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raient des navires de toutes les nations, et en précipitaient les équipages dans la mer (1). »

11. Cependant, au milieu de ce désordre, une sorte de droit international s'introduisit (2). Nous avons à signaler, dès 1164, un fait très-remarquable que rapporte Pardessus. En 1164, les Pisans, qui étaient en guerre avec les Génois, prirent sur un vaisseau sarrazin un chargement d'alun, qu'ils prétendaient appartenir à leurs ennemis. Le Sultan d'Égypte réclama «< non contre une violation de son pavillon, dit Pardessus, mais en déclarant que l'alun n'était pas une propriété génoise, et qu'il appartenait à l'un de ses sujets. Pise reconnut la vérité du fait et donna la satisfaction demandée (3).

12. Abordant l'étude directe des documents qui posent des règles relatives à la guerre maritime et au droit de prise, nous mentionnerons tout d'abord les dispositions du Consulat de la Mer : leur célébrité nous y invite et leur date ne s'y oppose pas (4).

En ce qui concerne les navires ennemis et les marchandises ennemies qu'ils portent, la pratique est si bien établie que le Consulat se contente d'y faire une sommaire allusion:

Lorsqu'un navire allant ou venant, ou étant en course, rencontre un navire marchand, si ce dernier appartient à des ennemis ainsi que sa cargaison, il est inutile d'en parler, parce que chacun est assez instruit pour savoir ce qu'il

(1) Pardessus, II, p. cxx. Cf. les autorités qu'il cite et celles qu'invoque Katchenovsky, op. cit., p. 20, à l'appui de ces faits et d'autres encore. Parfois, en pleine paix, sans prétexte aucun, intervenaient des actes d'hostilité: navires marchands et cargaisons sont enlevés avec leurs équipages à l'improviste, par un parti de vaisseaux d'une autre nation: témoin le fait rapporté par la chronique de l'abbaye de Saint-Étienne de Caen, sur l'an 1293: « Quadam die occurrerunt sibi invicem (sc. navigantes regni Franciæ et remigantes regni Angliæ), et ostenso signo pacis a parte Anglorum, fraudulenter cum mangno impetu super Normannos irruerunt. Normanni vero, timore perterriti, timentes ne pars aversariorum prævaleret, naves cum omnibus quæ ferebant sine læsione aliqua in Anglorum manibus relinquerunt. » Rec. des histor. des Gaules et de la France, XXIII, Paris, Imp. Nat., 1876, p. 492-493. (2) Pardessus, II, p. cxxi.

(3) Id., ibid., p. cxxii.

(4) Le Consulat de la Mer fut rédigé au plus tôt au xn° siècle et au plus tard dans la seconde moitié du xiv. Pardessus, II, p. 35. Sur cette compilation de droit privé maritime, Cf. Id., l. c.; Gessner, Le droit des neutres sur mer, 2° éd., 1876, p. 36-37.

doit faire, et, dans ce cas, il n'est pas nécessaire de donner de règle (1).»

Le Consulat statue expressément sur le sort des marchandises ennemies à bord des navires neutres et sur celui des marchandises neutres à bord des navires ennemis : cellesci sont libres, celles-là sont confisquées. Le fret sera payé dans les deux cas: au second cas (marchandises neutres à bord d'un navire ennemi), le capteur ayant abordé à un port de son pays, recevra le prix du fret pour les marchandises neutres, comme si elles étaient arrivées à destination (2). Le Consulat de la Mer suppose le capteur investi d'un pouvoir absolu et agissant d'une façon tout à fait arbitraire; il suppose aussi que le propriétaire des marchandises voyage avec elles celui-ci peut racheter le navire ennemi qui porte la cargaison neutre; le capteur lui offrira «< une composition ou pacte raisonnable. » Si le capitaine du bâtiment neutre « refuse de porter les marchandises ennemies qui seraient sur son navire jusqu'à ce que ceux qui les auront prises soient en lieu de sûreté, malgré l'ordre que l'amiral lui en donne, celui-ci peut le couler à fond ou l'y faire couler, sauf qu'il doit sauver les personnes qui montent le navire (3). » Ce système expliquait le droit de visite; il l'impliquait d'une « manière évidente», dit Pardessus (4).

13.- Enfin, le Consulat de la Mer s'occupe des reprises,

(1) Ch. 231, Pardessus, II, p. 303. (2) Pardessus, II, p. 303 sqq.

(3) Mais il faut entendre, ajoute le Consulat, que toute la cargaison de ce navire, ou au moins la majeure partie, appartient à des ennemis. »

(4) Pardessus, II, p. cxxI. Le fait de 1164 que nous avons mentionné, les dispositions du ch. 231 du Consulat de la Mer, les mœurs du temps, tout nous porte à croire à l'existence de ce droit. Hautefeuille s'est inscrit en faux contre cette manière de voir. Mais il s'appuie principalement sur le texte des traités, notamment sur un traité du XVe siècle, celui que l'Angleterre conclut avec Gênes en 1460: dans ce traité, il est dit que les gens du navire neutre, s'il y a des marchandises ennemies à bord, doivent faire une « vera et justa confessio. » Cette clause se retrouve dans d'autres traités. Or, elle n'est pas décisive : le contexte de ces traités, à tout le moins, laisse place au doute. Il ne faut pas, d'ailleurs, les isoler; et, en les combinant avec d'autres indices, tels que l'incident de 1164, on arrive à cette conclusion qu'au moyen-âge le droit de visite existait. En ce sens, Cauchy, Dr. marit. int., I, notamment p. 358. Contra, Hautefeuille, Hist. des orig. du dr. mar. int., p. 124 sqq.

qu'on appelle, par opposition aux reprises neutres, reprises nationales ou ennemies plus large que la doctrine d'après laquelle la prise est acquise au capteur qui l'a gardée vingtquatre heures en sa possession, le Consulat ne fait dater la translation de propriété au capteur que du moment où il a conduit la prise en lieu de sûreté ; jusque-là, le bâtiment pris par l'ennemi, venant à être repris par un ami, ou abandonné par le capteur qui a cédé à la crainte ou à la nécessité, et tombé ensuite entre les mains d'un ami, est rendu avec sa cargaison au propriétaire primitif, à la charge par celui-ci de donner aux repreneurs « une récompense suffisante, en proportion de la peine qu'ils auront prise et du dommage qu'ils auront souffert » (1). « Mais si les amis enlèvent ou ont enlevé le navire capturé aux ennemis en un lieu où ceux-ci l'avaient amarré et mis en sûreté, ce n'est point le cas de leur donner une récompense, sinon de gré à gré; au contraire, le navire doit leur appartenir sans aucune contradiction; ni la justice, ni qui que ce soit ne peuvent le leur disputer (2). » Au cas où un navire a été abandonné « par peur des ennemis », ceux qui trouvent ce navire et le recueillent n'ont droit qu'à une récompense : « Si quelqu'un a abandonné son navire par soupçon ou peur des ennemis, et qu'un autre navire le trouve, l'amarine et le conduise en lieu de sûreté, c'est-à-dire si ceux qui ont amariné ce navire ne l'ont point enlevé à des ennemis qui euxmêmes l'auraient pris au propriétaire, ce navire et les marchandises qui sont à bord ne doivent point appartenir à ceux qui l'ont trouvé; mais ils peuvent exiger une récompense suffisante, selon l'usage de la mer (3). » Prévoyant un désaccord entre les propriétaires du navire repris ou recous et le recapteur sur le montant de la récompense à allouer à celui-ci, le Consulat décide que « la fixation en sera déférée à l'arbitrage de prud'hommes » : cette décision et les motifs

(1) Ch. 245 [290], Pardessus, II, p. 338-339.

(2) Pardessus, II, p, 338-339. Cf. Martens, Essai sur les armateurs, les prises et surtout les reprises, ch. II, sect. II, p. 154; Hautefeuille, Droits et dev. des neutres, 3o éd., 1868, III, p. 361; Cauchy, Droit mar. int., I, p. 365-366; Gessner, Droit des neutres sur mer, 2′ éd., 1876, p. 359. (3) Pardessus, II, p. 339-340.

donnés à l'appui (1) excitent à bon droit l'admiration de Cauchy.

14. Il est vrai de dire, avec cet auteur, «qu'à cette époque où les matières du droit des gens maritime n'avaient pas encore été délimitées par la science, les règles de ce droit empruntaient de leur contact, je dirais presque de leur mélange avec le droit privé du commerce, un caractère de bonne foi que l'on ne retrouve pas au même degré dans les définitions plus savantes des siècles suivants (2). » Mais, à côté, quelle rudesse et quelle barbarie! Le Consulat suppose un armement fait en vue de s'emparer d'un navire qui doit aller dans des parages fréquentés par l'ennemi ou de gagner une récompense en simulant une recousse; il déjoue cette fraude (3), et décide que « ceux qui ont armé de cette manière doivent être arrêtés et mis au pouvoir de la justice, afin qu'on procède envers eux comme envers des voleurs, si les faits ci-dessus sont prouvés (4). » Il reconnaît aux ennemis, sans réserve d'aucune sorte, le droit de brûler ou de couler la prise. « Il est bien vrai que les ennemis auraient le pouvoir de brûler leur prise ou de la couler à fond, s'ils le voulaient; mais un navire ou des effets brûlés ou gâtés ne sont bons pour personne, et nul ne peut y trouver profit, ni amis, ni ennemis, car ils sont perdus pour les uns comme pour les autres (5). » Nous avons vu que ce droit appartient à l'amiral, même à l'encontre du bâtiment neutre dont le capitaine

(1) Sur ces motifs, V. Pardessus, II, p. 340, et Cauchy, op. cit., I, p. 366: « C'est une bonne chose qu'un arbitrage fait de bonne foi et d'après les tempéraments de l'équité... » En soumettant la décision à des prud'hommes on n'encourra « ni le blâme de Dieu ni celui des hommes. >>

(2) Cauchy, op. cit., I, p. 365.

(3) Pardessus, II, p. 340-341 : « Si quelqu'un, sachant qu'un navire doit aller ou est allé quelque part où il y a soupçon et peur d'ennemis, arme pour faire dommage à ce navire ou à d'autres, afin de gagner une récompense ou de s'emparer des navires ou des marchandises qui seront à bord, ou par quelque autre raison, ce fait étant prouvé, cet armateur ne doit point avoir de récompense, ni acquérir le navire en tout ou en partie, ni les marchandises qui y seront, quoique les propriétaires l'aient abandonné ou que les ennemis l'aient pris, à moins qu'il ne justifie qu'il n'a point armé dans la vue et par les motifs susdits. >>

(4) Pardessus, II, p. 341. 5) Pardessus, II, p. 343.

« refuse de porter les marchandises ennemies qui seraient. sur son navire, jusqu'à ce que ceux qui les auront prises soient en lieu de sûreté », pourvu toutefois que «< toute la cargaison de ce navire ou la majeure partie appartienne à des ennemis. >>

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15. Au XIII et au XIVe siècles, nous rencontrons quelques traités de neutralité maritime, qui ne sauraient nous arrêter longtemps, mais qui veulent cependant être mentionnés, parce qu'ils ont trait à la police de la guerre maritime.

Le plus remarquable est celui de 1221, entre les villes. d'Arles et de Pise (1). Après s'être engagées à ne pas laisser leurs sujets respectifs se mêler en quoi que ce soit à un armement en course dirigé contre l'une d'elles (2), les deux cités prévoient et résolvent la question du transport des marchandises ennemies sur navire ami et celle du transport des marchandises amies sur un navire ennemi. Les marchandises ennemies sur navire ami seront confiscables, et les ennemis sur navire amis pourront être faits prisonniers (3). Quoi qu'on en ait dit, le même traité nous paraît admettre formellement la confiscation des marchandises amies sous pavillon ennemi (4).

(1) Muratori, Antiquitates italicæ medii ævi, Milan, 1741, IV, col. 396398. « Conditiones pacis atque commercii peragendi inter Pisanum populum et Arelatensem, anno 1221. »

(2) Muratori, IV, col. 398.

(3) Muratori, IV, col. 396-397. En ce sens, Pardessus, II, 303, note 4. Dans une note qui nous paraît contenir plusieurs fautes d'impression, et qui pourtant a passé telle quelle dans la troisième édition du << Droit international théorique et pratique » (Calvo, Droit int., 2o éd., II, p. 317, note 1; Id., ibid., 3° éd., III, p. 368, note 1), M. Calvo dit que ce traité «< interdit la confiscation dans les deux cas,» c'est-à-dire au cas de marchandises ennemies chargées sur navires amis et au cas de marchandises amies chargées sur navires ennemis. Pardessus, d'après lui, cite ce traité comme consacrant cette double immunité, ainsi que ceux de 1351, de 1333, de 1400, de 1460, de 1486, de 1495. M. Calvo (op. c.t., 3o éd., I!!, p. 254-255) se rectifie lui-même, mais reste encore dans l'erreur, au moins en partie, quant au traité de 1221, qui, nous allons le voir dans la note suivante, ne consacre pas « le principe de l'inviolabilité de la propriété neutre sur mer. » (4) Muratori, IV, col. 398. Pardessus, II, p. 303, note 4 : « Ce n'est point dans une simple note qu'il est possible de se livrer à une discussion..... Il suffit de reconnaitre que, d'après les usages ou les législations dont le Consulat a été formé, on avait admis pour prin

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