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21215.

fie, le reftaurateur de la Religion, un nouveau Machabée, un David: Les laïques le regardoient comme un Godefroy de Bouillon, comme un Rolland, comme un Charles Martel. Tous parloient différemment, & tous difoient au fond une mefme chose: Les Prelats, dit un Hiftorien de ce tems-là, n'euffent pu être d'acord s'il eût falla choifir un Evefque, & ils, ne purent être partagez quand il fallut élire un Comte.

Bertrand Archevefque d'Ambrun porta les vœux du Concile au Pape. C'étoit encore Innocent III. qui regardoit depuis long-tems Montfort comme fa créature, fon ami & le protecteur de fon Siege. Le Saint Pontife répondit avec plaifir aux intentions du Concile, & il fit expedier un Bref du 2. d'Avril, dans lequel, aprés avoir témoigné au Comte qu'il le reconnoît un veritable Soldat de JESUS CHRIST, & un défenfeur invincible de la Foy, qui a combattu pour l'Eglife avec un zéle definteref fé, une ame toûjours droite, un courage infatigable, un fuccez qui a rempli la terre de fon nom, il le prie de fournir glorieufement le reste de

fa carriere, & il lui recommande er particulier la Comté de Toulouse, dont par provifion il lui abandonnoit les revenus, jufqu'à ce que dans le Concile general, qui devoit fe tenir à Latran le premier de Novembre de la mefme année il pût, avec les Peres du Concile, juger de la maniere dont ils devoient difpofer des Conquêtes faites par les Croifez au nom de toute l'Eglife.

Un Bref fi avantageux au Comte de Montfort n'étoit point encore arrivé dans le Languedoc, quand les Croifez y reçûrent un honneur qui leur fut fort fenfible. Ils virent venir au nombre des Pelerins qui accou-> roient à leur fecours l'heritier prefomptif de la Couronne, Louis, qui fut le huitième de ce nom, & que fes belles qualitez faifoient également aimer de Dieu & des hommes. Vainqueur des ennemis de l'Etat, il étoit encore plus maître de lui-mefme. Je donnerai en peu de mots une jufte idée de ce Prince, fi je dis que la gloire de fes actions & la fainteté de fes mœurs brille dans l'Hiftoire, quoi qu'il s'y trouve placé entre Philipe - Augufte fon Pere & Louis IX. fon Fils, dont PS

le premier a été un Conquerant fi heureux, & le fecond un Saint diftingué par ses vertus éminentes.

Louis avoit voulu venir au Languedoc il y avoit déja trois ans, & deux difficultez avoient rompu on voyage. J'ai parlé de la premiere,. qui étoit la Ligue formée entre l'Empereur Othon & Jean Roy d'Angleterre, pour envahir la France : deffein frivole, dans un tems où les François avoient Philipe-Augufte à leur tête. La feconde raifon avoit été la foibleffe de la fanté de Loüis, que Philipe fon pere avoit voulu ménager. Je ne fçai toutefois fi cette foibleffe avoit été pour lors un veritable empefchement, puis que la premiere difficulté ceffant par la Victoire de Philipe fur les Allemans, & par celle de Loüis fur les Anglois, rien n'empefcha plus le Prince de voler auLanguedoc pour y éteindre l'herefie. Louis étoit fuivi des Evefques de Beauvais & de Carcaffonne, du Comte de S. Pol, de Gaultier Comte de Ponthieu, de Robert Comte d'Ufez & d'Alençon, de Guiscard, de Beaujeu, de Mathieu de Montmorency, du Vicomte de Melun, & de

mille autres qui tenoient à honneur de marcher fous les aufpices d'un Prince fi fage & fi heureux..

- Le feul Cardinal Benevent étoit embarraffe du voyage de Louis, qui faifoit naître la joye, l'efperance & la fecurité dans le cœur de tous les autres Catholiques: il aprehendoit que le Prince, foûtenu des droits du Roy fon Pere, ne voulût difpofer fouve rainement de la Comté de Touloufe, dans un tems où Raymond ne pouvoit plus la paffeder. Pour arrêter cet acte de Souveraineté, le Cardinal difoit que puifque le Roy n'avoit point détruit lui-mefme l'herefie dans le Languedoc & que le Pape au contraire avoit de fon confentement formé une Croifade, dont les fuites avoient été fi avantageufes au Royaume de France & à la Religion, c'étoit à l'Eglife à difpofer des Conquêtes que les Croifez avoient faites, & à nommer pour cette fois celui à qui le Roy donneroit l'inveftiture de la Comté de Toulouse, pour en joüir de la mesme maniere & aux mefmes conditions qu'avoient fait les autres Comtes de Toulouse. Mais on difoit en France que quoi que le Roy n'eût

pu faire la Guerre en perfonne dans le Languedoc, il ne perdoit rien de fes droits qu'il avoit follicité la publi cation de la Croifade ; qu'il avoit entretenu des Troupes contre les Albi-. geois, & fecouru Montfort de toutes manieres; que Raymond étoit déchu de fa Comté, ou ne l'étoit pas'; que s'il l'étoit, c'étoit au Roy à fe donner quelqu'autre Vaffal, s'il le jugeoit à propos; & que s'il ne l'étoit pas, FE glife n'avoit aucun prétexte pour en trer dans cette Affaire.

Une telle opofition auroit eu des fuites, fi la Cour de France & la Cour de Rome ne fe fuffent trouvées dans des conjonctures, où pleines d'eftime l'une pour l'autre, elles fe faifoient un plaifir de fe prévenir mu

tuellement. Le Saint Pere, en confequence des follicitations de la France, avoit donné des foins fi continuels. aux Guerres de Languedoc, & le Roy ne trouvoit pas mauvais que la Cour de Rome fe donnât l'autorité de mettre Touloufe en dépoft dans les mains du Comte de Montfort. Louis de fon côté fçut fi bien fe ménager avec le Legat, & fe faire demander par ce Miniftre l'execution des chofes

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