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de la piraterie; des tribunaux de prises sont constitués. Il y a là au moins le germe de notables progrès.

Dans la troisième période, qui se termine avec le xviii siècle, malgré le magnifique essor que prend la civilisation, les guerres maritimes ont un caractère commercial qui les envenime; non-seulement la propriété privée ennemie est poursuivie jusque sous le pavillon neutre, mais encore, dans l'ardeur de la lutte, les belligérants confisquent le navire neutre à bord duquel se trouvent des marchandises ennemies. C'est l'époque classique des exploits des corsaires. Les traités d'Utrecht, qui inaugurent la quatrième période, que nous arrêtons en 1780, avaient sanctionné quelques grands principes, dont l'adoption constituait une véritable civilisation de la guerre maritime. Mais les tribunaux de prises, les lois intérieures, détruisent l'œuvre de la diplomatie, et le droit de la guerre empiète singulièrement sur le domaine de la neutralité : pour atteindre plus sûrement l'ennemi, on frappe sans merci les neutres.

C'est pour couper court à ces excès qu'intervient la neutralité armée, au début de notre cinquième période, qui va jusqu'en 1856. La Déclaration russe de 1780 et la première neutralité armée, qui la suivit de près, n'avaient directement en vue que la sauvegarde du commerce neutre. Mais l'élan qu'elles imprimèrent au développement du droit maritime international de la guerre fut si vigoureux que, dans la pléiade des traités conclus pendant les dix années qui suivent les événements mémorables de 1780, il en est un qui proclame l'abolition de la course et l'inviolabilité de la propriété privée ennemie sur mer (1): désormais c'est au sein même des assemblées parlementaires des grands pays maritimes que s'agite la double question de l'abolition de la course et de l'inviolabilité de la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi. Mais surviennent les guerres de la Révolution et de l'Empire français à cette époque les guerres maritimes sont conduites avec un acharnement jusqu'alors inouï; on sait l'abus que l'Angleterre fit du blocus sur le papier et

(1) Nous nous réservons d'apprécier en temps et lieu l'autorité du traité de 1785 entre les États-Unis d'Amérique et la Prusse : il est bien évident que cette autorité n'est pas celle qu'aurait un traité intervenu entre deux puissances maritimes,

comment Napoléon Ier y répondit. Pendant la longue paix qui succède à cette terrible tourmente, de nombreux traités sont conclus, des négociations sont ouvertes qui ont pour objet de réformer dans son principe même le droit maritime international de la guerre, un mouvement scientifique très-intense se développe : c'est surtout le problème de la neutralité qui est creusé, mais ce mouvement embrasse aussi la question de la course et celle du traitement de la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi.

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Il s'accentue encore dans notre sixième période (1854-56 -1881), alors qu'à la suite d'une alliance entre deux grandes nations maritimes, un accord général et presque unanime est intervenu sur quelques points essentiels. Depuis la Déclaration du 16 avril 1856, qui restera mémorable malgré ses lacunes et qui a été jusqu'ici scrupuleusement observée par ses signataires, même dans sa partie la plus neuve et la plus importante à notre point de vue nous voulons parler de l'abolition de la course, les efforts du monde civilisé tendent à compléter l'œuvre du Congrès de Paris dans le sens de la justice et de l'humanité; des tempéraments ont été apportés à ce qu'on avait considéré jusqu'ici comme l'exercice légitime du droit de prise; on a même vu des belligérants restreindre de leur plein gré ce droit au cas de contrebande de guerre et de blocus, mettant ainsi sur le même pied la propriété privée neutre et la propriété privée ennemie; les dernières résistances qui s'attardent encore, sont battues en brèche de tous les côtés ; des essais, prématurés peut-être, de codification du droit international sont tentés, des congrès scientifiques, tenus; la décision de graves différends est confiée à des arbitres; un Institut de droit international est créé, et fonctionne régulièrement: on a déjà de lui des travaux fort considérables; les œuvres des publicistes se multiplient. Si grandes que soient les difficultés, et si puissantes que soient les passions avec lesquelles il faut compter et qui rencontrent des organes autorisés, que ne peut-on attendre de l'activité dévorante et de l'élan de la pensée contemporaine?

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PREMIÈRE PÉRIODE

DES TEMPS LES PLUS RECULÉS A 476 APRÈS J.-C.

3. Laissant absolument de côté les Assyriens, les Mèdes et les Perses (1), et aussi les Hébreux et les Égyptiens, non moins que l'Inde (2), la pensée aimerait à s'arrê

(1) Dans les guerres médiques, il n'est pas douteux que les flottes perses n'aient mis au pillage les navires marchands grecs qui tombaient à leur portée.

(2) Les guerres de l'ancien Orient sont des guerres d'extermination. Les livres historiques des Juifs nous donnent le spectacle de guerres qui ont pour but la destruction de l'ennemi: tout être vivant était frappé de mort; les propriétaires du sol, exterminés; le sol lui-même devenait la proie des vainqueurs et était réparti entre eux. Et la pratique juive n'était pas plus cruelle que celle des autres peuples orientaux contemporains, les Égyptiens, les Assyriens, les Phéniciens. Pourtant, semblables à des éclairs fugitifs dans une nuit obscure, on voit se manifester chez les Hébreux des idées empreintes d'une véritable grandeur: témoin cette belle déclaration, que rappelle M. Bluntschli, du patriarche Abraham refusant de rien prendre, « pas même une courroie de sandale », du butin 'qu'il avait fait sur le roi de Sodome (ce butin était une reprise) « afin que », dit le patriarche, « le roi ne puisse pas dire : j'ai enrichi Abraham » (Genèse, XIV, 22 sqq.). — Parmi les peuples orientaux de l'antiquité, les Aryens de l'Inde paraissent faire une honorable exception : « Que le guerrier, dit la loi de Manou, (trad. Loiseleur-Deslongchamps, Paris, 1833, VII, 91. 92), ne frappe ni l'ennemi qui joint les mains pour demander merci, ni celui qui dit : je suis ton prisonnier, ni un homme endormi, ni celui qui est désarmé et sans défense, ni celui qui regarde le combat sans y prendre part, ni celui qui est aux prises avec un autre. » La même loi n'autorise pas la destruction des plantations. « Les autres nations, dit Mégasthènes, quand elles font la guerre, détruisent les champs, tandis que les Indiens regardent les agriculteurs comme leurs bienfaiteurs communs: ils n'incendient jamais les champs et n'y coupent point les arbres. Les laboureurs, réputés sacrés et inviolables, ne courent aucun danger, même dans le voisinage des armées rangées en bataille. » « A côté des soldats qui se battent, ajoute Arrien, les agriculteurs cultivent tranquillement leurs terres, ou récoltent les fruits, ou font la moisson. » (Laurent, Études sur l'hist. de l'humanité, 2o éd., Bruxelles, 1861, I, p. 132 sqq.). Sans doute, ces règles chevaleresques et humanitaires ne s'appliquent qu'aux luttes entre les races indiennes, liées entre elles

ter un instant, avant d'en venir à l'antiquité classique, c'està-dire à l'antiquité hellénique et à l'antiquité romaine, sur les Phéniciens, les Carthaginois et les Étrusques, dont la puissance maritime et la prospérité commerciale ont été si grandes. Des Phéniciens, nous ne savons rien, en ce qui touche notre sujet. Quant aux Étrusques, de la fondation au II siècle de Rome, ils furent, avec les Grecs, le peuple commercial le plus important de l'Italie; leur puissance politique, leur activité industrielle, leur esprit d'entreprise, leur situation géographique, firent de leurs ports les entrepôts des produits du Nord et du Sud de l'orbis terrarum alors connu, produits que le commerçant étrusque chargeait pour l'étranger, et qui attiraient en Étrurie le commerçant de Carthage et de la Grande-Grèce. Comment concilier avec cet état florissant du commerce étrusque les allégations de piraterie émanées des auteurs latins, notamment de Cicéron (1)? Il paraît prudent de tenir ces allégations pour quelque peu suspectes, car, comme le fait remarquer M. Voigt (2), l'histoire atteste qu'il n'y a pas de pire ennemi du commerce que la piraterie: le fait est qu'on ne connaît pas de peuple à la fois pirate et commerçant, chez lequel la piraterie et le commerce aient fleuri côte à côte. Aussi eston étonné de rencontrer cette assertion sous la plume de M. Mommsen: « Sous la protection de leur piraterie, comme d'un grossier acte de navigation, dit l'éminent historien, le propre commerce des Étrusques put prospérer (3).

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par l'origine et la communauté de religion; sans doute, ces règles furent souvent violées, à en juger par les poëmes héroïques, dans lesquels la férocité des Hindous éclate par moments avec violence; sans doute aussi, les lois de Manou respirent un machiavélisme profond (Laurent, op. cit., I, p. 124-150), qui jure avec ces traits d'humanité et d'esprit chevaleresque. Il n'en est pas moins vrai que, comme le dit M. Bluntschli, des idées se sont présentées à la pensée et au cœur des brahmanes, qu'il a fallu des siècles pour faire pénétrer chez d'autres peuples civilisés. Bluntschli, Das Beuterecht im Krieg und das Seebeurecht insbesondere, Nordlingen, 1878, p. 12-14; Cf. trad. libre par M. Rolin-Jaequemyns, R. D. I, 1877, p. 514-515.

(1) Par ex., Cic., de rep., II, 4: « E barbaris quidem ipsis nulli erant an!ea maritimi, præter Etruscos et Pœnos; alteri mercandi causa, latrocinandi alteri. »

(2) Das jus naturale, bon. et æq. und jus gentium der Romer, 18581875, II, p. 603-604, note 748-749.

(3) Mommsen, Rom. Gesch., ire éd., 1, p.132.

vérité est qu'ils ne furent pas des pirates, mais que leur commerce maritime déclina et périclita lorsque leur puissance maritime fut affaiblie et anéantie : déjà, vers l'année 278 de Rome, dans la guerre entre Cumes et Hiéron de Syracuse, la flotte étrusque subit une défaite qui laissa les villes maritimes de l'Étrurie exposées sans défense au pillage de l'ennemi; à partir de ce moment commence la décadence commerciale des Étrusques, qui est consommée à la fin du v° siècle de Rome (1). On voit par là que les guerres maritimes qu'eut à soutenir l'Étrurie furent fatales à son commerce, et que, dès cette époque reculée, les rivalités commerciales engendraient des guerres, d'où le commerce, naguère florissant, de l'un des deux adversaires, sortait mortellement atteint : ce n'est que pour le constater que nous avons parlé de l'Étrurie. Pour ce qui est des Carthaginois, nous en parlerons à propos de leurs guerres avec les Romains.

4.

Quelque étroites que fussent les bornes du monde connu des Grecs et des Romains, les rapports internationaux dont la mer est l'occasion n'avaient pas laissé de se développer (2). Le zèle de Barbeyrac a réuni environ cinq cents traités antérieurs à l'ère chrétienne. De nos jours, des documents gravés sur le marbre et sur le bronze ont été découverts, dont l'épigraphie a su tirer un merveilleux parti depuis une convention entre deux villes de Locride, Eanthéa et Chaléion, destinée à régler le brigandage, jusqu'à des traités qui contiennent la clause compromissoire (3). Malheureusement, aucun de ces documents ne nous apporte de lumière sur le traitement de la propriété privée ennemie, ni d'une manière générale sur la police de la guerre maritime. En ce qui touche l'antiquité hellénique, nous savons seulement que la piraterie y était fort en honneur on se rappelle l'antique question adressée, à l'époque d'Homère, à l'inconnu dont le navire aborde sur le rivage étranger : êtes-vous pirate? Elle atteste que la piraterie était un métier et que ce métier n'avait rien que de très-hono

(1) Voigt, op. cit., 11, p. 604-606.

(2) Cauchy, Droit mar. intern., I, p. 116.

(3) Egger, Études hist. sur les traités publics chez les Grecs et chez les Rom., nouv. éd., 1866, p. 34-36; 66-67; 68; 69-79.

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