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Communication que les Touloufains avoient encouruë: mais dequoi fert-il d'offrir de telles conditions, ou d'autres femblables à ceux qui n'en veulent point? L'Arragonnois répondit fierement aux Abbez, que les PreMats perdoient le refpect, en demandant une Conference pour traiter de la Paix entre lui & trois ou quatre avanturiers, qui devoient il y aveit long-tems avoir mis bas les Armes, & demandé pardon de leur audace. Pour furcroît de malheur, les vivres commençoient à manquer dans la Ville; & les Evefques qui ne voyoient que des fujets de craindre, firent une derniere tentative: ils envoyerent demander au Roy s'il trouveroit bon qu'il vinffent nuds pieds fe profterner à fes genoux, & le conjurer de ne pas Aétrir les Lauriers de fon Régne par la Guerre qu'il alloit faire à l'Eglife. On vid même des Catholiques affez zélez parmi les Arragonnois pour reprefenter à leur Roy que Montfort ayant dans fon pouvoir l'heritier prefomptif de la Couronne d'Arragon, meritoit quelques égards, & que cé Comte avoit fait des chofes fi extraordinaires qu'on ne pouvoit dire de quoi

la valeur n'étoit pas capable. On reprefenta au Monarque qu'il alloit perdre le tiere glorieux de Catholique, aprés l'avoir merité du confentement de tous les Fidelles; que ce qu'il pouvoit prétendre aprés une victoire complette, c'étoit que les Groifez lui demandaffent pardon, ou que les Legats reconcilia ffent les Touloufains avec l'Eglife; & qu'il voyoit qu'on étoit refolu de lui donner cette fatisfaction avant le combat &fans qu'il fit une démarche auffi delicate que celle de livrer Bataille à une Armée de Croifez.

Les remontrances étoient fuperAuës: le Roy haïffoit Montfort depuis que le Comte donnoit tous les jours un nouvel éclat à fa gloire, & il vouloit avoir le plaifir de l'humilier. Il ne vouloit pas mourir ennemi de l'Eglife: mais il étoit bien aife d'aquerir de la réputation, même aux dépens de la Religion. Une vietoire, dans l'occafion où l'on étoit, l'affuroit des bonnes graces de la Dame qu'il aimoit: or que ne peut pas une paffion dans un cœur où l'on la laiffe dominer! La Nobleffe Arragonnoife fouhaitoit auffi de combat

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Tre, & de montrer qu'on n'étoit pas moins brave au delà qu'au deçà des Pyrenées. Quelques Catalans vinrent les premiers infulter les Croisez jusqu'aux portes de Muret.

A leur vue Montfort perdit patience: On vous méprife, dit-il aux Prelats, je veux qu'on vous estime; vous craignez, & c'est vous qui allez gagner la Victoire. Il étoit fi convaincu de ce qu'il difoit, & tellement faifi de cet efprit de force qui rempliffoit les Chefs du Peuple de Dieu à la prefence des plus terribles Ennemis, que rien ne fut capable de le faire balancer dans le deffein qu'il prenoit de marcher avec 1200 hommes contre cent mille combattans.

Ce n'eft pas que fon cœur ne fut mis alors à de rudes épreuves: on dit que quand il entra dans l'Eglife de Muret pour promettre à Dieu, felon fa coûtume, qu'il alloit tâcher de tailler en pieces les Albigeois, l'Armure de fon bras fe rompit, & tomba, avec une partie de fa cuiraffe, qu'il y avoit attachée, ce qui paffoit pour un fort mauvais augure: quand il voulut monter à cheval, fon-cheval fe cabra, & le renverfa par terre, ce

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qui fembloit un pronoftic encore plus fâcheux : il arriva auffi qu'un Croifé des plus diftinguez lui demanda, les larmes aux yeux, s'il avoit compté le nombre des gens qu'il avoit avec lui? mais il repartit que ces fortes de foins étoient inutiles, & que Dieu avoit refolu de leur donner la Victoire. Au refte, il avoit aquis un fi grand empire fur l'efprit de fes Troupes, que perfonne ne délibera fur ce qu'il savoit à faire. Dès qu'on eut connu qu'il vouloit combattre, on ne demanda pas comment on pouroit vaincre; on fupofa que puis qu'on alloit à l'Ennemi, on en reviendroit Victorieux: & je ne fçai ce qui doit paroître ici plus furprenant, ou que Montfort ofât donner Bataille, ou que les Croifez ofaffent le fuivre. Les Evef ques entraînez par le torrent, perdirent la crainte que les autres Croifez avoient déja perduë; & comme l'Evefque de Touloufe s'arrêtoit à faire baifer un morceau de la vraye Croix à chaque Soldat (ce qui n'auroit pas duré long-tems à caule du petit nombre) l'Evefque de Cominges ne put fouffrir le retardement que cela causoit au gain de la Bataille, il prit la relique,

relique, & il en benit en un feul coup toute l'Armée, promettant le Ciel à ceux qui mourroient dans le combat, aprés avoir demandé à Dieu pardon de leurs pechez. Les Croifez avoient quelque peine à fe fier aux promeffes de ce Prelat, qu'ils croyoient un peu plus Guerrier que Prophéte mais quand les autres Evefques, conjointement avec Saint Dominique, promirent la mefme chofe, perfonne n'héfita plus. On laiffa les Prelats au pied de l'Autel & en l'honneur de la Sainte Trinité on fe divifa en trois lignes, pour aller à une des plus extraordinaires actions dont on ait jamais entendu parler.

Les fentimens étoient alors fort partagez dans le Camp des Albigeois. Le Comte de Touloufe étoit d'avis qu'on ne rifquât rien, puis qu'en refufant de combattre on étoit feur de vaincre il difoit que Muret étoit fans vivres que la démarche de Montfort étoit un coup de defefpoirs que fans fortir du Camp il falloit tirer de toutes parts fur fes Croifez, & les démonter en tuant leurs chevaux; aprés quoi armez de fer qu'ils étoient, ils demeureroient im

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