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national, aux intérêts permanents du Danemark, il est incorporé, quant à sa plantation de Santa-Cruz, aux intérêts permanents de Santa-Cruz: si bien que, quoique comme Danois, il fût en guerre avec la Grande-Bretagne et ennemi quant à elle, néanmoins, comme propriétaire foncier à Santa-Cruz, il n'est pas ennemi aux yeux des Anglais et peut embarquer ses produits pour l'Angleterre en toute sûreté du côté des croiseurs britanniques. La Cour affirma enfin le bien fondé de cette doctrine d'après laquelle la possession du sol lie en quelque sorte le propriétaire au sol lui-même. La propriété mobilière suit partout la personne, et son caractère, si on la trouve sur l'Océan, doit dépendre du domicile du propriétaire. Mais la terre est fixe: quel que soit le domicile du propriétaire, elle est hostile ou amie, selon la condition du pays où elle est située. Il n'est ni déraisonnable ni inhumain de dire que le propriétaire, eu égard à ses intérêts sur cette terre, en partage le caractère, et que le produit de sa propriété, tant qu'il lui appartient, est affecté de ce même caractère (1).

186. La seconde idée, d'après laquelle le commerce dans lequel une propriété est engagée lui imprime un caractère distinct de celui du propriétaire,a été appliquée dans un grand nombre d'espèces. Ainsi, il a été décidé que, si un commerçant, sujet d'une puissance neutre et résidant dans son pays d'origine, fait un commerce privilégié qui n'est permis qu'aux sujets belligérants ou ne peut être permis aux étrangers qu'en vertu d'une autorisation spéciale, ses biens engagés dans ce genre de commerce sont réputés ennemis et sujets à confiscation; de même il a été jugé que les marchandises exportées d'un pays ennemi pour compte d'une maison de commerce dont tous les associés sont domiciliés en pays neutre, doivent être réputées ennemies et confisquées jure belli,si cette maison a dans le pays un agent commercial à poste fixe pour y faire un commerce privilégié (2). Si un négociant a des établissements commerciaux dans deux pays différents, dont l'un est ennemi, l'autre neutre, au lieu de

(1) 9 Cranch. p. 191-197. Cf. Wheaton, Élém., 5o éd., I, part. IV, ch. I, § 21, p. 327-332; Twiss, op. cit., § 160, p. 318-319.

(2) Calvo, op. cit., III, § 1690, p. 60; the Anna Catharina, 4 Rob., p. 119; Twiss, op. cit., § 156, p. 310; Hall, op. cit., p. 431, § 168.

rechercher en quel pays est le principal établissement, les Cours de prises anglaises et américaines considèrent comme propriété ennemie ceux de ses biens qui sont pour ainsi dire incorporés dans le commerce général de l'ennemi, et déclarent exempts de capture ceux qui sont incorporés dans le commerce général du pays neutre (1). De même encore, le commerce d'une maison établie dans le pays ennemi est considéré comme essentiellement hostile en lui-même, et les propriétés qui y sont engagées sont sujettes à confiscation, malgré le caractère neutre d'un ou de plusieurs des associés (2) la part de ces associés neutres ne sera pas sauvée du naufrage. Ainsi, la résidence d'un associé en pays neutre ne protégera pas sa part dans la maison établie en pays ennemi; et, en vertu des principes exposés à propos du caractère national des personnes, il a été jugé en même temps que la résidence d'un associé en pays ennemi rend confiscable sa part dans une maison en pays neutre. Wheaton se montre à bon droit choqué de cette jurisprudence des Cours anglaises, qu'ont adoptée les tribunaux de prises américains. « Il est impossible, dit-il, de ne pas voir dans ce manque de réciprocité de fortes marques de partialité pour les intérêts des capteurs.» Puis, après avoir risqué cette critique, il ajoute, comme s'il craignait d'avoir été trop sévère: partialité qui est peut-être inséparable d'un code des prises créé par une législation judiciaire dans un pays belligérant, et approprié aux encouragements à donner à ses efforts maritimes (3).»-Il convient d'ajouter à ces règles qui se dégagent des décisions des tribunaux anglais et américains, les indications suivantes qui en précisent la portée. Quand on dit que la part de l'associé d'une maison de commerce établie en pays ennemi, suit le sort de ses coassociés, bien qu'il soit domicilié en pays neutre, on suppose un chargement fait par cette maison pour son propre compte et

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(1) The Jonge Cassina, 5 Rob., p. 303. Cf. Twiss, op. cit., § 159, p. 309310; Hall, op. cit., § 168, p. 431 ; Calvo, op., cit., III, p. 62, § 1692.

(2) The Portland, 3 Rob., p. 41; the Friendschaft, 4 Wheaton, p. 105. Cf. Wheaton, Élém. I, part. IV, ch. I, § 19, p. 326-327; Wildman, op. cit., II, p. 49-30; p. 79; Twiss, op. cit., § 156, p. 310; Hall, op. cit., § 168, p. 431; Calvo, op. cit., III, p. 61-63.

(3) Wheaton, Élém., 5o éd., 1, part. IV, ch. 1, § 20, p. 327.

embarqué dans le pays ennemi où elle est établie (1). Les chargements faits par une maison de commerce ennemie bona fide et exclusivement pour le compte et aux risques d'un associé neutre ou d'une maison de commerce neutre, ne sont pas sujets à confiscation: on appliquera le même principe au cas où un associé ou un agent domicilié en pays ennemi fait un chargement à l'adresse de sa maison de commerce neutre ou de son commettant neutre pour le compte exclusif de cette maison ou de ce commettant (2). Enfin, s'il est vrai que la propriété d'une maison de commerce établie en pays ennemi est passible de confiscation, quel que puisse être le domicile des associés, et que, malgré le domicile neutre de plusieurs de ses associés, le commerce de cette maison est essentiellement hostile, un chargement fait par cette même maison à l'adresse d'une maison de commerce établie en pays neutre, de bonne foi, pour compte et aux risques de celle-ci, ne sera pas réputé ennemi; et il a été jugé qu'il en serait ainsi en dépit de l'identité des deux maisons (3).

187. Après avoir exposé le système suivi par la jurisprudence française et le système des tribunaux de prises anglais et américains, il faut nous demander si l'un on l'autre de ces systèmes est, dans son principe au moins, l'expression d'un droit généralement reconnu, et, si nous trouvons que le droit international n'offre pas sur la question de la détermination du caractère hostile de règle fixe et bien établie, auquel des deux systèmes opposés il conviendrait de s'attacher. Il s'agit ici des principes sur lesquels reposent ces systèmes, car à les envisager dans leur teneur complète, aucun d'eux ne nous apparaît ni comme généralement admis, ni comme susceptible de l'être. Le système anglais, surtout, dans sa complication ingénieuse et plus casuistique que savante (il a toutefois le mérite d'être bien plus complet que le système français), nous semble, quand on l'étu

(1) Wildman, op. cit., II, p. 80.

(2) Wildman, op. cit., II, p. 81: règle déduite des décisions rendues dans les affaires the Portland, et the San Jose Indiano, la première affaire jugée par Sir W. Scott.

(3) Wildman, op. cit., II, p. 83: the Anna Johanna, 1 Wheaton, p.

die d'un peu près, mériter les sévères critiques que ne lui ont pas épargnées ceux qui l'ont pénétré tant soit peu à fond. On peut dire, avec M. Calvo, qu'«< il laisse à peine une porte entr'ouverte pour prouver juridiquement le caractère licite et sincère des spéculations (1).» Comment le commerce neutre sincère et loyal pourra-t-il se dégager du réseau de restrictions dont l'enveloppe un système qui donne une telle extension au caractère hostile? Les droits des neutres sont gravement compromis par les règles rigoureuses et inflexibles que la suspicion et la crainte de la fraude ont fait édicter. Sans doute, il est des restrictions légitimes et nécessaires par exemple, il peut paraître difficile de ne pas présumer ennemie toute propriété chargée sur un navire ennemi, et de ne pas exiger que la preuve de la propriété, si ce n'est celle de la nationalité neutre du propriétaire, résulte en principe des pièces de bord. Mais, de là aux excès dans lesquels ont versé les tribunaux de prises anglais et américains, il y a un abîme; et si l'on est réduit à confesser que l'application du principe qui veut que la propriété privée ennnemie soit saisissable sous pavillon ennemi, est inséparable de tels excès, un tel aveu n'est-il pas la condamnation la plus formelle et la plus accablante du principe luimême? Mais ce sont là des considérations dont le développement trouvera place dans la II Partie (ch. I, 1).

Pour le moment il nous faut savoir si c'est le principe de la jurisprudence française ou celui de la jurisprudence anglaise et américaine, qu'a adopté le droit international. En d'autres termes, pour déterminer le caractère national de la personne, qu'emprunte en général la propriété, faut-il s'attacher au domicile ou à la nationalité proprement dite? Est-on ennemi, pour être sujet de l'État ennemi, ou pour être domicilié dans son territoire ?

A en croire les auteurs anglais et américains et les décisions des tribunaux de leur pays auxquelles ils se réfèrent, la règle que le domicile détermine le caractère ennemi est universellement admise : c'est la règle du droit international. Les nations, dit Sir Travers Twiss, ont cherché une règle exempte d'ambiguité, et en même temps assez juste pour

(1) Calvo, op. cit., lll, p. 258, § 2000; Cf. Id., ibid., 66, § 1696.

être universellement acceptée cette règle a été trouvée ; c'est celle qui veut que le domicile détermine le caractère national au point de vue du droit de la guerre. Rien de plus. juste, parce que la personne domiciliée dans un pays est sujette de facto dans ce pays, elle est membre de facto de l'État : « Wherever an individual is permanently resident, there he is contributing by his industry and general wealth to the strength of the country, and to its capacity to wage war. There can be therefore no injustice in regarding the property of such a person as forming part of the common stock of the Enemy Nation (1). » M. Hall s'exprime à peu près de même : il trouve la règle anglaise raisonnable et la donne implicitement comme une règle admise partout; il laisse entendre qu'il en est de même pour l'idée d'après laquelle la propriété acquiert un caractère hostile par son origine ou par son emploi même inoffensif (2). M. De Burgh est plus explicite. Il pose d'abord, comme règle universelle, que c'est le domicile qui détermine le caractère national: << It may be stated as a rule of international law, as now generally, perhaps indeed universally understood, that the nationality of a person, whether neutral or belligerent, follows his domicil. » Puis il ajoute : « and further that property may acquire an hostile character arising from its connection with the soil of a country as its produce, quite independent of that national character of its owner, which is derived from personal residence (3). » Cette dernière assertion nous paraît insoutenable : l'idée que son origine peut imprimer à la propriété un caractère national distinct de celui de son propriétaire a pu être momentanément affirmée par telle ou telle ordonnance rendue dans des circonstances spéciales; elle n'a jamais pris racine dans la jurisprudence ou dans la législation d'aucun autre pays que la Grande-Bretagne et les États-Unis.

188. Mais la doctrine qui attache le caractère national au domicile, a pour elle l'autorité de Grotius. D'après Grotius

(1) Twiss, op. cit,, § 153, p. 303.

(2) Hall, op. cit., § 167, p. 426-428.

(3) De Burgh, Maritime International Law, Londres, 1868, cité par M. Attlmayr, Die Elemente des internationalen Seerechts, and Sammlung von Vertragen, Vienne, 1872-1873, I, p. 74.

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