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quisitoire, mais que le rédacteur de cette ordonnance, pour qualifier le délit de calomnie, au lieu de copier le réquisitoire du procureur du roi, y a transcrit les termes mêmes de l'article 567 du code pénal, et a donné ainsi lieu à supposer que la chambre du conseil avait ainsi renvoyé les prévenus pour avoir calomnié le sieur Lor au moyen d'un imprimé;

«Attendu qu'une lecture attentive de cette ordonnance et notamment du paragraphe dont le rédacteur a fait suivre la qualification des délits mís à charge des prévenus et qui porte textuellement : « Lesdites calomnies dont s'agit au numéro primo ci-dessus, étant contenues en un certain écrit, en date du 29 novembre dernier, lequel est signé par les prévenus et qu'ils ont tous déclaré bien connaître,» prouve à toute évidence que la chambre du conseil n'a entendu renvoyer les prévenus que pour le délit de calomnie qui a été commis par la lecture de l'écrit, signalé dans le réquisitoire du procureur du roi, qui se trouve au dossier de la procédure et qui n'est pas imprimé ;

<< Que cela est d'ailleurs confirmé par toutes les pièces de la procédure et spécialement par les interrogatoires subis devant le juge d'instruction de Tournai, par les prévenus Delecluse et Thémont-Dessy, les 22 et 28 janvier dernier, où ils reconnaissent implicitement que l'écrit incriminé n'a pas été imprimé avant ni lors de la séance du conseil communal d'Ath du 29 novembre 1855, d'où il suit qu'un imprimé n'a pu servir à commettre le délit de calomnie dont les prévenus sont inculpés et n'a dès lors pas pu faire l'objet d'une poursuite et d'une inculpation à charge des prévenus;

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« Attendu qu'il en résulte que c'est par une erreur manifeste que les mots : « Imprimé ou non qui AURA été affiché, vendu où distribué» ont été insérés dans cette ordonnance, et ensuite transcrits dans l'exploit d'assignation du 5 février dernier ;

«Attendu que l'absence de pareil imprimé au dossier de la procédure et le défaut de produire pareille pièce par le ministère public, par suite de l'arrêt de cette cour du 24 de ce mois, viennent encore confirmer que les mots : « Imprimé ou non qui AURA été affiché, vendu ou distribué » ont été réellement insérés par erreur dans l'ordonnance précitée;

« Attendu que les prévenus n'ont pas non plus produit pareil imprimé, et qu'ils n'allèguent pas même que les délits de calomnie et d'outrage ont été commis au moyen d'un

imprimé, ce qui ajoute aussi à la preuve déjà établie que la calomnie et l'outrage n'ont pas été commis au moyen de la presse;

« Attendu qu'il suit de ce qui précède, que les conclusions des prévenus, en tant qu'elles sont fondées sur ce que l'ordonnance de la chambre du conseil aurait mis à leur charge, sous le numéro un, une prévention de délit de presse, connexe aux autres chefs de prévention, manquent de base et deviennent par conséquent sans objet;

« Attendu que les faits de la prévention sous laquelle les prévenus comparaissent devant la cour sont qualifiés et punis par les articles 367, 568, 370, 374, 222, 225, 59 et 60 du code pénal;

"Attendu que la circonstance que l'écrit, renfermant les passages incriminés, a été lu, en séance publique du conseil communal d'Ath, par l'un des conseillers communaux présents, au nom des autres, avec l'intention le bourgmestre d'Ath en dehors du conseil, de protester contre l'arrêté royal qui a nommé ne peut pas donner aux faits constitutifs de la prévention un caractère politique qui soit de nature à les faire classer parmi les délits politiques dont fait mention l'article 98 de la constitution;

<< Attendu qu'il s'ensuit que le tribunal correctionnel de Tournai était compétent pour connaître de la prévention mise à charge des prévenus;

« Par ces motifs, faisant droit sur l'appel du ministère public, met à néant le jugement dont il est appel; dit que le tribunal correctionnel de Tournai était compétent pour connaitre de la prévention mise à la charge des prévenus; et, faisant ce que le premier juge aurait dù faire, la cour orprochain, il sera procédé à l'instruction et donne qu'à l'audience du vendredi 9 mai au jugement de la présente cause. »

Pourvoi par tous les prévenus, sans indication de moyens; mais, à l'audience, ils en présentèrent trois auxquels répondent les conclusions de M. le procureur général Leclercq.

Dans une note fournie par M. l'avocat général Hynderick, qui avait porté la parole à la cour d'appel, ce magistrat justifiait comme suit l'arrêt attaqué en ce qui concerne l'évocation.

La question de savoir si le juge d'appel, réformant le jugement d'un tribunal de première instance qui s'est déclaré à tort incompétent ratione materiæ, peut connaître du fond du litige, n'est pas neuve.

L'opinion affirmative a trouvé de nom

breux appuis en doctrine et en jurisprudence. Elle est professée par Merlin, Quest. de droit, vo Appel, 14, art. 2, no 5; Dalloz, Nouv. Rép., vo Appel crim., no 346, 547, et vo Degrés de juridiction, chap. 4, no 666 et suiv., surtout no 674 et la note 4; Carnot, Instruct. crim., art. 215, observ. add., no 1; Bourguignon, Code crim., art. 215; Trébutien, t. 2, p. 515.

En France, cette opinion forme un point de jurisprudence constant. (Voy. les codes annotés par Sirey, refondus par Gilbert, article 215 du code d'inst. crim., et Teulet et Sulpicy, article 215 du code d'inst. crim., no 10.)

En Belgique, cette solution a été admise par arrêts de la cour d'appel de Bruxelles du 11 janvier 1833 (Pasic., 1853-1834, p. 7), du 6 janvier 1858 (Pasic., 1838, p. 11), du 14 août 1852 (aff. Peltzers), du 29 nov. 1855 (Pasic., 1856, appel, p. 41), du 19 avril 1856 (aff. Keyaerts), et par un arrêt de la cour de cassation du 12 mars 1834 (Pasic., 1854, cass., p. 226), Liége, 3 juillet 1850.

L'opinion contraire a été consacrée par un arrêt de la cour de cassation de Belgique du 21 mars 1848 (Pasic., 1848, p. 201).

Il est à remarquer toutefois que l'espèce de ce dernier arret offre un caractère tout particulier, que ne présente pas le litige soumis en ce moment à l'appréciation de la cour suprême. Le tribunal de Furnes était resté saisi de la cause à l'égard de quelques prèvenus, il ne s'était déclaré incompétent que relativement à certains autres. En réformant ce jugement d'incompétence, le tribunal de Bruges ne pouvait pas retenir le fond du procès sans froisser les principes de l'indivisibilité d'une procédure ayant pour objet des faits essentiellement connexes.

Aussi le jugement de ce tribunal, du 9 novembre 1846, est-il motivé par cette considération, qui a été reproduite dans un des considérants de l'arrêt de cassation, en ces termes « Considérant que le principe de

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l'indivisibilité de la procédure rend même «< ce renvoi nécessaire, lorsque le premier «juge est demeuré saisi de la cause à raison «de faits connexes imputés à d'autres pré« venus, et dont l'appel n'a pas dévolu la << connaissance au juge supérieur. »

Pour déterminer quels sont les devoirs qui incombent au juge d'appel et quelle est l'étendue de sa mission, Merlin, loc. cit., nos 4 et 5, pose un principe qui, pour nous servir de ses expressions, lui sert de boussole. «< Le juge d'appel doit faire, dit cet auteur, tout « ce qu'aurait dû faire le premier juge. »

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Ce principe trouve son application dans toutes les hypothèses qui peuvent se présenter; dans les cas prévus aux articles 212, 215, 214 et 215 du code d'instruction criminelle, comme dans ceux où la réformation est motivée, soit sur l'incompétence du premier juge, à raison du lieu du délit, du domicile ou de la résidence du prévenu, soit pour mal jugé au fond, soit sur l'incompétence ratione materiæ. Chaque fois que le premier juge devait s'abstenir, au juge d'appel incombe le même devoir d'abstention; chaque fois que le premier juge devait statuer au fond, au juge d'appel incombe la mission de connaître du fond du débat.

Tel est l'esprit qui a dicté les dispositions des articles 211 et suiv. du code d'instruction criminelle; comme il avait dicté celles de l'article 202 du code du 3 brumaire an iv et de la loi du 29 avril 1806.

D'après ce principe, le devoir du tribunal de Tournai étant de juger le fond, au lieu de s'arrêter à un déclinatoire, la cour d'appel de Bruxelles devait, en repoussant la fin de nonrecevoir, retenir la connaissance des faits imputés aux prévenus.

Les adversaires de ce système font remarquer que l'évocation constitue un droit exceptionnel qu'un texte formel doit consacrer; que les articles 212, 213 et 215 du code d'instruction criminelle, qui seuls autorisent l'évocation, n'en faisant pas mention, le juge d'appel ne peut connaître du fond.

On répond à cette objection en disant que le droit qu'a le juge d'appel d'apprécier le fond est la conséquence d'un principe général qui domine la matière des appels de justice répressive; principe dont les dispositions du code d'instruction criminelle ne sont qu'une application et qui doit régir les cas non prévus par ce code.

A ce point de vue, l'article 215 est considéré comme n'étant pas limitatif dans ses énonciations, et il faut bien lui donner ce caractère; sinon il faudrait refuser au juge d'appel le droit de connaître du fond lorsqu'il réforme pour mal jugé (voir Merlin, loc. cit., no 5). Dans ce cas, comme dans celui de réformation pour violation ou omission de formes prescrites sous peine de nullité, comme dans celui de réformation pour incompétence ratione materiæ, il faut admettre que le juge d'appel « devant faire ce « que le premier juge aurait dû faire » est tenu de statuer au fond.

En vain soutiendrait-on que le système de l'arrêt attaqué enlève aux prévenus un degré

de juridiction. Le tribunal de Tournai, étant compétent, a été valablement saisi; il a été à même de prononcer; il s'est dessaisi. Cela suffit, comme le décide la cour de cassation de France, dans son arrêt du 18 novembre 1836, pour que le premier degré de juridiction ait été épuisé.

Il en serait autrement si la décision du premier juge était réformée, parce qu'il aurait statué au fond, alors qu'il était incompétent à raison du lieu du délit, du domicile ou de la résidence du prévenu. Dans ce cas, il y aurait lieu à renvoi par le motif qu'il n'y aurait pas eu de premier degré de juridiction de la part d'un juge compétent.

Dira-t-on qu'avec la jurisprudence de la cour d'appel de Bruxelles il dépendra du prévenu ou du ministère public, en soulevant une exception d'incompétence devant le premier juge, d'ailleurs compétent, d'enlever à celui-ci la connaissance du fond?

Pour réfuter cette objection il importe de faire remarquer que le prévenu et le ministère public ne peuvent, par leur propre action, amener un résultat de cette nature. Il suffira que le premier juge rende bonne justice; c'est-à-dire qu'il écarte l'exception d'incompétence mal fondée pour conserver la juridiction au fond. En effet, si dans ce cas son jugement était déféré au juge d'appel, celuici devrait se borner à confirmer la sentence sans pouvoir apprécier le fond du débat.

Au point de vue de l'objection puisée dans l'absence du premier degré de juridiction, on ne peut établir aucune distinction entre le cas où le juge s'est déclaré incompétent après l'instruction du fond, et celui où le fond n'a pas été entamé, pour soutenir que dans la première hypothèse le juge d'appel peut connaître du fond, sans violer la règle des deux degrés de juridiction. Cette distinction serait sans portée, car s'il faut un premier degré de juridiction au fond, ce premier degré ne peut pas consister en une simple instruction; il faudrait un jugement sur le fond même du litige.

Les conséquences du système des demandeurs en cassation concourent à la justification de l'arrêt attaqué. Si la cour d'appel ne s'était pas réservé l'appréciation du fond, elle aurait dù renvoyer le procès soit au tribunal de Tournai, soit à tout autre tribunal.

Le renvoi au tribunal de Tournai eût été contraire au principe d'après lequel on ne peut pas exiger qu'un tribunal se déjuge; principe qui a reçu son application aux articles 224 et 230 du code d'instruction crimi

nelle. Ce renvoi obligé aurait du reste pour conséquence possible d'engager la poursuite dans une voie sans issue. Que serait-il arrivé, en effet, si, la procédure étant renvoyée au tribunal de Tournai, celui-ci, obéissant à la conviction qui l'anime, s'était de nouveau déclaré incompétent? s'il avait vu son second jugement réformé, avait été saisi une troisième fois, avait persisté dans sa première opinion et ainsi de suite? La procédure s'agi

tait dans un cercle vicieux.

Peut-on attribuer au législateur l'intention de proclamer un système de nature à engendrer de pareils résultats?

Quant au renvoi à un autre tribunal, il eut été attributif de compétence; et, pour avoir juridiquement cette portée, dans une matière où tout est de stricte interprétation, la faculté de prononcer ce renvoi devrait résulter d'un texte formel qui l'autorise; or, aucune disposition législative ne confère aux cours d'appel le pouvoir de rendre compétent un tribunal qui ne l'est pas d'après les principes généraux.

Nous disons que ce renvoi eût été en réalité attributif de compétence; en effet, les prévenus ayant commis les délits qui leur sont imputés à Ath où ils sont domiciliés, un seul tribunal est compétent pour les juger c'est le tribunal de Tournai, auquel l'action du ministère public a été déférée.

Ces considérations démontrent que c'est à bon droit que la cour d'appel de Bruxelles, par son arrêt du 26 avril dernier, s'est réservé la connaissance du fond du procès intenté aux demandeurs en cassation.

M. le procureur général Leclercq a dit :

Trois points dans cette affaire doivent appeler notre attention; ce sont les seuls qui aient formé l'objet des débats devant la cour d'appel; nous n'avons rien remarqué, d'ailleurs, dans la procédure que nous dussions relever.

1o La cour d'appel a-t-elle méconnu la chose jugée en décidant qu'aucune prévention d'un délit de presse n'avait été mise à charge des demandeurs par l'ordonnance de la chambre du conseil du 4 février 1856?

2o La prévention du délit de calomnie commis envers un bourgmestre au moyen d'un écrit lu dans une séance publique du conseil communal par un conseiller, en son nom et au nom d'autres conseillers présents et signataires, avec l'intention expresse de protester contre un arrêté royal qui nomme le bourgmestre en dehors du conseil, est-elle une prévention d'un délit politique?

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En est-il de même du délit d'outrages par paroles commis à cette occasion envers ce bourgmestre dans l'exercice de ses fonctions?

5o La cour d'appel a-t-elle pu retenir la connaissance de l'affaire après avoir infirmé le jugement par lequel le tribunal correctionnel s'était déclaré incompétent pour en connaître?

Le premier de ces trois points a sa source dans l'analyse qu'a faite l'ordonnance de la chambre du conseil de la prévention sur laquelle il lui était fait rapport par le juge d'instruction.

Cette analyse, énumérant les diverses circonstances du délit de calomnic, emploie les termes de l'article 367 du code pénal et entre autres ces mots : soit dans un écrit imprimé; les demandeurs induisent de là que la prévention porte sur un délit de presse, de la compétence exclusive du jury, et qu'en décidant le contraire, la cour d'appel à méconnu la chose jugée.

Cette conséquence serait vraie si ces mots étaient seuls, car le sens qu'ils présentent est clair; mais elle ne l'est point si, loin d'être seuls, ils sont accompagnés d'autres phrases ou membres de phrases destinées à déterminer, conjointement avec eux, les caractères de la prévention.

Ce n'est pas, en effet, à vous que nous devons apprendre que, pour reconnaitre le sens et la portée d'un écrit ou d'un discours, il ne faut pas en prendre et en considérer quelques termes isolément ; que toutes les parties d'un écrit ou d'un discours, destinées à exprimer la pensée de l'auteur ou de l'orateur, sont corrélatives, s'expliquent les unes par les autres, se modifient les unes les autres, et que ce que certains passages ont de général ou de restreint, pris isolément, se restreint ou se généralise par d'autres passages qui ne font qu'un avec eux.

Or, c'est ce qui se rencontre dans l'espèce; les mots que nous venons de rappeler, dans un écrit imprimé, ne sont pas seuls employés pour déterminer les caractères de la prévention; ils sont d'abord accolés aux autres mots de l'article 367 du code pénal: ou non, qui aura été affiché, vendu ou distribué; et ces mots, expression d'une alternative et du temps futur, expriment la définition légale d'un délit faite en vue de l'avenir et de toutes ses éventualités plutôt que la définition d'une prévention faite en vue du passé et d'un cas déterminé ; le tout semble n'être ainsi reproduit que comme le genre légal du délit, genre dont l'espèce particulière doit être tirée en

suite par le rapprochement des faits de la cause; aussi l'ordonnance vise, immédiatement après, le réquisitoire du procureur du roi qui fixe cette espèce en restreignant la prévention de calomnie au fait d'un écrit lu dans la séance du conseil communal, puis elle porte que le délit de calomnie, objet de la prévention, a été commis le 29 novembre 1855, qui est précisément le jour de cette séance; il ajoute enfin que la prévention est contenue dans un certain écrit, en date du 29 novembre dernier, lequel est signé par les prévenus, et qu'ils ont tous déclaré bien connaître, ce qui ne peut se rapporter qu'à un écrit non imprimé, distribué, affiché ou vendu.

Tels sont les différents passages de l'ordonnance concourant tous à définir la prévention dans l'espèce; la cour d'appel, non plus que le tribunal correctionnel, ne pouvait donc, pour en reconnaître la nature, s'arrêter exclusivement aux mots écrit imprimé; elle devait prendre tous ces passages dans leur ensemble, les mettre en rapport les uns avec les autres et en déduire le sens et la portée ; c'est ce qu'elle a fait, et en le faisant elle a reconnu que la chambre du conseil n'avait évidemment entendu renvoyer les demandeurs devant le tribunal correctionnel que pour le délit de calomnie qui a été commis par la lecture de l'écrit signalé dans le réquisitoire du procureur du roi joint au dossier; une pareille décision n'est autre chose qu'une interprétation de l'ordonnance de la chambre du conseil, interprétation nécessaire par suite du doute que l'on avait élevé à ce sujet après l'avoir entendue jusqu'en appel dans le même sens, interprétation fondée sur la contexture même de l'acte. Loin donc de méconnaître la chose jugée, la cour d'appel la prend au contraire pour règle de sa décision; il faudrait, pour qu'on put dire qu'elle l'a méconnue, ou qu'il n'y eût pas matière à interprétation, et nous venons de voir qu'elle était nécessaire, ou qu'un texte clair, précis, formel la repoussât, et nous venons de voir aussi qu'il n'en est rien, ou qu'enfin elle fût contraire à une loi quelconque, et l'on n'en cite, on ne pourrait en citer aucune. La cour dit, il est vrai, que c'est par erreur que le mot imprimé s'est glissé dans l'ordonnance, mais il est évident qu'elle parle d'une erreur de rédaction, d'un véritable lapsus calami, constatant ainsi un simple fait en rapport avec son interprétation, et non d'une erreur de jugement qu'il ne lui appartiendrait de signaler qu'en réformant l'ordonnance, ce qu'elle n'avait pas le pouvoir de faire. L'erreur signalée par elle n'est donc qu'une con

séquence de son interprétation souveraine, et ne peut lui enlever le caractère de décision de fait étrangère à toute contravention; son arrét échappe donc à toute critique sous le rapport du premier point.

Nous en dirons autant sous le rapport du second.

Vous aurez remarqué qu'en en formulant les termes, nous avons omis la circonstance, mentionnée dans le jugement du tribunal correctionnel de Tournai, que le conseil communal avait fait sienne l'œuvre des demandeurs, et qu'il avait ordonné que la protestation fùt transcrite dans le procès-verbal de la

séance.

Nous avons omis cette circonstance, parce que, d'une part, elle n'était mentionnée ni dans l'arrêt attaqué ni dans la procédure, et que le jugement du tribunal correctionnel ayant été infirmé, ses énonciations n'avaient aucune valeur pour nous; parce que, d'autre part, aucune prévention n'a été mise à charge du conseil communal, aucune action ne lui a été intentée, les conseillers communaux ont seuls individuellement été mis en prévention et poursuivis, et que de fait le délit de calomnie, objet de la prévention et des poursuites, a dû être commis, s'il l'a été, aussitôt après la lecture de l'écrit renfermant les imputations calomnieuses et avant que le conseil communal eût pris aucune décision.

nous citerons notamment votre arrêt du 6 avril 1857 invoqué par les demandeurs, et leur avocat a lui-même reconnu qu'il en était ainsi; les lois relatives à ces délits, en effet, ne sont autre chose que des lois de police, des lois protectrices de la personne dans les diverses positions où elle peut se trouver.

Il faut donc, pour que ces délits cessent d'ètre des délits ordinaires et se transforment en délits politiques, que les circonstances particulières dans lesquelles ils ont été commis leur aient imprimé ce caractère.

Nous nous sommes, pour vérifier ce qu'il en est à cet égard, livrés à de longues recherches pour reconnaître quels sont les éléments constitutifs des faits propres à imprimer le caractère de délit politique à un délit ordinaire. Mais arrivés au terme de ces recherches et au moment d'en faire l'application aux faits particuliers de chaque espèce et spécialement à ceux du procès, nous avons reconnu que pour cela nous devions rechercher le sens de ces faits, la portée que leur avaient donnée leurs auteurs, le but dans lequel ils avaient agi, leurs desseins, leurs intentions; que nous devions faire enfin ce que l'avocat des demandeurs a fait dans votre audience d'hier, lorsqu'il a recherché quels étaient les desseins, les intentions qu'avaient ses clients en lisant l'écrit incriminé, dans quel but ils avaient agi, quelle portée ils avaient donnée à leurs actes et à leurs paroles, et qu'en terminant comme en commençant cette recherche, il s'est écrié que ce n'était point pour le plaisir de s'attaquer à la personne du bourgmestre d'Ath qu'ils avaient agi, que c'était dans un but, dans un dessein, avec des intentions plus élevées. Or, la vérification du sens, de la portée, du but des faits particuliers propres à transformer un délit ordinaire en délit politique, la vérification des desseins et des intentions des auteurs de ces faits sont des vérifications de fait qu'il appartient souverainement au juge du fait d'établir et qui échappent, en conséquence, au contrôle de la cour de cassation. Considérés en eux-mêmes, les délits de Il faudrait, pour qu'il en fut autrement, calomnie et les délits d'outrages même en- qu'une loi eut défini ces faits et que la vérivers des fonctionnaires publics, sont des dé- fication du juge fût contraire aux termes de lits ordinaires; toujours ce caractère leur a cette définition, et aucune loi ne les a définis. Certes l'article 98 de la constitution, été reconnu; de nombreuses poursuites ont. depuis que notre constitution existe, été en, déférant exclusivement au jury la conexercées du chef de calomnic et d'outrages naissance des délits politiques, a donné à cette et chaque fois elles ont été portées devant expression, délits politiques, un sens juridiles tribunaux correctionnels, non devant le que, et la cour ou le tribunal qui considérejury; appelée à en connaître, la cour de cas- rait comme délit ordinaire un délit qui, sation a également décidé chaque fois qu'ils d'après ce sens juridique, serait un délit pon'avaient en eux-mêmes rien de politique;litique ou vice-versa, contreviendrait à cet

Nous ne pouvons donc nous arrêter qu'aux circonstances énoncées dans l'arrêt attaqué: ' prévention d'un délit de calomnie envers un bourgmestre commis au moyen d'un écrit lu dans une séance publique du conseil communal par un conseiller en son nom et au nom d'autres conseillers présents et signataires, avec l'intention expresse de protester contre un arrêté royal qui nomme le bourgmestre en dehors du conseil; délit d'outrage par paroles commis envers lui à cette occasion et lorsqu'il était dans l'exercice de ses fonctions.

Ces délits sont-ils des délits politiques?

PASIC., 1856. Ire PARTIE.

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