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4° Mettre à bord un équipage pour la conduite de la prise.

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250. La saisie ainsi opérée et constatée, et le capteur ayant mis un équipage de prise à bord du navire saisi, la prise doit être conduite ou envoyée dans le port de France le plus rapproché, le plus accessible et le plus sûr, ou dans le port de la possession française la plus voisine. Pendant le voyage, la prise navigue avec le pavillon et la flamme, insignes des bâtiments de l'État : c'est seulement en cas de force majeure qu'elle peut entrer dans un port neutre, pour répa

l'ordonnance de 1373 [1400], art. 10; on les retrouve dans les ordonnances postérieures, celles de 1517, de 1543, de 1584, dans la déclaration du 1er février 1650, dans l'ordonnance de 1681.Le pillage des prises était autrefois ordinaire et effréné, nous apprend Valin. Il faut lire dans ce chaleureux partisan de la course le récit de la conduite des équipages de corsaires et de leurs capitaines eux-mêmes : les équipages en étaient venus jusqu'à jurer sur le pain, le vin et le sel, devant un prêtre, que de tout ce qu'ils pourraient prendre et dérober des prises, ils n'en révèleraient rien à la justice, aux armateurs ni autres, et se le partageraient serment abominable, dit Valin, qui fut enfin proscrit par les ordonnances de 1543 et de 1584, avec défense aux prêtres de recevoir à l'avenir de pareils serments sous peine de prison et de poursuite extraordinaire. L'ardeur au pillage n'en fut pas ralentie: on crut devoir user d'une certaine condescendance, pour donner meilleure volonté aux gens des corsaires d'eux vertueusement employer aux effets de la guerre; les ord. de 1343 et de 1584 autorisèrent le pillage des ennemis jusqu'à concurrence de dix écus. Les ordonnances postérieures ne disaient rien de semblable. Cependant, « il est passé en usage approuvé par Grotius, De j. b., l. III, c. VII, § 24, n° 4, nous dit Valin, et confirmé par l'exemple des deux dernières guerres (celle de la succession de Pologne et celle de la succession d'Autriche) que la dépouille des ennemis avec leurs coffres, hardes, armes, instruments de leur profession, appartiennent à l'équipage du corsaire, en gardant néanmoins la différence des grades, de manière qu'au capitaine corsaire appartient la dépouille du capitaine pris, avec son coffre, son épée et ses autres armes; au pilote, la dépouille du pilote ennemi, avec ses instruments de pilotage; au charpentier, les outils de son métier ; ainsi du reste. » A l'occasion de ce droit de s'emparer de la dépouille des ennemis, ajoute Valin, il se fait, dans la chaleur de la prise, bien des choses contraires à l'honneur, à la décence et même à l'humanité. «Que le capitaine du corsaire s'approprie l'épée, les autres armes et les bijoux que le capitaine pris peut avoir sur lui, cela peut se tolérer entre roturiers; mais qu'il lui fasse changer d'habits pour lui en faire prendre un mauvais, c'est ce qui ne peut que révolter. Il faut en dire autant, proportion gardée, des autres officiers. A l'égard des matelots, que celui qui rencontrera un matelot ennemi mieux vêtu

lui l'oblige de lui céder son habillement en échange du sien, cela jà un peu dur; mais que ce matelot, après avoir fait ce troc

ration d'avaries ou ravitaillement; elle n'y séjourne que le temps strictement nécessaire pour ces opérations; d'ailleurs, elle n'y serait pas tolérée plus longtemps, presque toutes les puissances maritimes n'admettant pas dans leurs ports, soit les prises, soit les bâtiments de guerre, en dehors du cas de relâche forcée et pour plus de quarante-huit heures (art. 18 des Instr. du 25 juillet; art. 13. 14. 18 des Instr. complém.; Cf. art. 61. 67 de l'arrêté de prairial: le fond de ces dispositions, qui s'expliquent d'elles-mêmes, se retrouve dans les ord. de 1543, de 1584 et de 1681).

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251. Le capteur doit, venons-nous de voir, amener ou envoyer sa prise. Autrefois, les capitaines de corsaires ne manquaient pas d'escorter les prises de quelque valeur; aujourd'hui, les commandants des bâtiments de guerre, tout en tenant compte de la valeur de la prise, seront sans doute touchés surtout par des considérations ayant trait au service et au but de leur mission: cependant l'art. 18 des Instructions du 25 juillet et l'art. 15 des Instructions complémentaires supposent qu'en principe le capteur doit escorter luimême sa prise; mais c'est à lui d'apprécier s'il peut << l'expédier directement », en la confiant à un officier sous les ordres duquel il l'envoie. C'est ce qui s'appelle amariner une prise. L'officier qui la conduit prend le nom de conducteur ou chef de prise.

252.- Si la prise escortée par le capteur, ou envoyée sous le commandement d'un chef de prise, réussit à gagner le port français sur lequel elle a été dirigée, le capteur en personne, ou l'officier conducteur de prise, doit déclarer la prise, et la remettre entre les mains de l'autorité publique. A cet effet, le conducteur de la prise doit prévenir le direc

forcé, soit exposé à la même avanie de la part de tout autre matelot qui voudra changer d'habits avec lui, de manière qu'il ne lui reste à la fin qu'un misérable haillon, c'est ce que l'humanité ne peut souffrir. » Tout capitaine de corsaire qui a des sentiments, sait se préserver lui-même de tels excès et empêche ses gens de les commettre; «ou s'il n'a pu les prévenir, il a soin de les réparer en faisant remettre au matelot ennemi un habillement convenable et proportionné à celui qu'il avait d'abord. » Tout autre pillage des prises est étroitement défendu, dit en terminant Valin ; « et cependant il n'est presque point de prise où il n'y en ait plus ou moins. » Valin, cité par MM. Pistoye et Duverdy, op. cit., I, p. 24. - Les corsaires français n'avaient pas sans doute le monopole de l'avidité.

teur de la douane, et faire tenir à l'autorité maritime ou consulaire 1° son rapport de traversée; 2° le procèsverbal de capture et d'apposition des scellés; 3° l'inventaire de la cargaison; 4° les pièces et papiers de bord de toute nature (art. 15 des Instr. complém. de 1870; l'art. 16 autorise le capteur « dans des circonstances exceptionnelles, à expédier directement et par une autre voie les pièces de procédure dont la présence est nécessaire à l'instruction, å la condition que leur arrivée en France précédera celle de la prise elle-même »> ; - art. 66 de l'arrêté de prairial; circul. du min. de la mar. du 16 janv. 1808). La prise ainsi déclarée et remise entre les mains de l'autorité publique, la responsabilité du conducteur de la prise cesse: l'instruction peut commencer (1).

253. Mais avant l'arrivée au port de destination, il peut se passer bien des événements: nous devons signaler ceux qui ont des conséquences juridiques.

254. C). Préemption. - Il peut se faire que le capteur manque de vivres ou de houille: s'il se trouve des approvisionnements de cette nature à bord du navire capturé, pourra-t-il s'en servir pour son propre usage? On ne peut guère lui contester ce droit, pourvu qu'il prenne les précautions nécessaires pour régler la répartition entre l'État, et son étatmajor et son équipage, de la valeur des approvisionnements

(1) Après son arrivée dans le port, le capteur peut-il transiger avec le capturé? On admettait autrefois que les corsaires pouvaient consentir de telles transactions, sous le contrôle de l'État : les transactions et désistements entre capteur et capturé devaient, en France, être soumises à l'homologation du Conseil des Prises, sur les conclusions du commissaire du gouvernement. (C. P., 13 prairial an VIII, décision rendue sur les conclusions conformes de Portalis. Pistoye et Duverdy, op. cit., II, p. 351-53; décisions du min. de la mar. du 11 sept. 1809 et du 23 juin 1810. Id., ibid., p. 348-49). Quant aux vaisseaux de l'État, ils ne peuvent transiger: seuls, les administrateurs de la marine le peuvent (Lettre du min. de la mar. au commissaire princip. de la mar. à Cherbourg, 25 juin 1810). Toutefois, exceptionnellement, sous l'autorité directe du ministre de la marine, soit en vertu d'un blangseing qui pourrait être donné, soit en vertu de la ratification ministérielle, des transactions ou même des désistements absolus peuvent intervenir. Mais, dans de telles circonstances, la transaction et le désistement ne doivent pas être soumis à l'homologation du Conseil des Prises, parce qu'alors ces actes émanent des dépositaires directs du droit de la paix et de la guerre. Id., ibid., p. 349-50.

ainsi appréhendés, et pour permettre d'indemniser, le cas échéant, les propriétaires neutres : c'est le droit de préemption restreint dans de justes limites. L'art. 20 des Instructions françaises du juillet 25 autorisait «dans des cas exceptionnels, la préhension pour le service de la flotte, des cargaisons des navires ennemis, après en avoir fait dresser un inventaire détaillé et un procès-verbal d'estimation. » Il fut fait usage de ce droit pendant la guerre de 1870-71: le vapeur hambourgeois, le Pfeil, avait été capturé par la corvette Château-Renaud, faisant partie de l'escadre d'évolutions mouillée devant l'île d'Héligoland; sur l'ordre du viceamiral Fourichon, commandant en chef cette escadre, 864 tonneaux de houille furent débarqués du Pfeil et préemptés pour le service de la flotte. Le Conseil des Prises, en condamnant le navire et la cargaison comme ennemis, ordonna que, « vu le procès-verbal dressé le 16 août 1870 à bord de la prise, et constatant que par ordre de M. le vice-amiral Fourichon, commandant en chef l'escadre d'évolutions, une quantité de 864 tonneaux de houille environ a été débarquée de la prise le Pfeil et préemptée pour les besoins de la flotte, il fût fait état et estimation par les soins du ministère de la marine, dans la forme consacrée par les règlements sur la matière, des charbons préemptés pour les besoins de la flotte à bord de la prise le Pfeil, pour le prix en être payé par le Trésor et adjugé aux capteurs, dans les conditions et sous les réserves spécifiées pour la valeur du navire (1). » Si le Conseil eût reconnu la neutralité des approvisionnements ainsi préemptés, il eût ordonné le paiement du prix aux propriétaires. Ce droit, soumis à des conditions tutélaires et restreint aux seuls cas d'une nécessité sérieuse, nous paraît devoir être admis, d'autant plus qu'aujourd'hui il est très-difficile aux flottes de renouveler leurs approvisionnements de houille : les puissances neutres n'autorisent le séjour des vaisseaux de guerre dans leurs ports que pour un délai très-court, qui ne saurait être prolongé qu'en cas d'avaries, de manque de vivres ou de tempête; les achats en vivres et en charbon qu'elles tolèrent ne peuvent dépas

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(1) Barboux, op. cit., p. 130: C. P., 22 oct. 1870; Cf. C. P., 15 déc. 1870, le Heinrich. Id., ibid., p. 125-26.

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ser la quantité nécessaire pour regagner le port national le plus proche, et encore ces achats ne peuvent-ils se répéter sans autorisation spéciale que de trois mois en trois mois (1). 255. D). Emploi de la prise pour le service. Il se présentera plus rarement que le capteur ait besoin d'employer sa prise pour un service public; mais s'il en a absolument besoin, par exemple pour porter un message dont il ne peut se charger lui-même, ou pour effectuer un transport de troupes, de munitions ou d'approvisionnements, le capteur pourra-t-il user à cet effet des bâtiments ennemis capturés? L'art. 20 des Instructions françaises du 25 juillet 1870 l'admet: « Si l'intérêt public l'exige, vous pouvez réarmer les bâtiments ennemis capturés et les employer pour les besoins du service, après en avoir fait faire l'estimation par une commission composée, autant que possible, de trois officiers supérieurs compétents, dont un membre du commissariat. » Le procès-verbal dressé en exécution de cette disposition, comme celui qui est rédigé en vertu de la disposition qui autorise la préemption, doit être joint au dossier de la prise, et un double doit être adressé au ministre de la marine sous. le timbre de l'administration de l'établissement des Invalides de la marine. La prise sera jugée : si elle a péri dans le service qui lui a été imposé, ou si elle y a subi des détériorations, le Conseil des Prises, au cas où il y aurait lieu d'invalider la capture, ordonnera que la valeur ou la moinsvalue en soit payée au propriétaire. Dans ces termes, on ne peut guère se refuser à reconnaître au capteur le droit d'employer la prise pour les besoins du service, car il faut bien tenir compte des nécessités de la guerre.

256.-E). Perte par fortune de mer. - La prise peut être perdue par fortune de mer. Dans ce cas, l'art. 19 des Instruc

(1) Lettre du comte Russell aux Lords de l'Amirauté, du 30 janvier 1862. Ces dispositions furent appliquées dans la guerre franco-allemande, et en 1870, à l'occasion de cette guerre, les États-Unis adoptèrent de semblables prescriptions: une seconde fourniture n'était permise dans les trois mois de la première que si le vaisseau de guerre avait touché dans un port européen. Hall, The rights and duties of neutrals, 1874, § 21, p. 59-60, et les notes. Cf. Ortolan, op. cit., II, liv. III, ch. VIII, p. 286; Bluntschli, op. cit., art. 773.

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