi de ceux qui défendoient avec force les dogmes de l'Eglife. Pour tromper les demi-fçavans on foûtenoir que les Ouvrages des Peres étoient fupofez: Pour furprendre le petit peuple on employoit un moyen plus groffier. Les Anges, difoit-on, avoient aporté du Ciel la nouvelle doctrine; & pour le prouver, on produifoit des libelles qui avoient été trouvez fur le haut des montagnes, & qui rendoient une odeur exquife.

Les ennemis de la foi furent bien- 115 tôt difpenfez d'ufer de ces précau

tions. Henry II. Roy d'Angleterre 1160. n'étant encore que Duc de Norman- Catel, die avoit profité de la faute que Louis Hift. d le Jeune commit en répudiant la Rei- Lang. ne Eleonor heritiere des Maifons d'Aquitaine & de Poitiers, & il s'étoit fait un plaifir d'époufer cette Princeffe qui détachoit de fi belles

Provinces de la Couronne de France. Au titre de Duc de Normandie Henry joignit celui de Roy; & comme la Reine avoit des droits fur la Comté de Touloufe, il refolut d'en chaffer Raymond V. Raymond fe défendit tres- vaillamment: Mais l'agitation que caufa la guerre fervit beaucoup aux heretiques, & le tems qui fuivit ne leur fut pas moins avantageux. Le voifinage de l'Aquitaine, où les Anglois étoient les maîtres, tenoit le Comte de Touloufe dans des allarmes prefque continuelles. La puiffance de fes ennemis lui rendoit fes propres fujets redoutables, il craignoit les plus legers mécontentemens. Il n'aimoit pas les Novateurs, il ne vouloit pas non plus paroître les haïr,

on lui eut fait fa cour en traitant leur Reinier. fecte de phantôme. D'ailleurs l'hereLuc de fie fe montra fous des vifages fi diffeTuy. Pierre rens & fi engageans, qu'elle eut de de Vau- quoi plaire à toutes fortes d'efprits de Cernay. quelque caractere que fuffent ceux à

qui l'on crut pouvoir s'ouvrir, après en avoir tiré mille proteftations de fecret & de filence. Aux perfonnes reglées, feveres, ennemies du plaifir; on propofoit l'exemple des Albigeois

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du premier ordre, dont l'habit étoit modefte & la converfation, au moins en aparence toûjours fainte; elle rouloit fur l'Ecriture & fur la reforme des Ecclefiaftiques. Ces hommes par-. faits (c'étoit le nom qu'on leur donnoit) affectoient un grand mépris des richeffes ils faifoient profeffion de continence ; ils portoient de longues barbes, & leur occupation étoit d'inftruire les autres; ils ne mangeoient ni viande, ni œufs, ni fromage. Aux ames plus foibles qui vouloient en même tems joüir des commoditez de la vie prefente & ne pas perdre le bonheur de l'autre, les Albigeois firent entendre que pour faire fon falut il n'eft pas neceffaire d'être fi parfait : qu'il y avoit parmi les Reformez un fecond ordre compofé de croyans ; que ceux-ci devoient feulement avoir une confiance entiere aux merites des premiers, & croire en general ce que ceux-là croyoient & connoiffoient en particulier ; que pour les pecheurs it y avoit un Sacrement de penitence, non pas infuportable, ainfi que les Catholiques le fupofent; mais commode, difoient-ils, & tel que le dépeint l'Evangile, c'eft à dire une con

feffion qui n'entre point dans le détail des pechez, & pour l'integrité de laquelle un Preftre ne doit demander ni douleur ni fatisfaction; qu'il n'y a point de libre-arbitre, & que les pechez font des fecouffes & des violences du Dieu méchant, à qui l'on ne peut refifter. Quand les Heretiques: trouvoient des gens entierement plongez dans le vice, & de qui l'intereft demandoit qu'ils n'euffent aucune Religion, ils avoient auffi dequoi s'infinuer auprès d'eux en leur faifant ouverture de leurs plus fecrets myste res on leur difoit que l'Enfer étoit une chimere, ou que s'il y en avoit un veritable, ce n'étoit rien autre chofe que le monde où nous habitons. Pour expliquer ce dogme on fupofoit que nos ames font de petites parties détachées de la fubftance du Dieu bon, lefquelles fe trouvant embar→ raffées dans la matiere de ce monde, & jointes à quelque partie de la fubftance du Dieu méchant, fouffrent beaucoup, & paffent fucceffivement par plufieurs corps felon les loix inévitables de la metempficofe, avant que de pouvoir le dégager & fe débarraffer pour retourner dans le mon

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