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croiseurs de toutes les nations, et qu'aucun État ne peut prendre des mesures d'exception à son profit exclusif ou à celui de quelques-uns de ses sujets (1).

Procédure

II

instruction préparatoire; marche et administration

de la preuve devant la juridiction des prises; jugement

de première instance et d'appel

363. A). Nous avons vu que tous les États ont pourvu à ce qu'il fût fait, à l'arrivée de la prise dans un des ports du capteur, une instruction locale on a organisé à cet effet des tribunaux ou des commissions d'instruction qui, l'instruction préparatoire de la prise terminée, adressent le dossier de l'affaire, soit au ministre de la marine, soit au procureur du gouvernement près la juridiction des prises, ou bien saisissent directement le tribunal de prises en envoyant les pièces au greffe du dit tribunal. On comprend toute l'importance qui s'attache à une telle instruction: c'est elle qui mettra le tribunal de prises à même de statuer sur la validité de la prise.

364. L'instruction s'accomplit d'une manière à peu près uniforme dans les différents pays. Les opérations qu'elle comprend se retrouvent partout. En général, l'instruction n'est pas contradictoire. Seulement les règlements les plus récents tendent à lui donner ce caractère. Ainsi, le règlement danois du 13 février 1864 dispose (§ 4) que, l'instruction terminée, le tribunal d'instruction invitera le patron du navire capturé à déclarer s'il désire que l'on prenne de plus amples renseignements ou s'il a quelque raison à faire valoir avant que la cause soit transmise au tribunal d'amirauté le patron du navire capturé peut se faire délivrer une copie de l'enquête. Le règlement autrichien du 21 mars 1864 va vraiment jusqu'à rendre l'instruction contradictoire. Dans la commission d'instruction des prises figure, avonsnous vu, un auditeur de marine qui remplit les fonctions de juge d'instruction sous le contrôle de la commission. Ce

(1) Sur tous ces points, Phillimore, Comm., III, p. 648-58, § 433-36; Bluntschli, Mod. Volk., art. 847; Gessner, op. cit., p. 398-408; Calvo, op. cit., IV, p. 297-303, § 2874-879; Bulmerincq, op. cit., 2° part., R. D. I., 1879, p. 205; p. 340.

juge doit veiller aux intérêts des parties, est-il dit. La commission d'instruction doit établir des curateurs pour représenter ceux des intéressés au sort du navire et de la cargaison qui, en l'absence du patron du navire, se trouveraient dans l'impossibilité de faire valoir leurs droits, soit par eux-mêmes, soit par des représentants. Les procèsverbaux d'interrogatoires, manifestes, expertises et attestations, doivent aussi être lus aux personnes susindiquées, en présence de deux témoins qui affirment par leur signature que tout s'est passé régulièrement (§ 7). D'un autre côté, les droits du capteur sont soutenus dans l'intérêt public par un représentant de la marine militaire, que délègue à cette fin la direction de la marine (Marine commando): preuve manifeste que le juge d'instruction a réellement le caractère d'un juge enquêteur et non pas d'un agent pur et simple de l'État. Lorsque les constatations sont terminées, le juge d'instruction doit permettre à toutes les parties de prendre communication des pièces, et inviter chacune d'elles à déclarer si elle a encore quelque observation à faire dans l'intérêt de ses droits. Le représentant de la marine militaire est admis à présenter des conclusions, et ses adversaires sont admis à répliquer dans un délai à déterminer (§ 6). Il y a plus les parties pourront porter plainte à la commission contre le juge d'instruction pour les irrégularités qu'il aurait commises ou pour le retard ou le trouble qu'il aurait apporté à l'instruction (1).

365. Sans entrer dans aucun détail, nous indiquerons sommairement les opérations qui composent l'instruction préparatoire ou locale en France.

La première opération est la vérification des scellés apposés par le capteur au moment de la prise (art. 73, arrêté du 2 prairial an XI).

La seconde opération comprend la réception et l'affirmation des rapports, ainsi que la déclaration de l'officier conducteur de la prise.

La troisième opération est l'interrogatoire du capitaine et de l'équipage capturés (art. 73 précité: disposition fort ancienne qu'on rencontre déjà dans l'ord. de 1373 [1400],

(1) Bulmerincq, op. cit., R. D. I., 1878, p. 259-61.

art. 4); l'interrogatoire des capturés est une des parties les plus importantes de l'instruction, puisque cet interrogatoire peut prévaloir sur les pièces de bord, ainsi que l'a décidé l'arrêt du Conseil du 26 octobre 1692. Mais il ne faut pas s'en tenir à l'interrogatoire du navire capturé lorsque cet équipage fait des récriminations contre les capteurs, il faut, à peine de nullité de l'instruction, et de la décision, qui en est la conséquence, interroger les capteurs et bien vérifier les allégations des capturés. Ainsi jugé par le tribunal de cassation, le 19 germinal an VII, dans l'affaire le John William, contre le corsaire le Pourvoyeur (1).

Une quatrième opération consiste dans la vérification de l'inventaire des pièces de bord qu'a dû dresser le capteur au moment de la prise, et dans le dépouillement de ces pièces.

Enfin, les papiers de bord seront traduits par les soins de l'officier d'administration de la marine. C'est, en effet, cet officier qui procède seul à tous les actes d'instruction: c'est lui qui agit, qui constate, qui interroge; seulement le préposé des douanes assiste aux opérations qu'accomplit l'officier d'administration de la marine (art. 78, arrêté de prairial).

366. La procédure d'instruction terminée, les scellés sont levés et les marchandises déchargées et déposées en magasin (art. 78, même arrêté). Mais, avant même que l'instruction soit terminée, il pourra y avoir lieu à des mesures provisoires. Ici, l'arrêté du 2 prairial an XI, conformément à la législation antérieure, distingue entre les prises constamment ennemies, et celles qui ont été faites sous pavillon neutre ou ne sont pas évidemment ennemies. Quant aux prises constamment ennemies, deux cas peuvent se présenter: ou les objets chargés sur la prise sont sujets à dépérissement, et la loi en prescrit la vente immédiate, ou ils ne sont pas sujets à dépérissement, et la loi laisse à la discrétion de l'officier supérieur de la marine de «permettre la vente tant du navire que des cargaisons, sans attendre le jugement de bonne prise » (art. 79). Si la prise n'est pas constamment ennemie, la vente provisoire ne peut avoir lieu contre la volonté du capitaine, que s'il s'agit d'objets sujets à dépérissement, et après expertise. Pour les autres objets, il faut atten

(1) Pistoye et Duverdy, op. cit., II, p. 209-10.

dre le jugement de la prise, à moins que le capitaine capturé ne consente à la vente provisoire (art. 80). S'il se présente des réclamants, l'officier d'administration pourra leur délivrer les effets réclamés, suivant estimation à dire d'experts, et sous bonne et suffisante caution (art. 81) (1).

:

367.B). L'instruction préparatoire terminée et les mesures provisoires prises, le procès de prise va véritablement commencer. Mais il est impossible de n'être pas frappé tout de suite des anomalies que présente ce procès: elles se résument dans la position exceptionnellement — il faudrait dire scandaleusement, et nous joindrons plus tard notre voix aux protestations qui s'élèvent de toute part favorable, qui est faite au capteur. Celui-ci n'a point, en effet, à prouver la légitimité de la prise : il joue le rôle commode de défendeur; c'est aux parties intéressées au sort du navire et de la cargaison qu'on impose le rôle de demandeur à elles de réclamer leur propriété contre le capteur, « de prouver leur innocence », comme on dit. Au moins pourront-elles la prouver de toutes manières ? Nullement : il est des pays où on leur refuse catégoriquement de recourir à d'autres moyens de preuve que les papiers de bord; il en est d'autres où le tribunal de prises peut leur accorder la faculté de produire d'autres preuves, sauf à accorder très-rarement cette faculté, qu'on considère comme une faveur, non comme un droit. Ainsi, les rôles renversés; la marche de la preuve intervertie; son administration arbitrairement limitée: voilà le spectacle qu'offre un procès de prise au XIX° siècle. Hâtons-nous d'ajouter qu'il en est surtout ainsi chez les vieilles puissances maritimes - ce sont les principales, - mais que la pratique la plus récente tend à faire disparaître ces rigueurs, et à rétablir les choses dans leur état normal, en réparant le mal qu'ont fait la «< politique commerciale » et les abus de la force (2). Une revue rapide de la procédure suivie chez quelques-unes des puissances maritimes les plus importantes ou les plus avancées, justifiera ces assertions et confirmera ce jugement. 368.- En France, c'est le ministre de la marine, auquel les pièces ont été envoyées après l'instruction, qui les fait (1) Pistoye et Duverdy, op. cit., II, p. 197-217.

(2) Gessner, op. cit., p. 419.

déposer au secrétariat du Conseil des Prises. Aux termes de l'art. 13 de l'arrêté du 6 germinal an VIII, confirmé par l'art. 11 du décret du 18 juillet 1854, l'instruction se fait devant le Conseil sur simples mémoires communiqués par la voie du secrétariat aux parties et à leurs défenseurs. Comme le font remarquer MM. Pistoye et Duverdy, une instruction a eu lieu dans le port où la prise a été amenée: c'est là ce qui constitue l'instruction essentielle de la prise. « Les mémoires respectivement produits contiendront les raisonnements, les moyens de défense des parties; c'est là l'instruction qui reste à faire devant le Conseil des Prises; mais l'instruction fondamentale est faite dans le port où la prise a été conduite, sauf au Conseil à ordonner telle mise en demeure ou telle instruction et information complémentaire. La demande en communication des pièces de l'instruction locale et la production des pièces et mémoires pour ou contre la validité de la prise, sont faites par les parties ou par leurs défenseurs (1). »

L'art. 13-2° de l'arrêté du 6 germinal an VIII portait que les délais pour cette instruction ne pourraient excéder trois mois pour les prises conduites dans les ports de la Méditerranée, et deux mois seulement pour les ports de France, le tout à compter du jour où les pièces auraient été remises au secrétariat du Conseil des Prises. L'arrêté de germinal, en disant que les délais de l'instruction ne pourraient excéder deux ou trois mois, supposait que ces délais pouvaient être moindres : il reconnaissait donc au Conseil le droit d'abréger les délais, en toute équité et prudence. Mais le débat devant le Conseil des Prises étant nécessairement contradictoire, il en résultait qu'au cas où les délais étaient abrégés, l'ordonnance du Conseil qui statuait qu'il serait passé outre au jugement après tel ou tel délai, devait être signifiée à la requête de la partie qui avait obtenu cette ordonnance. Lorsque les délais n'étaient point abrégés, on considérait que les parties n'avaient pas à être appelées en cause, le capteur et le capturé se trouvant en présence dès le moment même de la prise et sachant que toutes les réclamations devaient être produites à temps pour être jugées par le Conseil

(1) Pistoye et Duverdy, op. cit., II, p. 325.

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