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Dame, jugea que la famille devoit tirer vengeance de l'affront qu'on venoit de lui faire: il entra dans l'Eglife des Chanoines, il en affaffina un qui difoit la Meffe, il hacha en pieces fon corps fur l'Autel, & il creva les yeux à un autre qui accouroit pour le fecourir. C'étoit au Comte de Foix à venger les Chanoines; il en avoit fait ferment en recevant de l'Abbé l'inveftiture de la Vicomté de Pamiers, fuivant la coûtume de ces tems-là, où les Seigneurs laïques tenoient des Terres des Ecclefiaftiques, à condition de maintenir les droits de leurs Eglifes. Ce fut néanmoins le Comte qui acheva d'accabler les Chanoines; car, fuivi de Soldats Albigeois, de Comediens & de Courtifannes vint fe prefenter pour prendre poffeffion de l'Abbaye. L'Abbé n'ayant point de force à opafer au Comte, eut recours aux Armes que lui laiffoit la Religion. Il porta les clefs de fa Maifon dans l'Eglife, fur le corps de Saint Antonin, pour qui jufques-là le Languedoc avoit toûjours eu une veneration profonde: mais le Comte railloit il y avoit déja long-tems de fa crédulité pretenduë des Catholiques,

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il

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& il ne penfoit pas que les Saints pûffent jamais le priver de la Vicomté de Pamiers; il alla fans héfiter prendre les clefs, & les Chanoines étans accourus pour le défendre, s'il étoit poffible, il les enferma dans l'Eglife, & les y fit impitoyablement paffer fans manger les trois jours entiers que dura le pillage de leur Abbaye. Il les força mefme à fe dépoüiller de leurs habits, voulant avoir le plaifir brutal de les chaffer d'une maniere qui leur fût auffi honteufe qu'elle étoit dures aprés quoi il défendit encore, fous de griéves peines, de leur donner retraite: & parce que l'Abbaye contenoit beaucoup plus d'apartemens qu'il ne lui en falloit pour se loger, il en fit abattre une partie, & des materiaux qu'il en tira, il fit réparer les murail les de la Ville.

Malgré une telle violence, dont il étoit convaincu dans tous fes chefs, il pretendoit que l'Abbé de Saint Antonin avoit eu tort de lui fubftituer le Comte de Montfort dans la Vicomté de Pamiers, & il demandoit hardiment qu'on lui rendît cette Ville, & celles de la Comté de Foix, qu'on avoit ofé lui prendre. Le Roy qui

vid que le Comte s'avançoit trop, le tira malgré lui du mauvais pas où il s'engageoit. En effet, fous pretexte de le punir, & de vouloir abfolument qu'il fe reconciliât, il fit entrer des Troupes Arragonoifes dans le Château de Foix, & dans plufieurs autres Villes, pour les livrer, difoit-il, à Montfort, fi le Comte de Foix perfiftoit à refufer la Paix. Mais ce qu'il pretendoit au fonds, c'étoit, comme on le verra dans la fuite, d'ôter aux Croisez le jufte fujet qu'ils avoient de s'en rendre maîtres, & pour lors la chofe en demeura là. Le Monarque ne fervit pas moins utilement le Comte de Toulouse, mais il lui en coûta plus; & d'autres raifons que l'attachement qu'il avoit pour Raymond, y curent part, ainfi que je le vais dire. Le Roy avoit l'ame grande, quoiqu'il eût l'efprit encore plus artificieux. It voyoit le merite, le bon droit, la vertu, la gloire qui fe trouvoient dans le parti de la Croifade: le Legat Arnauld avoit un génie si propre à faire goûter fes raifons: Raymond Evefque d'Ufez avoit une pieté fi perfuafive, par fon defintereffement: Theodofe s'infinuoit fi

adroitement les emportemens du Comte de Foix & ceux du Comte de Toulouse relevoient tellement là vertu & les Victoires du Comte de Montfort, qu'il étoit impoffible au Roy de ne pas aimer les Croisez. Il voulut contenter leur parti, & l'experience l'ayant convaincu qu'il ne pouroit jamais chaffer Montfort de Carcaffonne, il fe fit un merite de la lui ceder, & de le recevoir à en faire hommage, comme les Legats le fouhaitoient paffionnément. La prefence de Montfort porta le Roy enco re plus loin qu'il n'avoit refolu d'aller. Carcaffonne lui parut trop peu de chofé pour un fi grand Homme, il lui confia l'éducation du Prince Jacques heritier prefomptif de fa Couronne; & pour mettre le comblé à fes graces, il demanda la fille de Montfort en mariage pour ce Prince. Les Legats après cela ne pûrent 1211 être inexorables aux prieres que le Roy faifoit pour le Comte de Touloufe, & c'étoit là le point où le Roy vouloit les amener on acorda au Comte un Traité, par lequel on promettoit de l'abfoudre fans referve, de lui reftituer les Places de Provence

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qui

étoient en question, & de lui ceder la troifiéme partie des Terres que fon pere avoit enlevées au Vicomte de Beziers, pourvu féulement qu'il exilât par un Edit les Albigeois de fes Etats.

Une Paix fi avantageufe changea le cœur de Raymond. Les Croifez le crûrent Catholique, & tout fon malheur fut d'être trop fuperftitieux pour être fage. Les rêveries des Albigeois qui n'avoient fait qu'éteindre d'abord dans fon ame les fentimens de la veritable Religion, lui avoient enfuitegâté l'efprit, jufqu'à l'accoûtumer à fe conduire par les bizarres obfervations du vol des oifeaux, & par de femblables réfléxions opofées au bon fens, & contre lefquelles toute la politique du Roy d'Arragon ne pût parer. Raymond fortant de chez lui pour aller chez les Legats, crut avoir un pronoftic fâcheux: il vid un oifeau qui voloit à sa gauche ; ç'en fut affez, dit Pierre de Vaucernay, il partit fur le champ pour Toulouse, & il fe jetta dans des malheurs veritables, pour en éviter un imaginaire. Pendant que

que ces chofes fe paffoient dans le Languedoc. Foulques Evef

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