Page images
PDF
EPUB

la question si ancienne de savoir si les captures opérées après la signature du traité ou des préliminaires de paix devaient être restituées, que le capteur eût ou non connaissance de la paix. Le traité ou les préliminaires de paix pouvaient garder le silence au sujet de la validité des prises maritimes. Ainsi, les traités de Campo-Formio et de Lunéville, intervenus entre la France et l'Autriche, étaient muets sur le sort des captures faites après leur conclusion. Que décider? Le Conseil des Prises, appelé à se prononcer dans l'affaire la Thetis contre le Serpent, jugea que n'est pas valable la prise faite après la signature d'un traité de paix, même avant sa ratification, alors qu'aucune stipulation spéciale n'est intervenue à cet égard: il en est ainsi, même quand la paix n'est connue ni du capteur ni du capturé (1). Les publicistes modernes en sont revenus à ces vrais principes, que déjà avait consacrés l'autorité d'Albericus Gentilis (2). Si le capteur était de bonne foi, c'est-à-dire s'il n'est pas prouvé qu'il avait connaissance de la paix survenue, il ne sera pas condamné à des dommages-intérêts; la capture en pareil cas est un accident inévitable; il le sera, dans le cas contraire (3).

[ocr errors]

245. Tout cela est de l'histoire ancienne : les questions signalées pourraient sans doute se présenter encore, et c'est pour cela qu'indépendamment de l'intérêt théorique et historique qui s'y rattache, il fallait les indiquer; mais en fait, elles ne se présentent plus. Il est d'usage aujourd'hui de convenir dans les préliminaires ou dans les traités de paix que les vaisseaux et les chargements dont la condamnation n'a pas encore été prononcée au moment de la conclusion de la paix, seront restitués en nature ou en valeur: sans reproduire les exemples mentionnés dans l'esquisse historique, on peut dire que cette clause est devenue de style dans les conventions relatives au rétablissement de la paix (4). On a même vu des gouvernements, en l'absence de

(1) C. P., 7 ventôse an X, Pistoye et Duverdy, op. cit., I, p. 147-149. (2) Notam. Pistoye et Duverdy, ibid., p. 141-42; Hautefeuille, op. cit., III, p. 275-77; Massé, op. cit., I, p. 324-25, no 372.

(3) Conclusions du commissaire du gouvernement, dans l'affaire la Thétis contre le Serpent. Massé, l. c.

(4) M. Calvo, op. cit., IV, p. 329, § 2960, relève cet usage: on est étonné que des auteurs qui ont écrit après 1870 n'en fassent pas autant.

stipulations semblables, accorder par mesure gracieuse, la restitution des prises non encore jugées à la conclusion de la paix.

Au cas où la clause indiquée ne figurerait pas dans le traité de paix, c'est une pratique bien établie que les tribunaux de prises peuvent fonctionner après la conclusion de la paix et condamner les prises non encore jugées lors de cette conclusion (1). Quelque constante que soit cette pratique, on a pu faire remarquer à bon droit qu'elle n'est pas très-logique, car le jugement des prises, s'il n'est pas par lui-même un fait de guerre, est dans une étroite connexion avec les faits de guerre et en consacre le résultat ; dès lors, il devrait ne plus pouvoir se produire, la paix une fois rétablie il est bien entendu qu'il ne s'agit pas de fermer la voie de l'appel aux capturés, en matière de prises condamnées en première instance avant la conclusion de la paix.

V

Comment s'opère et se constate la saisie? Devoirs du croiseur. Devoirs du capteur. Droit de détruire la prise ; de la réarmer et de l'employer pour les besoins de la

[blocks in formation]

246. A). Devoirs du croiseur. Tout navire sur l'Océan doit arborer un pavillon. Mais, en temps de guerre, et dans l'état actuel du droit des gens, le bâtiment de commerce ennemi est sujet à capture, tandis que le bâtiment neutre ne l'est pas. Il faut donc que les vaisseaux de guerre chargés de capturer les premiers puissent sommer tout bâtiment qu'ils rencontrent d'arborer son véritable pavillon, et s'assurer que le pavillon arboré sur leur sommation est bien le sincère et réel pavillon; cela fait, le bâtiment sera saisi, s'il est reconnu qu'il est ennemi; il sera relâché, s'il est constaté qu'il est neutre, et, si d'ailleurs, il n'a pas violé les de

(1) Notam. décision du C. d'État du 20 nov. 1815, Pistoye et Duverdy, op. cit., I, p. 145

voirs de la neutralité (1). L'accomplissement de ces constatations constitue les devoirs des croiseurs ces constatations sont comprises sous le nom de visite.

247. Le vaisseau de guerre qui veut visiter un bâtiment de commerce doit hisser ses couleurs et les assurer, c'està-dire tirer un coup de canon à boulet perdu ou à poudre, qui s'appelle le coup d'assurance. Le coup d'assurance est en même temps coup de semonce: en même temps qu'il affirme la sincérité de son pavillon, le vaisseau de guerre, par ce coup de canon, avertit le bâtiment qu'il ait à arborer aussi ses couleurs et à se mettre en panne ou à amener ses voiles pour se laisser approcher. Le coup d'assurance, qui se confond ici avec celui de semonce, doit être répété au besoin. Le navire semoncé s'arrêtant, le croiseur s'arrête aussi, en se tenant, autant que l'état de la mer le permet (2), hors de la portée du canon, et envoie au navire qu'il s'agit de visiter une embarcation commandée par un officier et portant le pavillon parlementaire : l'officier, en montant à bord, ne prend avec lui que deux ou trois hommes au plus. Si le navire semoncé continue sa route et cherche à fuir, le croiseur a le droit de lui donner la chasse et de l'arrêter, au besoin, par la force, et il n'est pas responsable des avaries qu'il peut faire éprouver au récalcitrant. Il y a plus si le bâtiment semoncé ne se borne pas à une résistance passive, en prenant chasse, et qu'il réponde à la force par la force, il sera capturé sans autre forme de procès. Mais le bâtiment qui prend chasse au lieu d'obéir à la semonce, est considéré comme assez puni, comme le dit

(1) Le droit de visite a un autre but: une fois la neutralité du bâtiment constatée, il sagit de s'assurer qu'il n'a pas à bord de contrebande de guerre. Le droit de visite n'a point pour objet d'amener la saisie de la propriété ennemie sous pavillon neutre. Outre les deux buts signalés (constater la nationalité du navire, s'assurer qu'il n'y a pas de contrebande à bord du navire neutre), le droit de visite peut servir à constater une rupture de blocus. Ainsi restreint, c'est un moyen de contrôle indispensable. Mais la théorie du droit de visite concerne la matière du droit des neutres sur mer. Nous ne détacherons de cette théorie que ce qui a trait plus directement à la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi.

(2) Ortolan, op. cit., II, liv. III, ch. VII, p. 256-57; Instructions complémentaires du min. de la mar. en 1870, art. 4, Barboux, op. cit., p. 149.

M. Ortolan, par les avaries que le canon peut lui faire; on sait que la pratique anglaise est fixée en sens contraire. Le plus souvent, les choses se passeront correctement, et l'officier du vaisseau de guerre visiteur arrivera à bord du navire semoncé. Les papiers de bord lui seront présentés par le capitaine, et l'officier les examinera. Si de cet examen résulte pour lui la conviction que le navire est neutre, et qu'il ne soit d'ailleurs question ni de rupture de blocus, ni de transport de contrebande de guerre, l'officier constatera la visite sur le journal de bord et se retirera.

248.- Si l'officier pense qu'il a affaire à un navire ennemi, le croiseur devient capteur, et voici les nouveaux devoirs qui lui incombent désormais : nous nous attachons de préférence aux prescriptions de la législation française; les autres législations ne diffèrent pas essentiellement de celleci, et, comme toutes les mesures ordonnées par les règlements des divers puissances maritimes s'inspirent de la même idée, à savoir qu'il faut assurer l'instruction et le jugement et que dans ce but la prise doit être conservée intacte et conduite dans un port du capteur, nous ne relèverons pas les divergences de détail qui ne manquent pas de se rencontrer dans les édits, règlements, statuts ou ordonnances des États d'Europe et d'Amérique (1).

(1) On trouvera sur ce point les principaux renseignements dans le rapport si consciencieux et si remarquable de M. Bulmerineq à l'institut de droit international, Le Droit de prises maritimes, 1re partic: ce rapport, on le sait, est un gros volume. Cf. Calvo, op. cit., 3° éd., IV, 1881, p. 259-63, § 2786-2802.- Le droit de visite, avons-nous vu à propos de l'inviolabilité du territoire maritime neutre, ne peut être exercé dans les eaux d'une puissance neutre; il ne peut pas l'être davantage sur les bâtiments qui seraient convoyés par un vaisseau de guerre neutre (l'usage des convois est tombé en désuétude, au moins momentanément). Il y a plus: s'il est incontestable que tout bâtiment marchand peut être visité, on tend aujourd'hui à n'exercer le droit de visite que « dans les parages et dans les circonstances où l'on aurait des motifs fondés de supposer que la visite peut amener la saisie du bâtiment visité. » Les Instructions des ministres de la marine d'Italie et de France, en 1866 et en 1870, étaient conçues catégoriquement en ce sens. Il est admis que le jet de papiers à la mer entraine la saisie du navire seulement, les tribunaux de prises du capteur condamnerontils le navire convaincu de ce fait, alors même qu'il resterait assez de papiers de bord pour justifier de sa neutralité? Il est certain qu'en France la question a été résolue négativement, malgré les termes péremptoires de l'art. 3 du règlement de 1778, vu la lettre de Louis

249.-B). Devoirs du capteur. Le capteur doit procéder ainsi qu'il suit, aux termes de l'art. 15 des Instructions du ministre de la marine, en date du 25 juillet 1870, auquel nous joignons l'indication des textes législatifs les plus importants:

1° S'emparer de tous les papiers du bord et les mettre sous scellés, en présence du capitaine pris (art. 59, arrêté du 2 prairial an XI), après en avoir dressé un inventaire (1);

2o Dresser un procès-verbal de capture, ainsi qu'un inventaire sommaire du bâtiment (décret du 15 août 1851 sur le service à bord des bâtiments de la flotte, art. 293, 1°: c'est l'officier d'administration qui doit faire, en présence de l'officier chargé de commander la prise, cet inventaire du bâtiment et le procès-verbal de capture);

3o Constater l'état du chargement, puis faire fermer les écoutilles de la cale, les coffres et les soutes, et y apposer les scellés (art. 59 de l'arrêté du 2 prairial; décret du 15 août 1851, art. 293, 2o: après que l'eau et les vivres nécessaires pour la navigation en ont été extraits; aux termes de l'art. 293, 3°, il est dressé un inventaire spécial des objets appartenant aux officiers, à l'équipage et aux passagers du bâtiment capturé; l'art. 292, 3° prescrit au capitaine du capteur de faire arrêter sur-le-champ et poursuivre tout individu coupable d'avoir détourné des objets appartenant au bâtiment ou à l'équipage capturé; Cf. art. 60 et 65 de l'arrêté de prairial) (2) ;

XVI à l'amiral de France, en date du 13 novembre 1779. Cf. Pistoye et Duverdy, op. cit., II, p. 70-74.

(1) Les lettres officielles et particulières trouvées à bord doivent être adressées sans délai au ministre de la marine (art. 16): ces lettres peuvent avoir une grande importance; mais on n'enverra pas au ministre de la marine toutes les lettres particulières indistinctivement: les lettres qui sont de nature à donner des éclaircissements sur la validité de la prise, sont jointes à la procédure(art. 68 de l'arrêté de prairial). (2) Lorsque le capteur n'a pas apposé les scellés sur les marchanchandises qui se trouvent à bord du navire capturé, on peut prouver, par tous les moyens possibles, l'existence à bord de marchandises soustraites par le capteur, qui sera alors condamné à restituer la valeur portée dans le connaissement et non le prix de la vente qu'il a pu en faire ainsi jugé par le Conseil d'État, le 2 février 1808, dans l'affaire l'Arabe contre le Félice: le capteur était un corsaire. Pistoye et Duverdy, op. cit., I, p. 246-48.- Les défenses de faire aucune ouverture de coffres, ballots, sacs, caisses, édictées par l'art 63 de l'arrêté de prairial, sont de toute antiquité, ou du moins remontent aussi haut que l'institution des tribunaux de prises: on les trouvait déjà dans

« PreviousContinue »