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mobiles, & vaincus par le feul embarras de leur armure; qu'il n'y avoit aucun ombre de danger dans ce parti, & qu'en fortant des lignes il pouvoit arriver que le plus grand nombre des Troupes qui n'étoit point aguerri caufât du defordre.

Le Roy d'Arragon fut indigné d'un tel avis: Renoncez à vaincre, dit-il au Comte, fi vous ne le faites pas a prefent; il ne faut point regarder s'il a du danger, il y en a dès qu'on manie les Armes: mais il faut confiderer qu'il ・n'y en a que pour nos Ennemis : Vous vous défiez des Touloufains, ne les expofons pas marchons avec des Efcadrons dont j'ai cent fois éprouvé la valeur,

dont vous allez l'éprouver vous-même. Il nous feroit auffi honteux de refuser à prefent le combat, qu'il le feroit d'être

vaincu.

En mefme tems il commanda les Touloufains pour garder le Camp, & pour donner, donner, s'ils le jugoient à propos, un affaut à la Ville pendant Ja Bataille: il rangea fes autres Troupes fur trois lignes, dont le Comte de Foix commanda la premiere, & lui la feconde, ordonnant fur tout qu'auffi-tôt que l'action feroit enga

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gée, l'on envelopât les Croifez.

Le Comte de Foix & les Catalans 1213. furent les premiers à marcher aux Ennemis on ne tarda pas à fe joindre & à fe mêler, avec tout le feu dont font capables deux partis qui ne croyent pas pouvoir reculer, parce qu'ils font venus avec une affurance entiere de la Victoire : mais ce n'étoit plus des Sarrazins que les Catalans avoient à combattre, c'étoient des François. C'étoient des Croisez qui croyoient courir au Martyre; c'étoit des Soldats aguerris par Montfort, & dont chacun étoit accoûtumé à n'avoir nul égard au nombre des ennemis qu'il avoit en tête. La premiere ligne des Albigeois, compofée, comme on l'a dit, de Catalans, recula de quelques pas pour revenir plus vivement à la charge; & fon mouvement perfuadant aux Croifez qu'elle plioit, ils firent un fi violent effort pour l'enfoncer, qu'elle fe renverfa effectivement fur la deuxiéme ligne avec une confufion fi peu attendue & fi fubite. que tout autre que le Roi d'Arragon eût été emporté par les fuyards. Ce Prince, foûtenu d'un petit nombre de fes plus vaillans

Guill.

le Bre

ton.

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Hiftoire des Croisades Arragonnois, rétablit la Bataille. Les Grands d'Arragon, Oznare Pardo & fon fils Gomés de Luna, Michel Luefia, le brave Rada, & plufieurs autres tomberent à fes côtez, fans que le danger qui redoubloit ralentît en rien fon ardeur: Il cherche Montfort & l'ayant découvert, fans en être cependant reconnu, il marche à lui la Lance en arrest pour le percer. Montfort s'aperçoit qu'on le diftingue, & il ne fçait encore qui vient à lui; il voit toutefois, par l'empreffement de ceux qui acourent, que c'est le Roy lui-mefme, ou quelqu'un qu'on eftime prefqu'autant que le Monarque; il s'avance, & donne fi adroitement un tour de main à fon cheval, qu'il évite le coup, & paffant jufqu'au Roy, il lui enleve fa Lance, Alors la Nobleffe Arragonnoife tombe fur Montfort: la violence des coups qu'on lui portoit à fa droite, fit rompre l'étrier fur lequel il s'apuyoit du côté gauche. Montfort, pour le foutenir, donna de force avec l'éperon dans l'armure de fon cheval pour s'y faire un apui. L'éperon fe brifa dans l'effort: tout cela étoit neceffaire pour faire compren

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dre à la pofterite quelle étoit la vi gueur de ce Heros; car nonobftant ce qui venoit d'arriver, il tint ferme en felle, & foit qu'il connût effectivement le Roy, foit qu'il ne le connût pas, il rejoignit de prés le Chevalier qui venoit de faire contre lui un coup de Lance, & ne pouvant le percer, il le prit par le cafque, & le tira de deffus fon cheval. Le Roy qui étoit auffi tres-vigoureux, fe débaraffa des mains du Comte, & il tomba à terre, où un Croifé (quelques-uns difent que ce fut Mafre de Belvezer parent du Comte de Toulouse) lui porta en mefme tems plufieurs coups, & le tua: un tel fort eft déplorable pour un Roy qui n'avoit cueilli jufques-là que des Palmes, & qui meritoit, à ce qu'il femble, une fin plus heureuse, aprés avoir battu tant de fois les Infidelles ; mais il avoit oublié que Dieu demandoit de lui qu'il fit la Guerre aux Sarrazins, & non pas à des Troupes que l'Eglife avoit croifées pour détruire une herefie monftrueufe.

Les Arragonnois paffionnez pour la gloire de leur Roy, pendant qu'il avoit été en vie, ne penferent plus à

le venger. Dès qu'il fut mort, for corps demeura au pouvoir des Croifez, & fes Troupes prirent la fuite. Il ne tint qu'aux Touloufains, qui donnoient un affaut general à la Ville de Muret, de prévenir la colere du Vainqueur, & d'accepter la Paix que l'Evefque de Toulouse leur fit offrir plufieurs fois. Après avoir remarqué du haut des Tours de la Ville, que Montfort avoit dompté fes Ennemis,. cependant trop prévenus en faveur du Roy d'Arragon, ils ne pûrrent comprendre jufqu'où alloit la defolation de leur Parti, que quand une partie des Victorieux vint les charger & les tailler en pieces.

Le Soldat Croifé ne penfa plus enfuite qu'à profiter des richeffes des vaincus, & ce fut en dépoüillant les morts qu'il reconnut le corps du Roy d'Arragon. Montfort averti du malheur affuré de ce grand Prince, ne Un feu fut pas plûtôt arrivé auprés du corps, di, le 12. qu'il verfa des larmes finceres ; car de Sept. outre que dans ces occafions un Vain queur a de la peine au fond à voir le trifte état d'un ennemi qui lui reprefente fi vivement l'inconftance des chofes humaines, le Comte ayant l'ar

1213.

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