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QUATRIÈME PÉRIODE

DE LA PAIX D'UTRECHT A LA PREMIÈRE NEUTRALITÉ ARMÉE

(1713-1780 INCLUSIVEMENT)

45. Les traités de navigation et de commerce entre l'Angleterre et la France, entre l'Angleterre et la Hollande, et entre la France et la Hollande, qui suivirent les traités de paix signés à Utrecht (1) consacraient le principe que le pavillon couvre la marchandise et les ennemis inoffensifs, (2) mais en y associant ce prétendu principe que le pavillon confisque la marchandise. Il en est de même de la plupart des traités conclus de 1713 à 1780 (3). Ces traités, d'ailleurs, comme ceux d'Utrecht, réglementent l'exercice du droit de visite et définissent la contrebande de guerre.

46. La Hollande, la Suède, le Danemark, la France, la Prusse, l'Espagne, admettaient le principe de l'immunité du pavillon neutre, et, dans leurs rapports respectifs, elles observèrent fidèlement ce principe: c'est ainsi que l'ordonnance française de 1744, qui était contraire aux règles admises par la France dans les traités d'Utrecht, ne fut appliquée ni au Danemark, ni à la Suède, ni àl'Espagne (4); c'est ainsi encore que l'Espagne respecta les marchandises ennemies à bord des vaisseaux hollandais et français (5) ; mais l'An

(1) Ni le traité de paix entre l'Angleterre et l'Espagne, ni le traité de commerce entre ces deux puissances, qui le suivit de près, ne parlent du sort de la propriété ennemie sous pavillon neutre, ni de celui de la propriété neutre sous pavillon ennemi.

(2) On ne remarque pas toujours assez cette clause relative au respect des ennemis sous pavillon neutre.

(3) Cependant, aux termes des traités conclus par la France, en 1716 avec les villes Hanséatiques, en 1769 avec Hambourg, et en 1779 avec le duché de Mecklembourg, le pavillon ne couvrait pas la marchandise et la confisquait.

(4) Valin, Traité des prises, 1763,I, p. 65. 73.

(5) Abreu (d') Traité des prises, éd. Paris, 1758, admet que les mar

gleterre saisissant les cargaisons espagnoles sur les navires hollandais et français, l'ordonnance du 12 mai 1741 édicta la confiscation des cargaisons anglaises à bord des mêmes vaisseaux (1).

47. Réservant ce qui a trait à la guerre de l'Indépendance américaine pour la prochaine période, mentionnons deux faits intéressants, avant de concentrer notre attention sur les deux guerres maritimes (1741-1748 et 1756-1763) de la France et de l'Angleterre. Le premier de ces deux faits est une exagération, le second est une atténuation du droit de la guerre maritime, tel qu'on le comprenait alors.

48. En 1715, le roi de Suède Charles XII rendit une ordonnance qui confisquait la marchandise ennemie sur vaisseaux neutres et la marchandise neutre sur vaisseaux ennemis; tous les ports de la Baltique au pouvoir des Russes ou adjacents au territoire russe, furent déclarés en état de blocus enfin, l'art. 22 de l'ordonnance suédoise de 1715 portait que dès qu'une partie quelconque de la cargaison serait confiscable, le reste de la cargaison et le navire luimême le seraient aussi (2). A cette conduite peu correcte, Pierre-le-Grand répondit en déclarant libre le commerce des neutres, et en édictant pour toute rigueur la confiscation des navires portant de la contrebande de guerre (Déclarations du 17 avril et du 28 juin 1719) (3).

49. Dans la guerre de 1774 avec la Turquie, la Russie ne délivra pas de lettres de marque. Sa déclaration du 17 juillet 1770 annonce qu'il ne sera pas délivré de lettres de

chandises ennemies sont saisissables sous pavillon neutre; mais, en vertu du traité de la Haye de 1650 et du traité des Pyrénées, il fait une exception pour la Hollande et pour la France (Part. 1, ch. IX, § 8, p. 122-123). De même, quand il discute la question de savoir si la présence de marchandises ennemies à bord d'un navire neutre rend ce navire confiscable, il commence par dire que la question ne se pose pas pour la France ni pour la Hollande. D'ailleurs, il résout négativement la question, contrairement à la jurisprudence espagnole, par une interprétation un peu cavalière de l'art. 9 de l'ord. de 1718, dont il restreint l'application aux sujets de Sa Majesté. » D'Abreu, op. cit., Part. I, ch. IX, § 13, p. 129.

(1) Id., ibid., § 15, p. 130 sqq.

(2) Sur ce dernier point Martens, Armateurs, ch. II, § 24, p. 83; Cf. Katchenovsky, Prize law, p. 52, note b.

(3) Katchenovsky, op. cit., p. 52, note b, avec documents à l'appui,

marque, et cette promesse fut tenue c'est la première guerre dans laquelle un tel fait se produisit, et si la Russie, comme le dit Martens « ne manqua pas de se prévaloir de sa modération auprès des puissances » (1), il faut convenir qu'il y avait bien de quoi. Sans doute, ce sacrifice ne dut pas coûter bien cher à la Russie; sans cela, peut-on penser, elle ne l'eût pas accompli; mais enfin le sacrifice fut fait, et c'est un précédent qui vaut la peine d'être signalé.

50.- Pendant la guerre de la succession d'Autriche (17411748), fut rendu le règlement du 21 octobre 1744, fait dans le but principal de mettre à part les dispositions du règlement du 23 juillet 1704 qui demeuraient en vigueur malgré les traités intervenus entre la France et d'autres puissances. Aux termes des art. 3 et 4 du règlement du 21 octobre 1744, les marchandises du crû ou de la fabrique de l'ennemi seront de bonne prise, mais les navires neutres qui les portent seront relâchés. L'art. 9 disposait que tous vaisseaux, ennemis, neutres ou alliés, « desquels il aura été constaté qu'il y aura eu des papiers jetés à la mer, seront déclarés de bonne prise avec leur cargaison, sur la seule preuve constante des papiers jetés à la mer, et sans qu'il soit besoin d'examiner quels étaient ces papiers, ni par qui ils ont été jetés, ni s'il en est resté suffisamment à bord pour justifier que le navire et son chargement appartient à des amis ou alliés. » Enfin, l'art. 10 portait que « tout navire qui sera de fabrique ennemie ou qui aura eu un propriétaire ennemi, ne pourra être censé neutre ni allié, s'il n'est trouvé à bord quelques pièces authentiques passées devant les officiers publics, qui puissent en assurer la date, qui justifient que la vente ou cession en a été faite à quelqu'un des sujets des puissances alliées ou neutres avant la déclaration de guerre, et si ledit acte translatif de propriété de l'ennemi au sujet neutre ou allié n'a été duement enregistré devant le principal officier du lieu du départ, et n'est soutenu d'un pouvoir authentique donné par le propriétaire, dans le cas où il n'aurait pas fait lui-même la dite dernière vente (2). »

(1) Martens, Armateurs. p. 46; Cf. Recueil, IV, p. 64 (1re éd.).
(2) Valin, Traité des prises, II, Pièces justificatives, p. 139-140.

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51. Dans cette même guerre, l'Angleterre, dont la prépondérance maritime avait dès lors atteint son apogée, appliqua rigoureusement le soi-disant principe que la propriété ennemie est saississable partout où on la rencontre, sous pavillon neutre aussi bien que sous pavillon ennemi : à partir de 1745 surtout, un grand nombre de navires de sujets du roi de Prusse, chargés de marchandises françaises, furent saisis par les corsaires anglais, et condamnés par les juges de prises anglais. On connaît les conséquences de cette conduite de la Grande-Bretagne, et l'incident dit de l'emprunt silésien. Il serait déplacé de reproduire ici, même sommairement, les arguments échangés entre les commissaires anglais et les commissaires prussiens (1). Nous retiendrons seulement qu'aux revendications des commissaires prussiens en faveur de l'inviolabilité du pavillon neutre, les commissaires anglais opposèrent énergiquement le prétendu droit du belligérant de capturer toute propriété ennemie, tant les marchandises innocentes que la contrebande de guerre, sur navire ami, comme sur navire ennemi: la cargaison neutre, seule, est libre. Quelques gouvernements peuvent suivre une règle plus douce; mais c'est là une exception à la règle générale, à la loi de nature, à la loi internationale, formulée dans le Consulat de la Mer, appuyée sur l'autorité des publicistes, appliquée constamment par les cours anglaises.

52. La guerre de Sept Ans est restée célèbre dans les annales de l'histoire du droit maritime international, par les violations du droit des gens commises à son occasion par la Grande-Bretagne, que sa prépotence sur mer semblait affranchir de tout scrupule. La guerre ne fut solennellement. déclarée par l'Angleterre à la France que le 18 mai 1756. Or, dès juin 1755, deux vaisseaux de 64 canons, le Lis et l'Alcide, de l'escadre de Dubois de La Motte, furent capturés par l'escadre de l'amiral Boscawen. En même temps, les corsaires anglais enlevaient au commerce français 250

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(1) Martens (baron Charles de), Causes célèbres, II,p. 1-86; Wheaton, Histoire, 1, 4 éd., p. 239-271. Tous les écrivains anglais racontent l'affaire de l'emprunt silésien: notam. Johnstone, Handbook of Maritime Rights, Londres, 1876, Ch. VII, p. 63-72; Bowles, Maritime Warfare, Londres, 1878, 2o éd,, p. 31-34.

navires. La France réclama avec énergie la restitution des navires de ses sujets indûment capturés, dans les négociations qui eurent lieu en 1761 pour metrre fin à la guerre ce fut en vain ; Pitt affirma que les hostilités pouvaient valablement commencer avant toute déclaration de guerre (1). La guerre une fois déclarée et faite à ciel ouvert, c'est jusque sur les neutres que l'Angleterre en fit retomber les conséquences, et dans des proportions jusqu'alors inouïes. Non contente d'appliquer notamment aux Hollandais le système du Consulat de la Mer, au mépris des traités de 1674 et de 1713 qui leur assuraient l'immunité de leur pavillon, elle prétendit leur imposer une restriction nouvelle, comme depuis sous le nom de Règle de 1756 (the Rule of the war of 1756). La politique commerciale du XVIII° siècle reposait sur le monopole colonial : le commerce de la mère-patrie avec les colonies était réservé aux navires nationaux. En 1756, la France ouvrit les ports de ses colonies aux vaisseaux hollandais, munis à cet effet d'une autorisation spéciale. Les juges de prises anglais décidèrent que la guerre ne saurait dûment ouvrir aux neutres un commerce qui leur était fermé en temps de paix (de là l'expression de question des commerces nouveaux); de plus, les navires hollandais qui avaient reçu un passeport de l'ennemi étaient dénationalisés, « ennemis par adoption. » L'introduction de la Règle de 1756, règle qui était tout à fait nouvelle, valut de riches dépouilles opimes aux corsaires anglais.

53. Malgré ces rigueurs à l'égard du commerce neutre qui multipliaient les prises, malgré les captures opérées avant la déclaration de guerre, les prises respectivement faites par les corsaires de France et d'Angleterre pendant le cours de la guerre de Sept Ans, se compensèrent à peu de chose près. « A voir se balancer le plus souvent par des chiffres presque égaux, dit Cauchy, les résultats de ces captures réciproques, dans les mers de l'Inde comme dans celles de l'Europe, on n'aurait eu certainement qu'un indice bien trompeur pour augurer de l'issue définitive de cette

(1) De Flassan, Hist. génér. et raisonn. de la diplomat. française, 2o éd., VI, p. 33; Ortolan, Règles internat. ou Diplomatie de la Mer, 1864, II, p. 19-21; Hautefeuille, Propriétés privées des sujets belligérants sur mer, 1860, p. 25.

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