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actes d'exécution et de simple régie, et il termine l'examen de cette distinction entre le cas de l'article 60 et celui de l'article 61 de la loi du 14 décembre 1789, en disant : « Les délibérations des corps municipaux, assimilées aux actes émanés du pouvoir administratif, et, par ce motif, soustraites à la juridiction ordinaire, ne peuvent être annulées, interprétées ou modifiées que par les corps administratifs supérieurs.

<< Mais on n'est pas allé jusqu'à couvrir de la même faveur les actes d'exécution et de simple régie faits par les maires ou leurs adjoints."

Donc, du moment qu'il s'agit d'une délibération, d'un acte voté par les officiers municipaux délibérant collectivement sous la présidence du maire, en d'autres termes, d'un acte du corps municipal lui-même, si un citoyen croit avoir personnellement à s'en plaindre, les tribunaux sont incompétents, et c'est devant l'autorité administrative supérieure qu'il doit se pourvoir, par application de l'article 60 de la loi du 14 décembre 1789.

Le maire ou le bourgmestre et ses adjoints, en d'autres termes, les officiers municipaux agissent-ils comme chargés des actes d'exécution ou de simple régie, et veut-on les incriminer à raison de ces actes ou de ces délits d'administration, c'est le cas de l'art. 61, et les tribunaux sont compétents pour connaître du crime ou du délit qu'on impute à l'officier municipal, sur le renvoi de la dénonciation qui leur est fait par l'autorité administrative.

C'est donc à tort qu'on voudrait conclure de la compétence du pouvoir judiciaire dans le cas de l'article 61, à cette même compétence dans le cas de l'article 60.

Or, de quoi s'agit-il dans l'espèce? D'un écrit dont les conseillers communaux de la ville d'Ath, délibérant collectivement dans le lieu ordinaire de leurs séances, sous la présidence du bourgmestre, ont voté, à l'unanimité, la lecture, l'adoption et l'insertion au procès-verbal de la séance, en d'autres termes, d'un acte ou d'une délibération du conseil communal lui-même.

L'espèce tombe donc bien certainement sous l'application de l'article 60 que l'arrêt dénoncé a violé en n'adoptant pas l'exception d'incompétence proposée par les demandeurs.

On a vu comment les auteurs se sont prononcés sur cet article. La jurisprudence n'est pas moins explicite. (Voy. aussi l'ouvrage de Chassan, sur les délits de presse.)

Dès 1792, le tribunal de cassation rendit, le 3 mai, un arrêt par lequel il cassait, sur le pourvoi du ministre de la justice, un jugement du tribunal de la Roche-Bomard qui avait rejeté le déclinatoire des officiers municipaux de Saint-Dolay, attraits devant lui, déclinatoire fondé sur l'article 60 de la loi du 14 décembre 1789.

«L'acte constitutionnel, avait dit le commissaire du roi, défend aux tribunaux d'entreprendre sur les fonctions administratives ou de citer devant eux les administrateurs à raison de leurs fonctions. C'est sur cette division des pouvoirs que repose la constitution... La loi, en indiquant les moyens de réprimer les abus de l'autorité municipale, n'a pas permis que des magistrats qui exercent un ministère tout à la fois si important et si pénible, pussent être exposés à descendre journellement de leurs siéges pour aller devant les tribunaux répondre aux attaques de la malveillance ou se justifier contre ceuxlà mêmes dont ils auraient eu le plus souvent à punir les écarts. C'est aux corps administratifs supérieurs que ceux qui ont à se plaindre des officiers municipaux doivent adresser leurs griefs, la loi du 14 décembre 1789, article 60, n'offre pas d'équivoque à ce sujet » (Journal du Palais, t. 1er, p. 12.) Voir dans le même sens un arrêt de cassation en date du 29 germinal an x1.)

Le conseil d'Etat, par une série de décisions toujours les mêmes sur la question en litige, a consacré, aux termes de la loi du 14 décembre 1789, art. 60, l'incompétence des tribunaux pour connaître des plaintes en diffamation portées par un citoyen contre le maire et les membres du conseil municipal d'une commune, à raison de délibérations de ce conseil. Un des premiers arrêtés à citer est du 12 février 1842 (Jurisprudence du XIXe siècle, 1842, 2, p. 282).

Le préfet du département du Gers avait élevé le conflit devant le tribunal de Mirande.

Il avait soutenu qu'il est de l'essence des corps délibérants que leurs délibérations soient parfaitement libres : or, cette liberté ne peut exister si les membres qui composent ces corps sont exposés à des poursuites devant l'autorité judiciaire, à raison des opinions qu'ils ont pu émettre dans leurs discussions orales ou dans leurs délibérations écrites. Ce serait, d'ailleurs, établir la suprématie de l'autorité judiciaire... Si des citoyens croient que ces délibérations leur font grief, ils ont seulement le droit d'en demander

l'annulation à l'autorité supérieure qui a le pouvoir d'ordonner cette suppression.

Le commissaire du roi, M. Boulatignier, émit quelques doutes devant le conseil d'Etat sur la doctrine de l'irresponsabilité absolue des corps municipaux ainsi entendue. Selon lui, si l'irresponsabilité dont on voulait doter les corps administratifs existait d'après la loi, ce serait aux tribunaux correctionnels qu'il appartiendrait de la proclamer en repoussant les plaintes téméraires qui auraient été intentées.

En conséquence, le commissaire du roi avait conclu à l'annulation du conflit; mais, malgré ses efforts, le conseil accueillit le conflit et y fit droit, en annulant le jugement du tribunal qui avait rejeté le déclinatoire proposé pour les officiers municipaux attraits devant lui du chef de la diffamation qui leur était reprochée par un sieur Deffaux, dans une de leurs délibérations. (Voyez Gazette des Tribunaux, numéro du 17 février 1842.)

La même année encore, le conseil d'Etat confirma sa jurisprudence par deux arrêtés en date du 6 septembre et du 9 décembre (Jurisprudence du xix° siècle, 1843, 2, p. 108).

On peut citer ensuite, toujours rendus dans le même sens et toujours en matière de diffamation, les arrêtés suivants : du 29 juin 1847 (Jurisprudence du XIXe siècle, 1848, 2, 555); du 11 avril 1848 (ibid., 1849, 2, p. 518); du 11 novembre 1851 (ibid., 1852, 2, p. 251); et enfin un arrêté tout récent du 18 mai 1854 (ibid., 1854, 2, p. 628).

Il importe de ne pas perdre de vue que dans tous ces arrêtés du conseil d'Etat, en ce qui concerne spécialement la question de compétence, la seule actuellement en litige, l'article 60 de la loi du 14 décembre 1789 est nettement dégagé de toute autre disposition législative, et que son application ne dépend pas de quelque texte relatif à l'organisation administrative particulière à la France.

Pour mieux faire ressortir cette observation, il suffira de reproduire le dernier arrêté, rendu à la date du 18 mai 1854.

Par une délibération du 13 juin 1853, le · conseil municipal de la commune de Horville (Seine-Inférieure), statuant sur une demande de vaine pâture dans les marais de la commune, avait rejeté cette demande par le motif que la demoiselle Savalle ne pouvait pas être regardée comme chef de ménage << étant connue pour demeurer avec le sieur Lefrileux, avec lequel elle vit en concubinage et duquel elle a des enfants. >>

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Appel devant la cour de Rouen, qui confirme le jugement par arrêt du 17 novembre 1855.

L'affaire étant revenue devant le tribunal correctionnel du Havre pour y recevoir jugement au fond, le préfet de la Seine-Inférieure intervint et proposa le déclinatoire, sur le motif que, d'après l'article 60 de la loi du 14 décembre 1789, les citoyens qui croient être personnellement lésés par quelque acte du corps municipal n'ont que la faculté d'exprimer leurs sujets de plainte à l'autorité administrative supérieure, laquelle y fait droit, s'il y a lieu, après vérification des faits.

Ce déclinatoire fut rejeté par un jugement du 14 février 1854. Conflit. Arrêté du conseil d'Etat.

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<< Considérant que les sieurs Quesnel et autres conseillers municipaux de la commune de Horville sont poursuivis devant le tribunal de police correctionnelle du Havre, à la requête du sieur Lefrileux et de la demoiselle Savalle, comme ayant signé une délibération prise le 13 juin 1853, par le conseil municipal, et qui contiendrait une imputation qualifiée de diffamatoire par les plaignants;

« Considérant qu'aux termes de l'ordonnance du 1er juin 1828, il y a lieu d'élever le conflit en matière correctionnelle, toutes les fois que la répression du fait poursuivi comme délit est attribuée à l'autorité administrative par une disposition législative;

« Considérant que, d'après l'article 60 de la loi des 14 et 22 décembre 1789, tout citoyen qui croit être personnellement lésé par un acte quelconque du corps municipal, ne peut qu'exposer ses sujets de plainte à l'autorité administrative supérieure, laquelle y fait droit, s'il y a lieu, après vérification des fails;

« Considérant d'ailleurs que la revendication faite par l'arrêté du conflit ci-dessus visé est conforme au principe de la séparation du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire consacré par toute législation;

«Art. 1or. L'arrêté du conflit pris le 28 fé

vrier 1854, par le préfet de la Seine-Inférieure, est confirmé.

Art. 2. Sont considérés comme non avenus 1o l'exploit introductif d'instance du 18 juillet 1855; 2o le jugement rendu le 31 août 1853 par le tribunal du Havre; 3o l'arrêt rendu par la cour impériale de Rouen, le 17 novembre 1853; 4° l'exploit d'assignation en date du 14 janvier 1854; 5o les conclusions prises devant le tribunal de police correctionnelle du Havre par Lefrileux et la demoiselle Savalle; 6o le jugement du 14 février 1854, rendu par le tribunal de police correctionnelle du Havre. »

Comme la cour de cassation dès 1792, la cour d'appel de Nancy en 1846 a confirmé la jurisprudence que le conseil d'Etat a si fidèlement maintenue.

Dans l'espèce de l'arrêt de la cour de Nancy, c'est encore de diffamation qu'il s'agit.

Mayeur Guillemin, secrétaire municipal de Ligny, avait rédigé une délibération qu'il avait transcrite sur les registres de la ville et qu'ensuite il avait fait signer par les membres du conseil municipal.

A la suite d'une difficulté résultant de la rédaction de la délibération, plusieurs membres du conseil prétendirent que Mayeur en avait altéré la substance dans son intérêt personnel. Plusieurs délibérations furent prises en ce sens, et Mayeur, se voyant ainsi attaqué dans l'opinion publique, fit citer quatre signataires de ces délibérations devant le tribunal de Bar-le-Duc pour s'entendre condamner à des dommages-intérêts à titre de réparation.

Déclinatoire par les défendeurs qui prétendirent que c'était à l'administration supérieure que Mayeur devait s'adresser et non aux tribunaux.

Jugement par lequel le tribunal se déclara incompétent, par le motif que les délibérations dénoncées avaient été prises par le conseil municipal régulièrement constitué; que ces délibérations et les actes qui les avaient précédés ou accompagnés étaient des actes de l'administration; que les actes de cette nature, d'après le principe qu'établit la séparation des pouvoirs, échappent à l'appréciation et au contrôle du pouvoir judiciaire; qu'ils ne peuvent être scindés; qu'il n'y a pas d'ailleurs à distinguer entre les actes ordinaires de l'administration et les délibérations des conseils municipaux; que l'art. 60, loi du 14 décembre 1789, porte, etc., etc.; que telle est au surplus la jurisprudence du conseil d'Etat, attestée par plusieurs arrêtés.

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Appel et arrêt confirmatif d'après les motifs du premier juge.

Cet arrêt, en date du 17 juillet 1846, est rapporté dans le Journal du Palais, 1847, I, p. 85.

Comme on le voit, nul doute possible quant à la jurisprudence et à la doctrine françaises. Si la plupart des autorités qui ont été citées décident la question en matière de calomnie, d'outrages et d'injures, ou autrement dit en matière de diffamation, c'est que ce n'est guère qu'en matière de diffamation que la contestation a dù être soulevée. Le citoyen qui adresse une demande à un corps municipal et qui se voit repoussé, comprend aisément que, pour la poursuite ultérieure de sa requête, il doit s'adresser à l'autorité administrative supérieure.

Là où le doute pourra naître chez lui, c'est, lorsque, à l'occasion de la délibération

prise sur sa demande, il se croira atteint dans sa considération ou son honneur par les motifs du refus qu'il aura éprouvé.

Il croira qu'il lui est permis de demander réparation aux tribunaux de ce qui lui apparaitra comme une calomnie ou une injure. Mais la doctrine et la jurisprudence lui répondent par le texte formel de la loi du 14 décembre 1789, art. 60. Sans doute, il peut demander une réparation; mais certes elle sera suffisante, si, diffamé à tort, il obtient de l'autorité supérieure l'annulation de l'acte qui lui inflige grief.

L'acte annulé, tout disparaît; car il est comme non avenu. Quod nullum est, nullum parit effectum.

Ce serait donc à tort qu'on voudrait prétendre que l'article dont il s'agit consacre l'impunité.

La question soulevée par les demandeurs n'est plus douteuse en France; doit-elle paraître telle en Belgique?

La loi du 14 décembre 1789, on l'a dit plus haut, a été partiellement publiée en Belgique, et parmi les articles publiés figure l'article 60. Il faut donc qu'il reçoive son application en Belgique tant qu'il n'est pas démontré qu'il a été abrogé.

L'abrogation expresse n'a pas eu lieu; aucun texte ne l'a prononcée.

Y a-t-il eu abrogation tacite?

Ce n'est certes pas dans le caractère transitoire de cette disposition législative qu'on puisera la démonstration de son abrogation tacite, ni dans les motifs qui l'ont fait décréter.

Elle est basée sur la nécessité de garantir la liberté des délibérations des corps municipaux et sur le principe de la séparation des pouvoirs.

Tant qu'il y aura en Belgique des conseils communaux délibérants, tant que la constitution consacrera la séparation des grands pouvoirs de l'Etat, le principe proclamé par l'article 60 de la loi du 14 décembre 1789 aura sa raison d'être.

L'abrogation résulterait-elle de la dissemblance entre le système politique de l'époque où cet article a été décrété, et le système politique actuellement en vigueur en Belgique?

Après le décret du 4 août 1789 qui abolit la féodalité, le décret du 14 décembre suivant, dont fait partie l'article 60, constitua toutes les communes sur une base uniforme et régulière, en harmonie avec l'unité politique et l'organisation générale de l'Etat.

« Ce décret, disent les auteurs du Réper« toire administratif, vo Commune, p. 167,

«<est la véritable charte des communes mo«dernes, et toutes les lois qui sont interve«nues par la suite sur cette matière n'ont « été que le développement ou la restriction « des principes qu'il avait posés, suivant que « la forme du gouvernement était plus ou « moins despotique, suivant le degré de «< crainte qu'inspirait la liberté communale. >>

A ce point de vue, on en conviendra, sans qu'il y ait lieu d'établir aucune comparaison choquante, il pourrait paraître singulier qu'une des dispositions les mieux faites pour garantir le libre exercice des fonctions départies aux conseils municipaux, eût pu survivre en France jusqu'en 1856, alors qu'on voudrait prétendre qu'elle a disparu en Belgique sous le régime de la constitution la plus libérale du continent.

Inutile de démontrer, au surplus, que de tout temps la Belgique a été le vrai pays des libertés communales.

Mais la loi spéciale du 30 mars 1836, qui régit les communes belges, s'opposerait-elle à l'application du texte dont il s'agit?

La loi du 30 mars 1856 renferme deux articles dont les dispositions reposent précisément sur les principes qui ont motivé la confection de l'article 60 de la loi de 1789.

Les articles 86 et 87 de la loi du 30 mars 1856 règlent le recours contre les actes et les résolutions d'un conseil communal qui sortiraient de ses attributions, qui blesseraient l'intérêt général ou qui seraient contraires

aux lois, et ce recours est purement administratif.

C'est la députation permanente, c'est le roi et son conseil, comme le voulait Loyseau, c'est, au besoin, le pouvoir législatif auquel on en appelle et qui intervient pour redresser l'erreur ou annuler ce qui mériterait de l'être.

Or, de deux choses l'une ou le cas spécial prévu par l'article 60, loi du 14 décembre 1789, celui d'un citoyen qui se croirait personnellement lésé par un acte d'un conseil municipal, est compris dans les dispositions des art. 86 et 87 de la loi du 30 mars 1856, et alors ce sera par application de ces deux articles qu'on statuera aujourd'hui, comme on aurait statué avant la loi du 50 mars 1836 par application de l'article 60 de la loi de 1789; ou le cas spécial dont il s'agit ne tombe pas sous l'application desdits art. 86 et 87, et alors il sera réglé en Belgique par l'art. 60 de la loi mentionnée, et cet article sera interprété dans le sens de l'incompétence du pouvoir judiciaire, puisque celte interprétation ne fait plus doute.

Car, de prétendre que la loi du 30 mars 1836 a abrogé tout ce qu'elle n'a pas expressément conservé, ce n'est certes pas le cas.

Lors de la discussion devant la chambre des représentants, la question de l'abrogation absolue a été nettement posée.

Le ministre de la justice a répondu, sans que son opinion ait été contredite, qu'il ne pensait pas que toutes les lois anciennes qui comprennent les matières sur lesquelles tombe la loi communale fussent abrogées; qu'au contraire, et d'après les principes, toutes les lois anciennes auxquelles il n'était pas dérogé expressément restaient en vigueur (Moniteur du 2 décembre 1834).

Et de fait, tous les jours les tribunaux en Belgique appliquent, concurremment avec la loi communale, des lois anciennes qui ont trait à l'administration municipale, et spécialement les articles 50 et 51 de cette même loi du 14 décembre 1789, dont l'art. 60 est en contestation.

Échappera-t-on au dilemme en invoquant les principes inscrits dans la constitution, notamment dans les art. 8, 24, 30 el 92?

Mais chacune de ces dispositions est dominée par le principe supérieur de la séparation des pouvoirs, qui fait la base de notre régime constitutionnel.

S'il est démontré que l'art. 60 de la loi de 1789 est précisément fondé sur le respect dù au principe de la séparation des pouvoirs,

rien dans la constitution ne s'opposera à son application. N'est-ce pas défendre au surplus, une thèse trop absolue que d'alléguer que du moment qu'il vient à naître une contestation sur les droits des citoyens, c'est aux tribunaux qu'il y a lieu de recourir.

Le pouvoir judiciaire lui-même en a maintes fois décidé autrement.

Il est de jurisprudence que les tribunaux sont incompétents pour connaître des contestations en matière de contributions directes (Liége, 2 janvier 1857), ou de la question de savoir si un individu appartient ou non à la milice nationale (Brux., 1er mai 1823), ou de la demande formée contre une chambre des notaires, dont une des délibérations serait dénoncée comme renfermant des faits faux, de nature à inculper l'honneur ou la délicatesse d'un aspirant au notariat (Brux., 10 nov. 1829 [Jurisp. du XIXe siècle, 1830, 5, 49]).

Enfin, il a été jugé qu'un citoyen qui se prétend lésé dans ses droits pour avoir été expulsé de son habitation avec tous ses meubles, en exécution d'une ordonnance communale, n'est pas recevable à en appeler aux tribunaux. La cour suprême a rejeté, à cette occasion, le pourvoi dirigé contre une décision rendue par le tribunal de Bruxelles, aux termes de laquelle, par application de la loi du 14 décembre 1789, de diverses lois de 1790 et 1791, et des articles 86 et suivants de la loi communale, il avait été déclaré à la charge d'un sieur Vanderborght que s'il avait à se plaindre de la résolution prise à son égard par le college des bourgmestre et échevins de Bruxelles, la loi communale lui indiquait le mode de se pourvoir; mais que le tribunal ne pouvait accueillir sa demande en maintien ou en réintégration de son domicile. sans empiéter sur les attributions du pouvoir administratif (cour de cass., arrêt du 6 fév. 1851 [Pasic., 1851, p. 287 et suiv.]).

Il y a donc des cas où le principe consacré par l'art. 92 de la constitution fléchit devant le principe supérieur de la séparation des pouvoirs; car on ne peut douter que, dans les exemples cités, il ne s'agisse de contestations qui ont pour objet des droits civils des citoyens.

D'ailleurs, lorsque le juge devant lequel un demandeur ou un plaignant est renvoyé, est le juge même que la loi lui assigne, peuton prétendre que l'art. 8 de la constitution n'est pas respectė?

Le juge, dans le cas de l'art. 60 de la loi de 1789, comme dans chacun des cas prévus

pour les art. 86 et 87 de la loi communale, c'est d'abord le conseil provincial ou la députation permanente, puis le roi et ses ministres, et au besoin le pouvoir législatif luimême. C'est un juge assigné par la loi, et cela suffit pour la garantie constitutionnelle inscrite dans l'art. 8. En effet, le mot juge dans cet article s'applique aussi bien à un magistrat de l'ordre administratif qu'à un magistrat de l'ordre judiciaire, pourvu que l'un ou l'autre ait été désigné par la loi pour la matière sur laquelle il y aurait lieu de statuer ou administrativement ou judiciaire

ment.

Quant à l'art. 24 de la constitution, il y a lieu de l'écarter du débat. Il n'a pas été plaidé pour les demandeurs qu'une autorisation préalable de la part de l'administration est nécessaire pour rendre recevables les poursuites exercées à leur charge. Ce n'est pas un moyen de non-recevabilité qu'ils ont présenté; c'est un déclinatoire fondé sur l'incompétence même du pouvoir judiciaire pour connaître des faits de la prévention dont il s'agit, incompétence fondée sur un texte de loi qui, dans l'espèce en litige, leur assigne pour juge l'autorité administrative. Au reste, les demandeurs, en tant que conseillers communaux, seraient mal fondés à invoquer la qualité de fonctionnaires dans le sens de la nécessité d'une autorisation préalable que ne comporte plus, d'ailleurs, notre législation. En France même, où subsiste au profit des fonctionnaires la règle de l'autorisation préalable, les membres d'un conseil municipal, pas plus que les conseillers communaux en Belgique, n'étant agents du gouvernement, peuvent être poursuivis sans autorisation préalable de la part de l'administration, dès lors qu'ils sont sous le coup d'une prévention dont peuvent connaître les tribunaux. Toutefois, à propos de l'article 24, il est à remarquer aussi que, dans notre législation, il n'est pas sans souffrir exception. Ainsi l'article 433 du code pénal, 2, ne permet la poursuite, dans les divers cas des art. 450 à 453 du même code et relatifs aux délits des fournisseurs, que sur la dénonciation du gouvernement, ce qui équivaut à l'autorisation préalable de la part de l'administration; et vous avez jugé, le 24 février 1845 (Bull. et Jur. du XIX 8., 1845, 1, 158), que l'article 453, code pénal, n'a pas été abrogé par l'article 24 de la constitution.

L'article 30 de la constitution n'a pas trait non plus au litige, et les demandeurs sur ce point, pour ne pas se répéter inutilement, s'en réfèrent à ce qu'ils ont dit à propos de l'art. 8 et de l'art. 92.

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