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cargaisons et seraient libres de se diriger de là vers un port quelconque non bloqué (1).

238. Dans la guerre franco-allemande, le gouvernement français accorda aux vaisseaux ennemis entrés dans un port de France après la déclaration de guerre dans l'ignorance de l'état de guerre, la faculté d'y séjourner pendant trente jours et le droit à un sauf-conduit pour retourner dans leur port d'attache: le délai de trente jours courait à dater de l'arrivée en France; ce délai pouvait être abrégé, si, la présence des navires ennemis entraînant des inconvénients, il y avait intérêt à mettre les capitaines en demeure de prendre immédiatement les sauf-conduits destinés à assurer leur retour au port d'attache. En outre, les bâtiments de commerce ennemis qui avaient pris des cargaisons à destination de France et pour compte français antérieurement à la déclaration de guerre, pouvaient librement débarquer leur chargement dans les ports français, et recevaient ensuite un sauf-conduit pour retourner dans leur port d'attache (2).

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239. M. Barboux signale dans ces dispositions une lacune si un navire touche à un port français dans l'ignorance de l'état de guerre, un délai de trente jours lui est accordé pour séjourner dans ce port, sauf inconvénients graves, et il obtiendra un sauf-conduit pour retourner dans son port d'attache: si le même navire, en vue de ce port français qui est pour lui le port du salut, rencontre un croiseur français, il est de bonne prise. C'est là une contradiction, dit fort justement M. Barboux. Pour la faire cesser, il conviendrait de « déclarer non sujet à capture tout navire qui justifierait par son journal qu'il n'a pu avoir connaissance de l'état de guerre, ou du moins tout navire dont les papiers de bord établiraient qu'il se dirige vers un port français (3). » Il conviendrait aussi d'étendre le bénéfice de la disposition relative aux navires ennemis ayant pris des car

(1) Bulmerincq, op. cit., R. D. I., 1878, p. 203.

(2) Instr. du min. de la mar. du 25 juillet 1870, art. 1, Barboux, op. cit., p. 136; Circul. du min. de la mar. aux préfets marit. en date du 13 août 1870, Martens, N. R., XIX, p. 588-90. Cf. Bulmerincq, op. cit., R. D. I., 1878, p. 391-92.

(3) Barboux, op cit., p. 57-58.

gaisons à destination de France et pour compte français avant la déclaration de guerre, aux navires chargés à la fois de marchandises françaises et de marchandises ennemies, et d'exempter de capture ces marchandises elles-mêmes (1). —Il faudrait même aller jusqu'à soustraire au droit de prise, quels que fussent leur chargement et leur destination, les navires ennemis n'ayant pas connaissance de l'état de guerre; mieux encore ceux qui, ayant ou non connaissance de cet état au moment où un croiseur ennemi les rencontre ou au moment de leur entrée dans un port ennemi, ont chargé antérieurement à la déclaration de guerre ou même avant la connaissance de cette déclaration. Ainsi étendu, l'indult serait un précieux bénéfice : tel qu'il est pratiqué actuellement, il constitue, malgré ses lacunes, un tempérament notable à l'exercice rigoureux du droit de prise : on peut y voir un signe des temps.

240. B). Jusques à quand? -L'exercice du droit de prise est un fait de guerre qui, pouvant commencer avec la guerre, prend nécessairement fin avec elle. Mais à quel moment précis la guerre prend-elle fin? Il peut se faire, à la rigueur,que la guerre cesse sans arrangement exprès, par la suspension de fait de tout acte d'hostilité suivie immédiatement du rétablissement des relations de bonne amitié; ce sera assurément fort rare, mais enfin on a vu de nos jours et tout récemment, une guerre maritime se terminer de la sorte: il s'agit de la guerre qui eut lieu, il y a une quinzaine d'années, entre l'Espagne et le Chili. En pareil cas, le moment précis auquel la guerre a cessé pour faire place à la paix est très-difficile à déterminer, cela va de soi (2). Aussi est-il d'usage de conclure des traités de paix, qui presque toujours seront précédés de préliminaires ou d'armistices généraux appelés quelquefois aussi trêves générales: la guerre cesse alors du jour de la signature du traité de paix, et même des préliminaires ou de l'armistice, s'il en est conclu: d'où la conséquence rationnelle et indubitable, que le droit de prise

(1) Nous avons signalé dans l'esquisse historique (n° 141) le cas de la Gherardine. Le ministre de la marine, croyons-nous, fit bien de relâcher ce navire et de lui octroyer un sauf-conduit: mais pourquoi maintint-il la saisie de marchandises ennemies? Il n'est point aisé de le dire. Cf. Barboux, op. cit., p. 60-63.

(2) Calvo, Droit int., 3o éd.. IV, 1881, p. 349-50, § 2928-29.

cesse de pouvoir être exercé valablement au moment même de la signature du traité de paix ou des préliminaires de paix les saisies opérées en mer à partir de ce moment doivent être restituées, que le capteur ait eu ou non connaissance du rétablissement de la paix.

241. Albericus Gentilis avait déjà posé le principe avec cette sûreté de jugement qui le caractérise: c'est une trèsancienne question, nous dit l'auteur de l'Advocatio Hispanica, fortement agitée autrefois et discutée encore aujourd'hui, que de savoir si les prises faites par des amiraux après le traité de paix, qu'ils ignoraient, sont valables, et il en démontre la nullité (1). Mais on paraît avoir été tenté de faire fléchir le principe devant la considération qu'il est de lointains parages où le rétablissement de la paix ne peut être connu que longtemps après la signature du traité ou des préliminaires, et qu'il eût été trop dur de ravir aux corsaires les prises faites par eux dans l'ignorance de la paix (2). Cependant, pour couper court aux difficultés et aux abus, et ne pas laisser indéfiniment des actes d'hostilité s'accomplir dans les mers lointaines, les traités de paix fixèrent certains délais, suivant la distance, après lesquels, la paix étant présumée connue, les prises ne pourraient être valablement faites et donneraient lieu à restitution. La stipulation de semblables délais devint un usage, et dans son Traité des prises, en 1763, Valin pouvait écrire : « Il est d'usage dans les traités de paix de stipuler un temps, selon la distance des lieux, après lequel les prises qui sont faites de part et d'autre sont déclarées nulles et sujettes à resti

(1) Albericus Gentilis, Advoc. Hispan., Hanoviæ, 1613, lib. I, cap. XVI, p. 60-63.

(2) D'Abreu, notamment (Traité des prises, éd. franç., 1758, part. II, ch. XI, § 1-3, p. 94-97), soutient que les prises faites par l'armateur après la conclusion de la paix, qu'il ignore, sont valables. « Le principe est évident », dit-il. Cependant il reconnaît qu'on peut soutenir que cela va contre le but de ceux qui ont conclu la paix: c'est l'argument le plus fort en faveur de l'opinion qui veut que les prises soient illégitimes; mais il n'est pas convaincant: la faveur de la course doit l'emporter: les patentes doivent avoir leur plein effet jusqu'à ce que le prince les révoque; la commission du corsaire renferme de plus la condition tacite d'inquiéter les ennemis jusqu'à ce que son souverain en ait ordonné autrement; comme ce contre-ordre est une loi, l'armateur n'est point censé l'enfreindre, s'il n'en a pas eu connaissance, et tout ce qu'il prend jusqu'alors est de bonne prise.

tution (1).» Mais toutes les difficultés n'étaient pas par là supprimées; très-généralement on admit que la stipulation qui annulait les prises faites après le temps prescrit, avait effet alors même que le capteur n'aurait pas eu connaissance de la paix, et il fallait l'admettre, sous peine de rendre complètement inutile la détermination d'un délai (2). Mais si une prise a été faite avant l'expiration du délai fixé, avec connaissance de la paix, devra-t-elle être annulée ? La question avait fait doute, mais l'affirmative avait prévalu. « Jusqu'à l'expiration du délai, dit Valin, les prises sont valables; mais cela ne doit s'entendre qu'avec cette restriction si l'armateur ou son capitaine n'a pas été instruit auparavant de la conclusion de la paix; car, s'il y a preuve qu'il l'a sue, la prise alors doit être restituée même avec dommages-intérêts, parce que ces délais ne sont stipulés que pour suppléer au défaut de la connaissance de la paix, par ailleurs, dans le temps intermédiaire (3). »

242.-L'usage de stipuler de tels délais s'étant maintenu jusqu'à la première moitié du XIX° siècle (traité d'Amiens, art. 16, en conformité avec l'art. 11 des préliminaires signés le 1o octobre 1801; cet art. 11 portait que, pour prévenir tous les sujets de plaintes et de contestations qui pouvaient naître à l'occasion des prises qui seraient faites en mer après la signature des articles préliminaires, les vaisseaux et effets qui seraient pris dans des délais variant, d'après les diverses latitudes, de douze jours à cinq mois, seraient de part et d'autre restitués), les auteurs modernes posent encore la question de la validité des prises faites avant l'expiration des délais, mais avec connaissance de la paix; aujourd'hui comme autrefois, l'opinion commune est que ces prises doivent être annulées : la raison en est bien simple: comme l'avait dit Émerigon, si la connaissance présumée de la paix qui résulte de l'échéance du terme, opère la nullité de la

(1) Valin, Traité des prises, éd. 1763, I, p. 46. Cf. Pistoye et Duverdy, op. cit., I, p. 142.

(2) Valin, l. c. « Si c'est après les délais expirés, la prise sera véritablement sujette à restitution; mais ce sera sans dépens, dommages-intérêts, à moins qu'il n'y ait preuve tout de même qu'au temps de la prise le capteur était instruit de la paix. » Cf. Émerigon, Traité des assurances, ch. XIII, sect. XIX; Massé, op. cit., I, p. 322, no 370. (3) Valin, op. cit., I, 47; Émerigon, l. c.

prise, à plus forte raison la connaissance positive doit produire le même effet (1). Le Conseil des Prises français, par décisions du 2 et du 14 floréal an XI, dans les affaires de la Bellone contre le Porcher et de la Petite Renommée contre la Nymphe (2), s'est prononcé dans ce sens.

243. Tout n'est pas encore dit : la prise faite avant l'expiration du temps prescrit ne sera annulée que s'il est prouvé que le capteur avait une connaissance positive de la paix au moment de la capture. Mais encore ? Qu'entendre par une connaissanée positive de la paix ? Dans l'affaire de la Bellone contre le Porcher, M. Collet-Descotils, commissaire du gouvernement près le Conseil des Prises, fit remarquer que les auteurs parlent de la connaissance positive de la paix, mais qu'aucun ne la définit de ses propres conclusions et des décisions du Conseil dans les deux affaires précitées, il résulte qu'on doit entendre par connaissance positive une connaissance certaine, assurée, indubitable; elle ne peut résulter de renseignements verbaux, ni même de documents écrits, mais non officiels, émanés de l'ennemi; mais elle peut résulter d'une communication officielle faite par des commandants militaires de l'ennemi : dans l'affaire la Petite Renommée contre la Nymphe, la capture avait été faite (et même la commission délivrée par le mulâtre Pélage, qui avait usurpé le commandement militaire de la Guadeloupe), après que le capitaine de la frégate anglaise le Tamer avait envoyé un parlementaire à la Guadeloupe, pour annoncer la nouvelle de la paix, qui avait été confirmée en même temps par le gouverneur de la Dominique; bien plus, après accusé de réception de ces deux communications aux autorités anglaises qui les avaient faites.

244. L'usage de fixer un terme pour la validité des prises n'était pas si général qu'il fût inutile de reprendre

(1) En ce sens, notam. Hautefeuille, Droits et dev. des neutres, III, p. 277-78; Massé, op. cit., I, p. 322-23, no 371; Calvo, op. cit., IV, 1881, p. 371-76, § 2965-67, et les autorités qu'il cite.

(2) Pistoye et Duverdy, op. cit., I, p. 149-55: dans la première espèce le Conseil décida en faveur du capteur, dans la seconde, en faveur du capturé, mais en vertu du même principe: dans la première espèce, il fut jugé que la preuve complète que le capteur avait eu une connaissance positive de la paix n'existait pas; dans la seconde, que cette preuve existait.

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