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remorqueurs à vapeur peuvent être employés avec grand succès, lorsqu'il s'agit de courtes traversées. » Si par suite des circonstances, une nécessité de ce genre n'existait pas, il est du devoir d'une puissance maritime de s'abstenir d'exercer le droit de prise; elle doit même, lorsque les circonstances le permettent, conclure avec l'autre belligérant des conventions spéciales pour en limiter l'exercice ou pour s'en abstenir. On ne peut déterminer à l'avance les cas où elle n'existera pas : il faut s'en rapporter à la conscience du gouvernement belligérant. « Cependant, ajoute M. Westlake, comme il est désirable de se faire, autant que possible, une idée nette du point jusqu'où cette nécessité militaire peut exister et justifier le droit de prise, il est bon de remarquer que, si le blocus des ports de commerce était interdit, comme je le voudrais, il y aurait, d'après moi, peu de cas d'une nécessité semblable en dehors de ceux où existerait un danger sérieux d'invasion (1). »

506. — En présence de ces déclarations concordantes et convaincues, M. Rolin-Jaequemyns, tout en croyant que, en fait, la faculté de saisir la propriété privée constituait un danger aussi bien qu'une protection pour les grandes puissances, déclara à son tour que chaque puissance était juge de son intérêt, et que l'Institut devait tenir compte de l'opinion dominante en Angleterre. En conséquence, il proposa un amendement conçu en ce sens.

Au cours de la discussion qui s'engagea sur cet amendement et à laquelle prirent part MM. Marquardsen, Neumann, Dudley Field, Pierantoni, de Parieu, Alb. Rolin, M. le Président Bluntschli se prononça en principe pour les conclusions du rapport de M. de Laveleye. Il voudrait cependant, dit-il, que l'on trouvât moyen de donner aux belligérants le droit de saisir, en cas de nécessité, les vaisseaux de commerce de leur adversaire, sans les cargaisons. Il ne faut pas que l'humanité fasse perdre de vue les droits des belligérants. M. Bluntschli proposa en conséquence de charger la cinquième commission de l'examen de la question suivante: « Quelles seraient, eu égard aux nécessités de la guerre maritime, les restrictions à apporter au principe de l'inviolabilité de la propriété privée ennemie, en concordance (1) Ann. de l'Inst., 1877, p. 115-16; R. D. I., 1877, p. 677-681.

avec ce qui s'est fait, sous ce rapport, dans la guerre terrestre, pour les chemins de fer et autres moyens de transport militaire (1). »

507. En fin de compte, M. Rolin-Jaequemyns retira son amendement, et l'assemblée adopta à une grande majorité les conclusions de la commission et une proposition de M. Alb. Rolin. Voici les trois résolutions votées à la Haye :

« I. Le principe de l'inviolabilité de la propriété privée ennemie naviguant sous pavillon neutre doit être considéré dès à présent comme entré dans le domaine du droit des gens positif.

II. Il est à désirer que le principe de l'inviolabilité de la propriété privée ennemie naviguant sous pavillon ennemi soit universellement accepté dans les termes suivants, empruntés aux déclarations de la Prusse, de l'Autriche et de l'Italie en 1866, et sous la réserve ci-après, sub III: Les navires marchands et leurs cargaisons ne pourront être capturés que s'ils portent de la contrebande de guerre, ou s'ils essaient de violer un blocus effectif et déclaré.

III. Il est entendu que, conformément aux principes généraux qui doivent régler la guerre sur mer aussi bien que la guerre sur terre, la disposition précédente n'est pas applicable aux navires marchands qui, directement ou indirectement, prennent part ou sont destinés à prendre part aux hostilités (2). »

L'Institut déféra à la cinquième commission, et à son

(1) Il est à noter que dans le Questionnaire adressé aux membres de la cinquième commission figuraient les questions suivantes auxquelles nous ne voyons pas que la commission se soit préoccupée de répondre: Si la propriété ennemie sous pavillon ennemi ne pouvait pas être confisquée, pourrait-elle être sujette à un droit de réquisition dans le cas où, sans consister en objets réputés contrebande de guerre, elle serait sujette à réquisition d'après les principes de la guerre terrestre? Le principe du respect de la propriété privée ennemie devrait-il s'étendre: a) à la propriété privée ennemic trouvéc à bord d'un vaisseau de guerre ennemi; b) tout au moins à la propriété privée ennemic sc trouvant à bord d'un vaisseau ennemi et consistant en objets soumis au droit de réquisition d'après les principes de la guerre terrestre; ou bien c) à la propriété privée ennemie appartenant à un individu qui a pris part au combat? Le vaisseau de commerce ennemi devrait-il être lui-même sujet a) à confiscation, ou tout au moins b) à réquisition. R. D. I., 1875, p. 553-54.

(2) Pour la discussion, Ann. de l'Inst. 1877, p. 115-19; pour le texte des résolutions adoptées, ibid., p. 138-39; Cf. R. D. I., 1875, p. 288,

rapporteur, M. de Laveleye, dont le mandat fut continué, l'examen de la question formulée par M. Bluntschli (1). Sur la proposition de M. Westlake, il fut institué une nouvelle commission, chargée d'étudier un projet d'organisation d'un tribunal international des prises maritimes. Les membres de cette commission étaient MM. Asser, M. Bernard, Bulmerincq, Esperson, D. Field, Massé, Marquardsen, et Westlake, rapporteur (2).

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508. A la session de Zurich, tenue en 1877 il n'y eut pas, comme on le sait, de session en 1876, M. Bulmerincq présenta à l'Institut, en l'empêchement de M. de Laveleyc, un rapport sur le traitement de la propriété privée dans les guerres maritimes, comme rapporteur de la cinquième commission d'étude, devenue la deuxième. M. Bulmerincq, se fondant sur les conclusions adoptées à La Haye, et eu égard à la tâche qui incombait à la commission d'examiner les restrictions qu'il conviendrait d'apporter au principe du respect de la propriété privée ennemie, soumit à l'Institut, dans son rapport en date du 10 septembre 1877, cinq conclusions dont les deux premières étaient ainsi conçues : 1. La propriété privée neutre ou ennemie naviguant sous pavillon ennemi ou sous pavillon neutre, est inviolable. 2. Sont toutefois sujets à saisie : les objets destinés à la guerre et les navires qui ont pris part ou sont destinés à prendre part, ou sont en état de prendre immédiatement part aux hostilités, ou qui ont rompu un blocus effectif et déclaré. « Ces deux conclusions, dit M. Bulmerincq, sont fondées en partie sur les conclusions déjà adoptées et en partie sur le mandat spécial déféré à la commission par l'Institut. J'ai donné seulement aux conclusions de La Haye une rédaction plus brève et une forme différente, et j'ai cherché d'abord à remplir indirectement et d'une manière générale la recommandation de l'Institut, en ajoutant les termes sont toutefois sujets à saisie, les objets destinés à la guerre. En effet, de même qu'il suffit de donner de la contrebande une définition générale, qui s'adapte à des énumérations indéfiniment variables d'après les circonstances, de même il ne semble pas convenable de désigner d'une manière spéciale

(1) Ann., 1877, p. 119; Cf. R. D. I., 1875, p. 288.

(2) Ann., 1877, p. 121; p. 9.

les limites à établir dans la guerre maritime pour l'application du principe de l'inviolabilité de la propriété privée ennemie, conformément à ce qui a été proposé pour la guerre sur terre, relativement aux chemins de fer et autres moyens de transports militaires. On pourrait,à la vérité, essayer d'appliquer, par analogie, à la guerre maritime, l'art. 6 du « Projet d'une déclaration internationale concernant les lois et coutumes de la guerre » arrêté par la Conférence de Bruxelles de 1874, et indiquant les objets qui peuvent être saisis par une armée occupant le territoire. Mais une énumération complète et définitive des moyens de transports militaires serait aussi impossible qu'une énumération complète et définitive des articles de contrebande de guerre. » M. Bulmerincq ajoutait à ces deux conclusions trois propositions dont l'une était relative au blocus, dont la deuxième constatait et rappelait l'abolition de la course, dont la dernière enfin réglait le droit de visite (1).

509. L'ensemble de ces conclusions modifiait et complétait la Déclaration du 16 avril 1856, et constituait une théorie sur le traitement de la propriété privée, tant ennemie que neutre, dans les guerres maritimes. Elles furent discutées dans la seconde séance du 11 septembre 1877. La plupart des membres présents prirent part à la discussion générale qui s'engagea sur les conclusions de M. Bulmerincq.

M. Mountague Bernard désapprouve, en principe, la réunion dans les mêmes dispositions des règles qui concernent la propriété ennemie et de celles qui ont trait à la propriété neutre; il estime qu'il faut commencer par trancher le sort de la propriété neutre, et voir ensuite jusqu'à quel point les solutions adoptées sont applicables à la propriété de l'ennemi (2). M. Bulmerincq répond qu'il estime au contraire que la distinction entre neutres et ennemis cesse, lorsqu'il s'agit de propriété privée ; il n'a voulu d'ailleurs que rédiger brièvement et juridiquement ce que l'Institut a décidé dans la session de La Haye, en vue d'arriver à un résultat positif et pratique; l'œuvre du Congrès de Paris doit être continuée et complétée. Telle est aussi la manière de voir de M. Neu

(1) Ann. de l'Inst., 1878, p. 105-06.; pour l'ensemble du rapport du 10 sept. 1877, p. 103-10.

(2) Ann., 1878, p. 110-11.

BLIOTHE

mann, qui constate les progrès de l'opinion publique en cette matière, progrès tels que l'abolition de la course paraît aujourd'hui n'avoir été qu'une demi-mesure, et que le respect de la propriété privée n'est pas seulement un desideratum, mais un véritable postulatum. MM. Bluntschli, Gessner, Brusa se prononcent dans le même sens. On décide que les conclusions de l'Institut seront, sauf rédaction, introduites comme suit. « L'Institut constatant les progrès faits par la conscience publique, progrès attestés par des faits nombreux et notoires, propose les règles suivantes comme réformes nécessaires du droit des gens. » M. Bernard, au moment du vote sur l'art. 1, déclare qu'il ne peut approuver les conclusions proposées, vu qu'elles confondent la propriété neutre et la propriété ennemie (1).

L'art. 1 adopté, l'Institut aborda la discussion de l'art. 2. Après un débat approfondi, le texte suivant fut voté : << Sont toutefois sujets à saisie : les objets destinés à la guerre ou susceptibles d'y être employés immédiatement. Les gouvernements belligérants auront, à l'occasion de chaque guerre, à déterminer d'avance les objets qu'ils tiendront pour tels. Sont également sujets à saisie les navires marchands qui ont pris part ou sont en état de prendre immédiatement part aux hostilités, ou qui ont rompu un blocus effectif et déclaré. »>

Les art. 2, 4, 5 furent adoptés, tels qu'ils avaient été rédigés par M. Bulmerincq.

L'art. 3, relatif au blocus, donna lieu à une discussion. sur la nature même du blocus. Divers avis furent émis, tendant à assimiler au blocus par navires, le cas où c'est par des batteries côtières ou par d'autres moyens, tels que torpilles, etc..., qu'un port est rendu inaccessible. Cependant l'Institut tombe d'accord que le blocus est une situation exceptionnelle, qui doit être interprétée strictement.

510. Les résolutions votées par l'Institut dans la session de Zurich sont donc les suivantes : «I. La propriété privée neutre ou ennemie naviguant sous pavillon ennemi ou

(1) Ann., 1878, p. 111. En dehors des déclarations consignées au procès-verbal, M. M. Bernard déposa sur le bureau de l'Institut, le lendemain du vote, une déclaration écrite par laquelle il expliquait son dissentiment. V. le texte de cette déclaration, Ann., 1878, p. 93, note 2.

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