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298. Les Pays-Bas ont conclu un certain nombre de traités au sujet des reprises alliées : la convention de 1689, conclue à propos de l'alliance avec l'Angleterre, stipulait la restitution des navires hollandais repris par des vaisseaux de guerre anglais et réciproquement, sous déduction du 1/8 de la valeur, au cas où la recousse avait été faite avant la deductio intra præsidia. Les arrangements pris en 1744 et en 1748 n'avaient, comme la convention de 1689, qu'un caractère transitoire et fugitif, si fugitif même que, dès 1748, quand la Grande-Bretagne réclama la propriété d'un navire anglais the Lydia, qui, capturé par un vaisseau français, avait été repris par un vaisseau hollandais et conduit à Zierikzee, les États-Généraux répondirent que la reprise appartenait jure belli aux repreneurs. Par le traité du 1° mai 1781, conclu avec la France, il était convenu que les navires hollandais, repris par des corsaires français, seraient restitués à leurs propriétaires sauf une récompense du tiers de la valeur, si la reprise avait eu lieu dans les vingt-quatre heures; après ce délai, ils appartiendraient en entier au recapteur. Les vaisseaux de guerre devaient avoir le dixième de la récompense allouée aux corsaires, soit le trentième ou le dixième de la valeur des navires recous, suivant les cas. Cette convention fut ratifiée par la France le 27 mai 1781 (1). Mais avant sa ratification et aussitôt après sa signature, entre le 2 et le 4 mai, eut lieu une reprise très-importante de trente-trois navires hollandais, qui fit naître un des procès les plus célèbres que l'on connaisse en matière de reprises. L'amiral anglais Rodney s'était emparé de ces navires; ils furent repris par une escadre française et conduits à Brest; le Conseil des Prises adjugea la plupart des navires et des cargaisons aux repreneurs, par décision du 30 mai 1781, décision que le Conseil royal des finances confirma sur presque tous les points en appel (2). Enfin, un traité absolument identique à celui qui avait été conclu entre la France et les Pays-Bas, intervint entre cette dernière puissance et les États-Unis, le 8 octobre 1782 (3).

(1) Lebeau, Nouveau Code des Prises (1400-1780), II, p. 310; Cf. Martens, R. 2, III, p. 340.

(2) Martens, op. cit., § 60, p. 163, note y.

(3) Martens, R. 2., III, p. 462 sqq.

299. La pratique anglaise la plus ancienne paraît avoir été celle-ci tout navire repris par les vaisseaux de la Grande-Bretagne était restitué à ses propriétaires, moyennant un droit de recousse arbitré dans chaque espèce; quant aux reprises faites par des corsaires, on distinguait : le bâtiment avait-il été repris avant d'avoir été conduit par l'ennemi intra præsidia, le corsaire était traité comme le vaisseau de guerre; le bâtiment avait-il été enlevé par le corsaire intra præsidia, il était adjugé au repreneur en totalité. On connaît, paraît-il, des exemples de cette jurisprudence antérieurs au XVIIe siècle.

Dans la seconde moitié de ce siècle, une législation différente s'introduisit. En 1649, sous le Protectorat, la restitution de tous les navires anglais recous par des recapteurs anglais fut ordonnée, sous réserve d'un droit de sauvetage ou recousse. L'Acte du Parlement de 1692 disposait que, si la reprise avait été faite par un vaisseau de guerre, il aurait droit au 1/8 de la valeur du navire et de la cargaison, à quelque époque qu'eût lieu la reprise; et que, si elle émanait d'un corsaire, celui-ci aurait droit au huitième, au cas où le navire serait resté moins de vingt-quatre heures au pouvoir de l'ennemi; au cinquième, au cas où il serait resté au pouvoir de l'ennemi plus de vingt-quatre heures et moins de quarante-huit; au tiers, s'il y était resté plus de quarantehuit heures et moins de quatre-vingt-seize; enfin, à la moitié si la recousse avait eu lieu après les quatre-vingt-seize heures de la prise. Ces dispositions furent renouvelées notamment en 1740, en 1744, en 1746, et maintes fois depuis. Au début de la guerre de l'Indépendance américaine, deux Actes du Parlement décidèrent que les navires anglais repris sur les rebelles seraient rendus à leurs propriétaires sous la déduction du huitième de leur valeur, quel que fût l'auteur de la reprise, corsaire ou vaisseau de guerre. Dans la suite de cette guerre, la même mesure fut étendue à tous les bâtiments anglais qui, capturés par les croiseurs des autres puissances engagées dans la lutte, seraient repris par les croiseurs anglais, corsaires ou vaisseaux de guerre.

La matière fut de nouveau réglementée, pendant les guerres de l'Empire, par deux actes rendus sous George. III, en 1803 et 1805 (43 Geo. III, ch. 160; 45 Geo. III, ch. 72): aux

termes de ces actes, tous vaisseaux et leurs cargaisons appartenant à des sujets anglais, pris par l'ennemi, seront rendus aux premiers propriétaires, sur le paiement pour droit de recousse du 1/8 de leur valeur, s'ils sont repris par les bâtiments de Sa Majesté, et du 1/6 s'ils sont repris par un corsaire; si la reprise a été opérée par l'action combinée des vaisseaux de Sa Majesté et des corsaires, la Cour compétente ordonnera le paiement de tel droit de recousse qu'elle jugera convenable. Suivant une antique exception, si le vaisseau repris a été armé en guerre (where the vessel, after a capture, has been fitted out by the enemy for war), il ne sera pas rendu aux premiers propriétaires et sera adjugé au repreneur.

300. Enfin, le Prize Act permanent de 1864 (27 et 28 Vict., ch. 25, § 40), rendu après l'abolition de la course, a érigé, en la modifiant quelque peu, en règle destinée à être suivie dans toutes les guerres futures de la GrandeBretagne, la disposition des Actes de 1803 et 1805 quant aux reprises faites par les vaisseaux de guerre anglais. Voici le résumé des dispositions du Prize Act de 1864: le navire anglais repris sur l'ennemi est rendu à son propriétaire par décision de la Cour de prises, sous déduction du 1/8 de la valeur, ou d'une fraction plus forte et arbitrée par la Cour, mais ne pouvant excéder le 1/4, si la recousse a été opérée dans des circonstances particulièrement difficiles et dangereuses cette restitution sera prononcée, quel que soit le temps que la prise ait passé entre les mains de l'ennemi, bien plus, quand même elle aurait été déclarée de bonne prise par une Cour de prises ennemie. Cette application à outrance du jus postliminii peut paraître singulière : elle n'en est pas moins constante: le vaisseau repris reviendra à ses propriétaires anglais s'il tombe par recousse aux mains d'un croiseur anglais, eût-il été condamné par le tribunal de prises ennemi et vendu après cette condamnation à un tiers acquéreur de bonne foi. Il en a été ainsi de tout temps, et cette restitution quand même est stipulée dans la convention du 5 février 1814, entre la France et l'Espagne, concernant les reprises (1).

(1) Martens, N. S., II, p. 240. Cf. Ilautefeuille, Droits et dev., 3o éd., III, p. 379-80.

301. Une seule exception, traditionnelle et répétée d'Acte en Acte, est admise à ce principe absolu, et qui ne tend à rien moins qu'à empêcher les neutres de se rendre acquéreurs, aussi longtemps que durera la guerre, de prises anglaises dûment adjugées : elle concerne le cas où le vaisseau pris a été armé en guerre par le capteur. Cette exception ne s'explique qu'historiquement: elle n'aurait guère aujourd'hui de portée pratique, que si l'on constituait des marines volontaires destinées à servir d'auxiliaires aux flottes militaires.

Mais qu'est-ce qui constitue ce qu'on appelle, dans la jurisprudence anglaise, « la conversion en vaisseau de guerre?» Les Cours de prises anglaises ont rendu sur ce point quelques décisions qui éclairent la portée de la clause traditionnelle des Actes du Parlement, qu'on retrouve encore dans l'Acte de 1864. Ainsi, il a été jugé que quand un vaisseau armé originairement en vue de la traite des esclaves, aurait, après avoir été capturé, reçu à son bord un équipage plus considérable, mais sans commission de guerre ni armement nouveau, cela ne constituerait pas une conversion en vaisseau de guerre d'après l'Acte. La commission de guerre est décisive, s'il y a des canons à bord. Quand après la capture, le vaisseau a été disposé pour être employé comme corsaire, cela est concluant contre lui, bien qu'à l'époque de la reprise il navigue comme vaisseau marchand. Si le vaisseau est armé et employé au service militaire de l'ennemi par ceux qui ont le pouvoir nécessaire pour lui donner cette destination, c'est une preuve suffisante de la conversion du navire en vaisseau de guerre, bien qu'il ne soit pas régulièrement commissionné. Mais le simple emploi dans le service militaire de l'ennemi ne suffit pas on n'en tiendra compte que s'il émane d'une autorité compétente; cependant, s'il n'est pas invraisemblable qu'un tel emploi émane d'une personne dûment autorisée, et que rien dans la procédure ne prouve le contraire, la Cour pourra présumer cette personne investie de l'autorisation nécessaire (1).

(1) Wheaton, Élém., 5o éd., II, part., IV ch. II, § 12, p. 39, cite des décisions des Cours anglaises, d'où il extrait ces règles; Phillimore, Comm., III, § 420, p. 635-36. Sur tout ce qui a trait à la législation anglaise et à son développement historique, Martens, Armat., § 64, p.

302. La législation qui se rapproche le plus des vrais principes, est celle des États-Unis. L'Acte du Congrès du 3 mars 1800, ch. 168 [ch. XIV], § 351-352, décide qu'au cas de reprise de navires ou de cargaisons appartenant à des personnes qui résident dans le territoire des États-Unis ou sont placés sous la protection du gouvernement de l'Union, si les navires n'ont pas été déclarés de bonne prise par l'autorité compétente avant la reprise (not having been condemned as prize by competent authority before the Recapture), ils seront restitués à leurs propriétaires primitifs, moyennant le paiement du 1/8 ou du 1/6 de leur valeur, selon que la recousse est le fait d'un vaisseau de l'État ou d'un corsaire. Si le navire repris paraît avoir été converti en vaisseau de guerre avant ou après la capture et avant la reprise, le droit de recousse est de la moitié du navire. Pour la portée de cette dernière disposition, la loi américaine peut s'interpréter, suivant la remarque de Wheaton, par les décisions des Cours de prises anglaises (2). L'Acte du 20 juin 1864 reproduit en substance les dispositions de l'Acte de 1800, mais en laissant au tribunal de prises le soin de fixer une somme raisonnable, qui doit être allouée au recapteur, à titre de droit de salvage. L'art. 29 de l'Acte du 20 juin 1864 porte, au témoignage de M. Bulmerincq: Lorsqu'un vaisseau ou autre objet est capturé par une puissance ennemie des États-Unis et qu'il est repris, si le tri173-78 § 65, p. 178-93, pour les traités de la Grande-Bretagne; Wheaton, op. cit., II, p. 26-33; Phillimore, Comm., § 418, p. 432-34; Hautefeuille, Droits et dev., 3o éd., III, p. 364–65; Massé, Droit comm., I, 3o éd., no 423, p. 366; Gessner, Droit des neutres, 2o éd., p. 360-61; Cf. Calvo, Droit int., 3° éd., IV, p. 399-401, § 2997: M. Calvo ne laisse pas soupçonner ce trait si notable de la législation anglaise, qui consiste dans la restitution des navires anglais recous, même après la sentence de condamnation : il paraît même le méconnaître, puisque parlant des reprises nationales comme des reprises neutres, il dit: «En résumé, on peut dire que la jurisprudence anglaise reconnaît que les reprises doivent être restituées au propriétaire primitif, moyennant paiement par lui d'un droit de recousse et pourvu que les navires n'aient pas été déclarés de bonne prise par un tribunal du pays ennemi; quant aux reprises neutres, il y a lieu d'appliquer le principe de réciprocité; mais à charge de revanche, la loi anglaise les restitue toutes les fois que la sentence de condamnation n'a pas été prononcée par le tribunal du capteur. »

(2) Wheaton, Élém., II, p. 33-34; Phillimore, Comm., III, § 419, p. 634-35. Cf. Gessner, op. cit., p. 363; Calvo, op. cit., IV, p. 404, § 3005.

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