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navire avait été signalé au fanal du port: nous ne voyons pas que le gouvernement de Toscane eût réclamé, d'autant plus que l'arrêt précité donne au territoire maritime neutre une extension excessive (V. infr., n° 229) (1). Dans son arrêt du 23 ventôse an VII, le tribunal de cassation annula la prise du Saint-Michel faite par les corsaires le Hardi et la Coquette sous le canon de Bilbao: on ne voit pas ici non plus que le gouvernement espagnol eût réclamé. On peut invoquer aussi l'autorité des conclusions de Portalis dans l'affaire l'Effronté et la Légère contre la Perle : le navire la Perle avait été capturé à une demi-lieue d'un port d'Espagne; Portalis conclut à ce que la prise fût déclarée invalide, non pas parce que l'Espagne avait réclamé, mais parce que la prise était contraire au droit des gens: il n'a pas l'air de soupçonner que, si le gouvernement espagnol n'avait pas élevé de réclamations, le Conseil eût pu valider la prise (2). La Nossa Senhora do Carmelo, bâtiment portugais, avait été capturée par la Vénus de Médicis dans les eaux territoriales du Maroc : le capteur ne pouvait le nier, et se bornait à alléguer qu'au lieu où la prise avait été faite aucune batterie ou forteresse ne protégeait la côte; le Maroc n'avait point réclamé, que nous sachions: pourtant, par la décision précitée du 27 fructidor an VIII, le Conseil des Prises n'hésita pas à déclarer la prise nulle et de nul effet. Enfin, pendant la guerre franco-allemande, dans l'affaire du Frei, le Conseil des Prises, dans sa décision du 18 janvier 1871, s'attacha à constater avec le plus grand soin que ce navire avait été capturé en mer libre, à cinq milles de la côte anglaise des motifs de cette décision, il ressort avec évidence que, si la prise avait été faite dans les eaux anglaises, il l'aurait invalidée, que le gouvernement anglais eût réclamé ou non (3).

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226. Si la prise faite en violation du territoire maritime neutre est conduite dans un port de l'État dont la souveraineté a été violée, cet État profitera de l'occasion qui lui est par là offerte de pourvoir lui-même au relâchement

sans

(1) Pistoye et Duverdy, op. cit., I, p. 123; nous reviendrons sur cet arrêt, qui, d'ailleurs, était fondé sur un autre motif.

(2) Id., ibid., p. 99; p. 100.

(3) Barboux, op. cit., p. 66-68,

se prononcer sur la validité de la prise dans les rapports du capteur et du capturé, il fera mettre en liberté le navire indûment capturé à son égard. Dans la plupart des pays, remarque M. Calvo, l'autorité administrative prononcera la relaxation; en Angleterre et dans l'Amérique du Nord, ce sont les Cours d'Amirauté et les Cours fédérales qui la prononceront, mais leur tâche se bornera à la constatation pure et simple des faits; leur intervention n'est qu'une forme, et ces Cours n'ont point à s'immiscer dans l'examen d'aucune autre question relative à la validité ou à la nullité (1).

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227. On agite encore la question de savoir si la prise faite dans les eaux d'un État neutre, étant après la condamnation prononcée par le souverain du capteur en dépit de la réclamation du souverain neutre, conduite dans un port de ce souverain, pourrait être saisie par lui, même entre les mains d'un acquéreur de bonne foi. L'affirmative est soutenue, notamment par Hautefeuille et par M. Ortolan. La prise, dit-on, a toujours été nulle à l'égard du souverain neutre; le capteur n'a pu acquérir sur elle le droit de propriété, ni même celui qui résulte pour un belligérant du fait de la prise, une possession légitime; d'ailleurs, la sentence du tribunal du capteur est res inter alios acta, quant au neutre, qui n'a point à envisager les conséquences de cette décision (2). M. Calvo, notamment, est d'un avis opposé: il pense qu'autoriser le neutre à saisir la prise dans les conditions proposées serait lui conférer le pouvoir de commettre de véritables voies de fait (3). La question ne laisse pas d'être délicate: il nous semble toutefois qu'il serait trop dur de reconnaître au souverain neutre offensé un tel pouvoir d'exécution à l'encontre de l'acquéreur de bonne foi; le propriétaire antérieur mérite aussi beaucoup d'intérêt, mais le

(1) Hautefeuille, Droits et dev., I, tit. 1, ch. I, sect. II, p. 302-303; Ortolan, Dipl. de la Mer, 4o éd., II, p. 299-300; Gessner, Droit des neutres, 2 éd., p. 379; Calvo, Droit. int., 3o éd., III, § 2363-64, p. 488. Tous les auteurs, croyons-nous après enquête, sont unanimes sur ce point. Il est à noter qu'aujourd'hui la tendance étant de ne pas admettre les prises dans les ports neutres, la question se posera rarement. (2) Ortolan, op. cit., II, liv. III, ch. VIII, p. 301-302; Hautefeuille, op. cit., I, p. 303-304. Wheaton et Sir Robert Phillimore partagent cette opinion.

(3) Calvo, l. c., p. 488,

souverain neutre a fait pour lui tout ce qu'il pouvait raisonnablement. Heureusement, des complications de ce genre sont rares: la plupart du temps, le belligérant restituera la prise indûment faite dans les eaux du neutre, et dès lors celui-ci n'aura pas lieu de sévir, le cas échéant, contre un acquéreur de bonne foi, dont les droits seraient nés après la condamnation de cette prise par les tribunaux du capteur; mais si la question se posait, nous inclinerions à la résoudre en faveur de l'acquéreur de bonne foi, car la sentence de condamnation, bien ou mal rendue, a effet quant aux propriétaires antérieurs : l'État neutre ne peut prendre en main leur querelle per fas et nefas.

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228. Il ne nous reste plus qu'à examiner sommairement quelques 'questions de détail, qui ont bien leur importance pratique et théorique.

Non-seulement le droit de capture ne peut être exercé dans les eaux territoriales neutres, mais encore il ne peut être fait usage de ces eaux pour opérer des captures à proximité. Le principe comporte une assez large application. « Ainsi, dit M. Ortolan, si un navire belligérant, mouillé ou croisant dans des eaux neutres, capture, au moyen de ses embarcations, un bâtiment qui se trouve en dehors des limites de ces eaux, ce bâtiment n'est pas de bonne prise : bien que l'emploi de la force n'ait pas eu lieu, dans ce cas, sur le territoire neutre, néanmoins, il est le résultat de l'usage de ce territoire; et un tel usage pour des desseins hostiles n'est pas permis (1). »

229. Un navire ne peut être capturé dans un port neutre ni même aux approches de ce port, s'il est à portée de canon. Mais il ne suffira pas qu'il ait été signalé au fanal du port, pour être à l'abri de la capture: il serait même inutile de le relever, si, dans ses motifs, l'arrêt déjà cité du tribunal de cassation, en date du 14 ventôse an VII, n'avait donné à entendre qu'il y aurait lieu d'annuler une prise faite << dans les eaux d'un port neutre, et après que le navire avait été signalé au fanal (2). »

(1) Ortolan, op. cit., II, p. 302.

(2) Il s'agit des motifs de l'arrêt : l'arrêt lui-même ne saurait être critiqué, à nos yeux, car il décide qu'est nulle la prise d'un navire neutre chargé de marchandises de provenance ennemie (loi du 29 nivôse an

230. Les navires ennemis, aussi bien que les navires neutres en rupture de neutralité, sont également à l'abri de la saisie dans les rades. Pas de difficulté, s'il s'agit d'une rade fermée, c'est-à-dire dont l'entrée est défendue par des forts ou par de l'artillerie; ni même s'il s'agit d'une rade ouverte, qui ne s'étend pas au-delà de la portée du canon de la côte. Mais le navire ennemi mouillé dans une baie ou dans une rade qui s'étend au-delà de cette portée, et appelée baie ou rade foraine pour la partie qui ne peut être défendue par le canon du port, sera-t-il inviolable?

La question a été résolue négativement par le Conseil des Prises, le 19 octobre 1808, sur les décisions conformes du procureur général Collet-Descotils, à propos de cinq navires, dont un était le Daniel-Frederick, capturés par le corsaire le Tilsitt: ces navires étaient mouillés dans la rade de Pillau, à quatre, trois lieues, ou plus de deux lieues de la terre; la Prusse réclama, prétendant que son territoire maritime avait été violé; le Conseil des Prises valida les cinq captures, alléguant que c'était un principe généralement reconnu que les rades et les baies ne mettent à l'abri les navires qui y ont jeté l'ancre qu'autant que ces navires se sont tenus sous la protection du canon du port ou de la côte (1). M. Massé, partageant en cela l'opinion qui paraît bien avoir été celle de Grotius, et que soutinrent Hübner et Azuni, pense que «<les côtes voisines, qui forment les rades ou baies, brisant les vagues et les courants, et mettant la mer qu'elles dominent à l'abri de l'impétuosité des vents, cette partie de la mer est en quelque sorte distincte de la pleine mer et fait partie des côtes qui la protégent; par la même raison, les navires qui viennent y mouiller sont sous la protection des côtes, et, conséquemment, sous celle du souverain de ces côtes.» M. Massé ajoute, conformément à ce qu'avait proposé Azuni, qu'on doit dans ce cas supposer une ligne tirée de l'un à l'autre promontoire ou des îles voisines qui les prolongent l'espace compris entre cette ligne et la terre fait partie de la mer territoriale, bien qu'entre cette même ligne et la terre il y ait une distance plus grande que celle qui est

VI) si, à l'époque du chargement, il n'a pu connaître la loi déclarant de bonne prise tout bâtiment chargé de pareilles marchandises. (1) Pistoye et Duverdy, op. cit., I, p. 102-04.

mesurée par la portée du canon ou déterminée par les conventions relatives à l'étendue de la mer territoriale sur les côtes droites (1).- Il nous paraît préférable de nous rallier à la doctrine de M. Massé: outre l'autorité des publicistes cités, on peut alléguer que les traités qui consacrent l'inviolabilité des eaux, ports, rades neutres ne distinguent pas entre les rades foraines et les rades fermées, ou ouvertes, mais protégées par l'artillerie du port; aujourd'hui que les prétentions attentatoires à la liberté de la navigation et du commerce sont passées de mode, on peut, sans inconvénient, reconnaître que la souveraineté de l'État qui détient le port s'exerce jusque sur la rade foraine, qui en est comme le vestibule nous admettrons que, dans ce vestibule improvisé par la nature, les vaisseaux seront aussi bien à l'abri de la capture que des coups de vent.

IV

A partir de quand et jusques à quand la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi peut-elle être saisie?

231.-Le droit de prise commence avec la guerre et cesse avec elle tel est le principe. Mais à quel moment exact la guerre commence-t-elle ? A quel moment exact prend-elle fin? Et, est-il vrai de dire que, sans exception d'aucune sorte, le droit de prise s'exerce dès le commencement jusqu'à la fin des hostilités, qu'il ne s'exerce ni auparavant ni après, et qu'il s'exerce aussitôt que la guerre est commencée? Occupons-nous successivement et séparément du moment à partir duquel la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi est saisissable, et du moment jusqu'auquel elle demeure exposée à la saisie.

232. — A.) A partir de quand ? — On a beaucoup discuté la question de savoir si une déclaration de guerre est nécessaire pour que les hostilités soient régulièrement commen

(1) Massé, op. cit., I, no 106, p. 99-100; n° 357, p. 308-09, et les autorités qu'il cite,

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