Page images
PDF
EPUB

déprédations de leurs équipages qu'en cas de complicité (1): le contraire « serait chose qui n'est raisonnable, et que, si tolléré estait serait grandement dommageable à nous et à nostre dict roiaume, parce que ce serait oster le cueur à nosdits subjectz de nous faire service en temps de guerre. » Les ordonnances de 1543 et de 1584 furent-elles appliquées, quant à la confiscation des marchandises neutres trouvées à bord d'un vaisseau neutre avec des marchandises ennemies, et du vaisseau neutre lui-même (2)? Le témoignage, d'ailleurs peu catégorique, de Valin (3), l'interprétation qu'il prête à Cleirac et que cet auteur paraît bien adopter en effet (4), l'arrêt solennel du Parlement de Paris de 1592, dans le cas d'un vaisseau hambourgeois saisi avec une cargaison ennemie (5), voilà tout autant d'indices qui ont bien leur valeur. Mais il nous semble pourtant probable que les art. 42 et 69 des ordonnances de 1543 et de 1584 furent appliqués dans toute leur rigueur, au moins dans la plupart des cas l'édit du 19 décembre 1639 eut précisément pour but de tempérer la sévérité de ces deux ordonnances elles

(1) Pardessus, IV, p. 315, note 1, fait remarquer que cet art. 71 restreint singulièrement la portée des précautions édictées par les art. 29 et 30. (2) Il est certain que sur quelques points les ordonnances ne furent jamais appliquées par toutes les juridictions. Cleirac, op. cit., p. 467468, dit de la manière la plus formelle que, si Richelieu, pendant le siége de La Rochelle, suivit à la lettre l'art. 61 de l'ord. de 1584, d'après lequel la recousse faite par des Français sur l'ennemi, après être restée entre ses mains 24 heures, ne donnait pas lieu à restitution, <«<les Parlements de Bordeaux et de Rouen réprouvent cette prescription de 24 heures, et ont toujours jugé le contraire. »

(3) Valin, Comment. sur l'art. 7 du titre IX (livre III) de l'ordonn.de 1681. (4) Cleirac, op. cit., p. 457. Voici ses propres termes : « Marchandise des ennemis trouvée en navire d'amis, ou au contraire marchandises d'amis en navires ennemis, estant prins seront déclarez de bonne prise.» Marchandise des ennemis en navire d'ami, marchandise d'amis en navire ennemi seront de bonne prise : rien que cela, semble dire Cleirac, qui ne développe pas sa pensée,

(5) Cet arrêt est mentionné par Sir Leoline Jenkins dans ses « Reports » du 10 novembre 1668 aux lords du « Committee for Grievances » sur la question de savoir « whether unfree Goods shall infect a free Ship by the laws of France, and of the construction of several French ordinances. » William Wynne, The life of Sir L. Jenkins, Londres, 1724, II, p. 718-721. Nous n'avons pu trouver cet arrêt dans aucun recueil : il ne fait pas partie des sept ou huit arrêts sur feuilles volantes du Parlement de Paris de 1592, que possède la Bibliothèque Nationale. Un supplément de lumière sur le point de savoir dans quelle mesure les ordonnances de 1543 et de 1584 furent appliquées, ne serait pas de trop.

sont aussi visées dans le traité de 1646 avec les Pays-Bas, qui stipule la suspension, au regard des Provinces-Unies, de l'Ordonnance de 1584.

-

31. En arrivant au XVIIe siècle, nous voyons les questions du droit maritime international de la guerre se spécialiser. C'est vraiment du xvII° siècle que datent la théorie de la contrebande de guerre et celle du blocus: c'est au XVII siècle que le droit de visite est clairement réglementé par les traités; c'est enfin au XVIIe siècle que commence cette grande campagne diplomatique en faveur du principe le pavillon couvre la marchandise: l'octroi de ce principe sera en général compensé par l'abandon d'un principe beaucoup moins important au point de vue économique, celui de l'immunité des marchandises neutres sous pavillon ennemi. Le principe de la franchise du pavillon neutre était gros de l'abolition de la course, comme l'abolition de la course est grosse de l'inviolabilité de la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi (1).

[ocr errors]

32. Parmi les traités du xvII° siècle, il convient de signaler tout d'abord le traité du 29 mars 1632 entre la France et l'Angleterre. Ce traité, après avoir stipulé qu'il ne sera accordé de part ni d'autre de lettres de marque ou de représailles «< qu'après un déni manifeste ou un délai excessif de justice », porte qu'une caution de 10000 livres tournois sera exigée des corsaires anglais et français, en Angleterre et en France. On ne devra pas retenir prisonniers les marchands neutres après l'interrogatoire dans les vingtquatre heures de l'arrivée dans un port de son pays, le capteur devra les amener devant le juge d'amirauté, ou, s'il n'y en a pas, dans le port « devant les Maires ou Officiers du Roi. » Les papiers de bord seront remis à l'amiral ou à son greffier dans le même délai; le juge fera un inventaire et en donnera copie aux intéressés (2).

Le traité de 1646 entre la France et la Hollande exige, lui aussi, une caution des corsaires des deux pays. De plus ce traité, qui, d'ailleurs, règle l'exercice du droit de visite, comme le traité de 1632, contient dans son article 1 in fine

(1) Cauchy, Droit mar. int., I, p. XIX; Cf. Id., Du respect de la propr. priv., 1866, p. 50-51.

(2) Dumont, VI, 1, p. 33.

une clause aux termes de laquelle l'ordonnance de 1584 est « suspendue » au regard des sujets des Pays-Bas, et consacre le principe que le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie (1). Le traité conclu en 1655 par la France avec la Hanse, formule en termes explicites les deux principes: vaisseaux libres, marchandises libres; et, pavillon ennemi ne confisque pas marchandise amie (2).

33. Mais ce n'est pas dans les traités, qui sont tous des traités de neutralité, sauf celui de 1675 entre la Suède et les Provinces-Unies (3), et qui furent souvent foulés aux pieds, qu'il faut chercher des renseignements sur le droit de la guerre maritime : c'est dans la pratique des principales nations, et dans les faits et gestes des corsaires.

Ceux-ci nous apparaissent tout d'abord comme investis de la police des neutres, et, entre leurs mains, le droit de visite donna lieu aux plus graves abus. On connaît la négociation entamée par Henri IV avec l'Angleterre en 1599, au sujet des procédés des corsaires anglais : la reine Élisabeth accorda aux vaisseaux français l'exemption de la visite, à la condition qu'ils ne transporteraient en Espagne ni blé ni munitions de guerre : le roi de France devait sans doute tenir la main à l'exécution de cette condition. Mais cette concession fut bientôt retirée (4). Les stipulations des traités n'arrêtaient pas les corsaires, assurés qu'ils étaient de l'impunité, et même de l'approbation secrète de leurs gouvernements perquisitions dans les navires neutres, interrogatoires des équipages, parfois même leur mise à la torture, tels sont les faits précis que nous révèlent les annales du xvII° siècle (5). La guerre entre l'Angleterre et la Hollande

(1) Dumont, VI, 1, p. 342.

(2) Dumont, VI, 2, p. 103. Traité du 16 mai 1655: le préambule fait mention des instantes prières et supplications faites « de la part des citez anséatiques » par leurs députés.

(3) Nous revenons plus bas sur ce traité à propos de la guerre de 1675 entre ces deux puissances.

(4) Katchenovsky, Prize law, p. 57: il cite Robinson, Collect. marit., p. 47-50.

(5) Katchenovsky, op. cit., p. 46. Cf. Traité entre l'Angleterre et les Provinces-Unies, de 1674: Dumont, VII, 1, p. 282-284: ce traité interdit aux corsaires de « molestia afficere, detinere, coercere » les neutres. Personne, d'ailleurs, même parmi les plus zélés défenseurs de la course, ne méconnait que « les corsaires n'aient parfois maltraité les

offre le premier exemple certain de l'usage de faire convoyer les bâtiments de commerce par des vaisseaux de guerre, pour les affranchir de la visite (1).

[ocr errors]

34. Jusqu'en 1689, l'Angleterre resta fidèle au Consulat de la Mer et observa en général les traités; on ne peut guère lui reprocher que les « Orders in Council » rendus sous Charles I, en 1625 et en 1626, sur la contrebande de guerre ces « Orders in Council » déclaraient de bonne prise les vaisseaux neutres qui avaient transporté des marchandises de contrebande de guerre, et, après avoir débarqué leur chargement au port de l'ennemi, étaient rencontrés à leur voyage de retour par un croiseur ou par un corsaire; ils demeurèrent en vigueur par voie de confirmation sous la République et après la Restauration des Stuarts (2). Le célèbre juge des prises du temps de Charles II et de Jacques II, Sir Leoline Jenkins, a laissé une grande réputation d'équité et de modération, que ne démentent pas ses « Letters and Reports », qui nous sont parvenus. Mais, en 1689, l'Angleterre fut l'instigatrice de la convention de 1689, par laquelle la Grande-Bretagne et la Hollande, son alliée, interdirent à toutes les nations neutres tout commerce avec la France (3). Cette convention amena des réclamations persistantes de la part de la Suède et du Danemark ne pouvant obtenir justice, ces deux puissances contractèrent une alliance et armèrent une flotte pour la protection du commerce de leurs sujets. C'est le premier exemple de neutralité armée qu'offre l'histoire (1693) (4).

neutres. » V. notamment La course maritime, par Émile Carron, député d'ille-et-Vilaine, Paris, 1875, p. 47,

(1) Katchenovsky, op. cit., p.47, avec documents à l'appui. Le même auteur, op. cit,, p. 39, affirme qu'au XVe siècle, les villes de la Hanse firent convoyer leurs navires de commerce, et obtinrent ainsi que les belligérants respectassent la liberté du pavillon et de la cargaison neutres mais c'est là une affirmation à l'appui de laquelle il n'avance aucun document, et dont nous lui laissons la responsabilité.

(2) Wildman, Institutiones of Internat. Law, Londres, 1850, II, p. 213; Katchenovsky, op. cit., p. 35.

(3) Dumont, VII, 2, p. 238. Hautefeuille, Droits et dev. des neutres, 3o éd., 1868, II, p. 29.

(4) Dumont, VII, 2, p. 325. - Cette neutralité armée eut son théoricien : Groningius, Navigatio libera, seu de jure quod pacatis ad belligerantium commercia competit dissertatio, qua jus commerciorum arctois regnis cum Gallis ut amica gente liberum, flagrante inter hos,Anglos et

Cet essai réussit pleinement, et l'Angleterre consentit à respecter les traités qu'elle avait violés.

35.-En signant la convention de 1689, la Hollande démentait la politique libérale que lui avaient inspirée ses intérêts commerciaux, depuis la fin de la guerre qu'elle soutint contre l'Espagne dans la première moitié du xvII° siècle. Pendant cette guerre, la Hollande assujettit le commerce des neutres à des rigueurs qui rappelaient celles de 1584 et de 1586 l'Édit de 1630, qui établissait le blocus fictif des ports de Flandre, déclarait de bonne prise tout vaisseau rencontré même en pleine mer, à destination de ces ports (1).

36. La jurisprudence des tribunaux espagnols fut la même que celle des tribunaux français, en matière de prises. Le principe des ordonnances françaises de 1543, de 1584 et de 1681 fut suivi en Espagne : les marchandises ennemies à bord des vaisseaux neutres, et les vaisseaux neutres qui les portaient, étaient confisqués. La France et l'Espagne furent les deux seules grandes puissances maritimes qui adoptèrent ce principe, au témoignage de Valin (2).

[ocr errors]

37. Les différents États compris sous « l'expression. géographique » d'Italie suivaient la pratique consignée dans le Consulat de la Mer; ils avaient admis la présomption que la marchandise trouvée à bord d'un vaisseau ennemi est réputée propriété ennemie jusqu'à preuve du contraire (3).

38. Le Danemark, au xvi° siècle, ne sut pas restreindre ses droits de puissance belligérante dans ces justes limites dont il demanda vainement l'observation, comme puissance neutre, à la fin du xvII° siècle. En 1659, le Danemark étant en guerre avec la Suède, le Gouvernement Danois rendit une ordonnance qui prescrivait aux neutres la forme même

Batavos bello, ex jure gentium asseritur ac defenditur, in-12, Lipsiæ et Rostochii, 1694.

(1) Notam. Wheaton, Hist. des progr. du droit des gens, 4o éd., 1865, I, p. 183-185.

(2) Valin, Traité des prises, ch. V, § 5, no 7; Wheaton, op. cit., I, p. 156. La jurisprudence des tribunaux de prises espagnols resta telle jusque vers le commencement de la seconde moitié du XVIIIe siècle, époque à laquelle écrivait d'Abreu: d'Abreu, Traité des prises, part. I, ch. IX, p. 116-136.

(3) Casaregis, Discursus legales de commercio et mercatura, 1737, tam. Disc. 24, no 21.

no

« PreviousContinue »