Page images
PDF
EPUB

de la propriété ennemie à bord du vaisseau neutre, beaucoup en ajoutant que cette immunité ne s'étendra pas aux sujets ennemis dont le gouvernement ne reconnaît pas la franchise du pavillon neutre. Tous ces traités ont pour base les principes de 1780. Le triomphe de ces principes, qui semble définitif depuis la Déclaration du 16 avril 1856, avait donc été consacré par l'unanimité des États civilisés, un seul excepté, dès avant cette Déclaration et la guerre qui l'a amenée. Mais sous l'influence d'une erreur séculaire, ces mêmes traités consacrent la confiscation des marchandises neutres sur le navire ennemi, qu'ils considèrent comme la conséquence naturelle, sinon forcée, de l'insaisissabilité des marchandises ennemies sous pavillon neutre d'après ces traités, le pavillon couvre la marchandise et la confisque. Les États-Unis, dans leurs traités avec les États chrétiens, ont, jusqu'en 1854, associé constamment les deux maximes; leurs traités avec les États mahométans, notamment le traité de 1815 avec Alger et celui de 1835 avec le Maroc, ont consacré les deux principes de la liberté des biens ennemis sous pavillon neutre et de la liberté des biens neutres sous pavil lon ennemi (1). Ces deux principes sont affirmés dans la convention du 22 juillet 1854 entre les États-Unis et la Russie (2).

[ocr errors]

103. Avant de passer à la sixième période, qui commence en 1854 et nous conduira jusqu'à l'heure actuelle, mentionnons un point qui, sans rentrer directement dans notre sujet, s'y rattache cependant assez étroitement, comme ce que nous venons dire sur le sort de la propriété ennemie à bord du vaisseau neutre, et sur celui de la propriété neutre à bord du vaisseau ennemi.

C'est un principe constant du droit international, que les sentences des Cours de prises des belligérants ne lient le souverain des sujets neutres contre lesquels ces sentences ont été rendues, que si elles sont conformes au droit des gens; si les sujets neutres lésés ou se prétendant lésés s'adressent à leur souverain, et que celui-ci prenne en main

(1) Katchenovsky, op. cit., p. 118.

(2) Ortolan, op. cit., 4o éd., II, p. 471-472, Append. spécial à la dernière guerre d'Orient..., n° XV; Cf. Katchenovsky, op. cit., p. 116. 118; Gessner, op. cit., 2° éd., p. 57.

leur querelle, il y a lieu à une négociation diplomatique entre l'État neutre et le belligérant. Le résultat de cette négociation pourra être l'octroi d'une indemnité à l'État neutre, qui en fera bénéficier ses sujets. L'histoire du droit maritime international de 1815 à 1854 offre de tels exemples (1): c'est ainsi que des indemnités furent allouées aux ÉtatsUnis par le Danemark, par la Suède et par le Portugal, comme le faisait connaître au Congrès le Président des Etats-Unis, par le Message du 6 décembre 1831.

L'histoire de ces mêmes années offre aussi des exemples de commissions mixtes nommées à la suite d'une guerre, et chargées de statuer sur les réclamations que pourraient élever les neutres au sujet des décisions rendues contre eux par les Cours de prises des belligérants (2). On peut citer ce qui se passa à la suite des guerres que les colonies espagnoles de l'Amérique du Sud soutinrent contre leur métropole, au commencement du siècle. Pendant la lutte, de trèsvives discussions eurent licu entre les États-Unis et l'Espagne, au sujet de l'observation des devoirs de la neutralité de la part des États-Unis, et au sujet de la manière dont les Cours de prises espagnoles statuaient à l'égard des neutres. Après la guerre, une commission mixte fut instituée pour examiner les plaintes des sujets américains de 1825 à 1828, une correspondance diplomatique très-suivie eut lieu entre l'Espagne et les États-Unis (3). Les commissions de ce genre n'ont pas le pouvoir de casser les décisions émanées des Cours de prises du belligérant, d'ordonner la restitution des vaisseaux ou de leurs cargaisons; leur pouvoir ne va que jusqu'à l'octroi d'indemnités. Leurs travaux ont toujours lieu en temps de paix. Elles diffèrent donc essentiellement de ces commissions mixtes dont Hübner a le premier réclamé l'institution, commissions qui seraient investies d'un pouvoir de juridiction pour trancher au cours même de la guerre les

[ocr errors]

(1) Lesur, Annuaire Historique, Append. (Partie historique, Documents), p. 206-210: Message du président des États-Unis du 6 décem

bre 1831.

(2) Katchenovsky, op. cit., p. 123-128.

(3) Martens, Recueil, Nouveaux Suppléments de Murhard (Goettingue, 1842), III, p. 180-220. Cette correspondance aboutit à la conclusion du traité du 28 février 1829 Calvo, Recueil, VI, p. 442.

procès survenus entre belligérants et neutres. Les premières ont pour but de réparer les injustices qui ont pu être commises; les secondes auraient pour but de prévenir ces injustices, en vertu de la collation qui leur serait faite du droit de juger, aux lieu et place des belligérants, les affaires de prises maritimes dans lesquelles des neutres seraient impliqués.

SIXIÈME PÉRIODE

DE LA GUERRE DE CRIMÉE ET DE LA DÉCLARATION

DE PARIS A L'HEURE ACTUELLE

(1854-1856-1882)

[ocr errors]

10. Le plus grand événement du XIX° siècle au point de vue du droit maritime international, est, du moins jusqu'à ce jour, la Déclaration du 16 avril 1856, revêtue de la signature des six grandes puissances européennes et de l'Empire Ottoman, à laquelle 34 États des Deux Mondes ont accédé. Cette Déclaration, qui est ainsi forte de l'approbation de 41 États ou cités indépendantes, à laquelle trois puissances seulement, les États-Unis, l'Espagne et le Mexique, n'ont pas adhéré (1), proclame les quatre grands principes suivants :

I. La course est et demeure abolie.

II. Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à à l'exception de la contrebande de guerre.

III. La marchandise neutre, à l'exception de la contre

(1) Des quatre principes contenus dans la Déclaration de Paris, les trois derniers ont rencontré une approbation absolument unanime, même chez les trois puissances qui n'ont pas accédé à la Déclaration de Paris elles ont déclaré se les approprier. Leur dissidence, on le sait, tient à l'abolition de la course : l'Espagne et le Mexique ont allégué ne pouvoir renoncer au droit de délivrer des lettres de marque; les États-Unis ont refusé de souscrire à l'abolition de la course, si on n'allait pas jusqu'à proclamer l'inviolabilité de la propriété privée sur mer. Les deux premières puissances ont refusé « parce que le protocole allait trop loin », la troisième, « parce que le protocole n'allait pas assez loin », comme l'a dit M. Garnier-Pagès dans un éloquent discours prononcé le 11 avril 1866 au Corps Législatif, à propos d'une discussion sur la marine marchande. Moniteur du 12 avril 1866, p. 424

bande de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi.

IV. Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs, c'est-à-dire maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l'accès du littoral ennemi (1).

Cette Déclaration est, avant tout, le fruit de l'alliance de la Grande-Bretagne et de la France. Au commencement de la guerre de Crimée, les deux alliés durent s'entendre pour donner à leurs amiraux respectifs des instructions identiques; et ils tombèrent d'accord, dès 1854, provisoirement et pour la guerre actuelle seulement, fut-il expressément entendu, sur les principes qui furent plus tard proposés à l'acceptation des puissances représentées au Congrès de Paris.

[ocr errors]

105. Ce n'est pas le lieu d'insister sur les négociations engagées par la France avec la Grande-Bretagne, pour amener celle-ci à abandonner sa pratique constante et plusieurs fois séculaire de la saisie de la propriété ennemie sous pavillon neutre. La France avait jusqu'alors suivi le principe inverse, et, en reconnaissant la liberté de la propriété ennemie sous pavillon neutre, s'était arrogé le droit de confisquer la propriété neutre sous pavillon ennemi. Les principes qui dirigeaient la pratique des deux puissances étaient donc en contradiction: pour arriver à l'harmonie dans la vérité, il fallait que l'Angleterre reconnût la liberté des biens ennemis sous pavillon neutre, et la France, la liberté des biens neutres sous pavillon ennemi. Cet abandon respectif de deux erreurs, cette renonciation réciproque à deux abus, fut présentée et acceptée comme une transaction. Mais, en réalité, il n'y avait point là de transaction; les deux alliés ne se faisaient mutuellement aucune concession, aucun sacrifice (2) les neutres, et avec eux l'ennemi commun,

(1) L'appréciation de la Déclaration de Paris trouvera place dans la 3o Partie et dans la Conclusion. Il faut peut-être savoir gré à ceux qui l'ont inspirée de n'avoir pas songé à la faire plus complète : ces lacunes sont compensée:; par le fait qu'elle a été signée par la Grande-Bretagne. Nous passons, quant à présent, sous silence les attaques très-vives dont elle a été l'objet en France même, et surtout en Angleterre.

(2) Pour les négociations de 1854, Drouyn de Lhuys, Les Neutres pendant la guerre d'Orient, 1868 (Extrait du compte-rendu de l'Aca

« PreviousContinue »