Page images
PDF
EPUB

sont encore en vigueur : les articles de contrebande de guerre seront seuls confisqués, à moins qu'ils ne s'élèvent aux trois quarts de la cargaison du navire qui les porte. L'art. 6 du même règlement, reproduisant le règlement de 1744 sur ce point, pour couper court aux naturalisations frauduleuses, ne considère pas comme sujets neutres les sujets ennemis qui n'ont pas été naturalisés neutres trois mois au moins avant la déclaration de guerre, ou n'ont pas transféré leur domicile dans un pays neutre avant ce délai de trois mois ; il décide que, si les individus naturalisés neutres dans un des cas où la validité de leur naturalisation est reconnue par le règlement, retournent dans le pays. ennemi pour y continuer le commerce, ils seront traités comme ennemis, malgré les passeports neutres dont ils pourront être munis (1). L'art. 7 relatif aux navires ennemis devenus neutres par suite de ventes à des sujets neutres, est la reproduction textuelle de l'art. 10 du règlement du 21 octobre 1744: cet article 7 du règlement du 26 juillet 1778, dont l'origine est ainsi fort reculée, étant actuellement en vigueur, nous aurons occasion d'en critiquer ailleurs la rigueur excessive et injuste. Aux termes de l'art. 14, les navires échoués sur les côtes de France seront jugés comme s'ils avaient été pris (2).

Si imparfait que fût encore ce règlement, il réalisait un grand progrès et constituait un adoucissement notable de la pratique française. Aussi, en 1780, le gouvernement français put-il répondre non sans quelque fierté au gouvernement russe, qu'il avait ouvert la voie dans laquelle la Russie s'engageait et que la France combattait pour la liberté des

mers.

59. La neutralité armée eut un double effet presque immédiat elle fit entrer ou confirma dans une politique modérée et équitable à l'égard des neutres les quatre puissances belligérantes qui y accédèrent, la France, l'Espagne, la Hollande et les États-Unis d'Amérique ; et c'est là son second effet, si l'Angleterre n'eut garde d'adhérer aux principes consacrés par la Déclaration russe et par les traités

(3) Pistoye et Duverdy, op. cit, I, p. 503-505 : nous reviendrons sur cet art. 6, actuellement en vigueur.

(2) Id., ibid., II, p. 89 sqq.

intervenus entre les puissances de la Baltique, la neutralité armée ne laissa pas de produire quelque impression sur elle: en 1781 et en 1782 des instructions secrètes furent adressées aux corsaires anglais, pour tempérer leur zèle (1). A la paix de Versailles, l'Angleterre, l'Espagne et la France renouvelèrent les traités d'Utrecht.

60. Pendant les cinq années qu'a duré la guerre de l'Indépendance américaine (1778-1783), quelle a été l'influence de la course sur les péripéties de la lutte? Elle nous apparaît comme bien minime, à en juger par les chiffres que donne Cauchy. D'après cet auteur, qui a pu consulter, au ministère de la marine, l'état exact des prises faites, soit par les bâtiments de l'État, soit par les corsaires, pendant ces cinq années, le nombre des vaisseaux capturés par des corsaires sortis des ports français n'a pas dépassé 566 navires, dont le produit brut a été de 28.259.525 livres : le port de Dunkerque figure seul dans ce résultat pour 278 captures, représentant 14.839.580 livres. Les captures faites par les bâtiments de la marine royale n'ont atteint en valeur que le chiffre de 14 millions. « Quelle influence, conclut Cauchy, pouvait avoir sur la richesse commerciale de l'Angleterre un dommage réduit à des proportions si peu importantes (2) ? » 61. - De la pléiade de traités conclus après la première neutralité armée, le seul qui doive être ici mentionné est celui du 10 septembre 1785 entre la Prusse et les États-Unis. L'article 23 de ce traité contenait la clause suivante : « S'il survient une guerre entre les parties contractantes, tous les vaisseaux marchands et commerçants employés à l'échange

(1) Katchenovsky, op. cit., p. 64.

(2) Cauchy, Du resp. de la propr. priv., p. 39-40. Cf. de Laveleye, Du resp. de la propr. priv. en temps de guerre, Rapport présenté à l'Institut de Droit Int. (Août 1875), Brux., 1873, p. 32, note 1. — Dans la guerre de l'Indépendance américaine, la France, revenant à sa politique traditionnelle et à ses lois les plus anciennes (édits de 1543 et de 1584), dont elle s'était écartée en 1681, à titre de représailles contre l'Angleterre, respecta les bateaux ennemis employés à la pêche côtière: Lettre de Louis XVI à l'amiral commandant la flotte française, en date du 3 juin 1779.V. notam. Gessner, Droit des neutres sur mer, 2o éd., p. 13-14. Azuni, Droit marit. de l'Europe, Paris, 1803, 1, p. 182, rappelle que dans cette même guerre l'Angleterre n'imita point la conduite de la France. Nous reviendrons sur ce point en exposant la pratique actuelle (II Part., ch. I, 1.)

de productions de différents endroits, et par conséquent destinées à faciliter et à répandre les objets propres aux nécessités, aux commodités et aux douceurs de la vie, passeront librement et sans être molestés, et les deux puissances contractantes s'engagent à n'accorder aucune commission à des vaisseaux armés en course, qui les autorisât à prendre ou à détruire ces sortes de vaisseaux marchands ou à en interrompre le commerce (1). » Cette clause porte abolition de la course et de la capture des bâtiments marchands par les navires de guerre de l'État; mais elle ne consacre l'inviolabilité de la propriété privée ennemie, qu'autant que cette propriété est engagée dans un commerce purement pacifique.

Le traité de 1785 formulait le même principe, pour la guerre continentale pour celle-ci, comme pour la guerre maritime, il était l'expression des convictions bien arrêtées du grand philanthrope et de l'homme d'État moins utopiste qu'on ne l'a dit parfois, qui négocia ce traité avec la Prusse : Franklin était un adversaire résolu de la course et de la capture, et déclarait que les États-Unis voulaient faire insérer dans leurs traités l'abolition de cette double institution, « quoique mieux placés que tant d'autres pays pour tirer profit de la piraterie (2). » Dans les traités de 1778 avec la France et de 1783 avec la Suède, dont Franklin fut le négociateur, on ne rencontre pas de stipulation semblable à celle du traité de 1785, ni dans le traité que négocia John Adam en 1782 avec les Provinces-Unies des Pays-Bas. Il est permis de supposer que si Frédéric II consentit à signer une clause portant que la propriété privée ennemie serait respectée sur terre et sur mer, c'est qu'il sentait l'impossibilité d'une guerre maritime et surtout d'une guerre terrestre entre la Prusse et les États-Unis d'Amérique (3): cette

(1) Notam. Ortolan, op. cit., II, p. 66.

(2) Wheaton, Hist. des progr. du droit des gens, 4o éd., I, p. 372-373. (3) On sait la conduite de Frédéric le Grand dans la guerre continentale. En voici un spécimen : << Se réservant d'organiser plus tard ses possessions polonaises avec autant d'art qu'il en avait apporté à l'assimilation de la Silésie, il traitait alors en pays conquis, taillable et corvéable à merci, les territoires enserrés dans son cordon. Il y formait des magasins, s'y ravitaillait en vivres et en fourrages, remontait sa cavalerie, faisait vivre ses troupes sur le pays et payait

impossibilité, signalée par tous les publicistes (1), n'échappa certainement pas à l'esprit clairvoyant du roi de Prusse, et elle affaiblit singulièrement l'autorité de ce traité; il ne fut pas, d'ailleurs, renouvelé, quant à la clause qui a trait à l'inviolabilité de la propriété privée sur mer, dans les traités de 1799 et de 1829. Malgré son existence éphémère et le peu d'autorité de la déclaration de principes qu'il contient, l'acte de 1785 n'en est pas moins un précédent notable.

62. Plus notable encore, bien qu'elle n'ait pas eu plus de portée pratique, est la discussion qui eut lieu en France en 1792, au sein de l'Assemblée Législative, sur la double question de l'abolition de la course et de l'abolition de la capture c'est la première fois qu'une assemblée politique était saisie de cette double question.

Le 29 mai 1792, M. Kersaint, député de Paris, lut, au nom des comités diplomatique, de marine et de commerce, un projet de décret sur la suppression des corsaires et l'abolition du droit de prise exercé même par les navires de l'État. Ce projet était ainsi conçu : « L'Assemblée nationale, considérant que la guerre étant l'acte le plus éminent de la souveraineté des peuples, ne peut se faire légalement que par les nations elles-mêmes et non par les particuliers et pour leur compte; qu'il est de l'intérêt de toutes les nations policées de l'Europe de proscrire et d'abjurer l'usage de

tout ce qu'il prenait avec une fausse monnaie qu'il refusait ensuite de recevoir dans ses caisses. Le roi philosophe reproduisait dans la Pologne du Nord les procédés que naguère le tartare Krim-Guéray, qui se piquait aussi de philosophie, appliquait à la Pologne du sud. Le kan des Tartares abandonnait les esclaves mâles et enlevait les femmes, afin de les convertir, d'en peupler les harems de Crimée, et d'en faire souche de musulmans. « Le roi de Prusse, écrivait le résident de Saxe le 18 mars 1771, a fait emporter de la Pologne presque sept mille filles de seize à vingt ans, et il exige que de chaque certain nombre d'arpents, il lui soit livré unc pucelle ou fille avec une vache, un lit et trois ducats en argent. » Le lit devait être de plume, avec quatre oreillers; deux porcs complétaient la dot, et ces Polonaises, avec leur bagage, étaient transportées et mariées dans la Pomeranie prussienne, où, paraît-il, l'accroissement de la population laissait à désirer. « Cette rigueur, concluait le diplomate saxon, a poussé les habitants au désespoir. » Alb. Sorel, La Question d'Orient, Paris, 1878, p. 227-228.

(1) Dès 1795, Martens a fait remarquer qu'une guerre entre la Prusse et les États-Unis est peu probable. Cette observation, d'une justesse incontestable, est renouvelée par tous les publicistes. V. notam. Hautefeuille, Propriétés privées des sujets bellig., p. 10-12.

faire la guerre par la voie des corsaires ou armateurs particuliers, parce que cet usage entraîne nécessairement après lui la violation des propriétés et du droit des gens, et que n'étant et ne pouvant être par sa nature, soumis à d'autres règles qu'à celles que lui donne la plus aveugle des passions, l'avidité, il est fréquemment accompagné d'actes d'inhumanité; considérant que la course menace également les nations belligérantes et les nations en paix; que, loin d'accélérer la marche de la guerre vers son terme, elle aigrit au contraire les peuples dont elle ruine les particuliers; qu'entretenant l'esprit d'injustice et le penchant au dol et à la fraude, elle s'oppose au développement des principes propres à l'amélioration de l'espèce humaine; considérant que, s'il importe aux puissances maritimes de se garantir mutuellement des suites des entreprises que l'intérêt particulier pourrait vouloir tenter sous le pavillon des nations en guerre, entreprises dont les conséquences pourraient amener une guerre générale, il importe également à l'honneur du peuple français de commencer, par son exemple, une réforme et une répression qui n'est pour lui qu'une conséquence des droits de l'homme et de la Constitution, pour la défense desquels il a pris les armes ;

L'Assemblée nationale, reconnaissant qu'il est de son devoir de prévenir et d'affaiblir les malheurs inséparables de la guerre par tous les moyens qui sont en son pouvoir, déclare qu'il y a urgence.

Après avoir décrété l'urgence, l'Assemblée nationale décrète :

Art. 1. Il ne sera délivré aucune commission pour armer

en course.

Art. 2. Les armateurs des vaisseaux de commerce, armés pour leur légitime défense, ne pourront s'emparer d'aucun bâtiment de commerce de l'ennemi, à moins qu'ils n'y soient contraints par la provocation.

Art. 3. Il est défendu aux vaisseaux de guerre de l'État de prendre aucun bâtiment particulier de commerce appartenant à la nation ennemie, à moins qu'ils ne soient armés en guerre. L'Assemblée nationale se réserve de statuer incessamment sur les exceptions que pourrait nécessiter l'application de cette loi aux diverses circonstances de la guerre.

« PreviousContinue »