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Les traités, en assez petit nombre, qui ont prévu cette question, la résolvent affirmativement. L'art. 16 du traité du 13 novembre 1836 entre les États-Unis et la Confédération Pérou-bolivienne, notamment, est aussi net que possible sur ce point: « ..... Si quelque navire était entré dans le port avant que le blocus eût eu lieu, qu'il prît un chargement à son bord et qu'il essayât de sortir, il sera exposé à se voir intimer par les forces du blocus l'ordre de rentrer dans le port bloqué et de mettre à terre son chargement; et si, après avoir reçu une pareille intimation, le navire insiste pour partir avec sa cargaison, il sera sujet aux mêmes conséquences qu'une embarcation qui tenterait d'entrer dans le port bloqué après avoir été avertie par les forces du blocus (1). »

Il est bien certain, dit-on, qu'ici la notification spéciale n'a pas pour but d'apprendre l'existence du blocus au navire qui tente de sortir ce navire sait que le blocus existe, par la notification qui a été faite aux autorités du port. Il ne saurait prétendre, ajoute-t-on, que le blocus a pu être levé depuis cette notification : la réalité du blocus est un fait qui frappe ses yeux à chaque instant. D'où l'on conclut que la la notification spéciale est inutile (2).

Nous convenons qu'au cas de sortie la notification spéciale sera moins indispensable qu'au cas d'entrée; mais l'escadre de blocus peut se tenir assez loin des côtes pour qu'on ne puisse savoir au juste si le blocus continue, sans se porter à proximité de la ligne de blocus: aussi nous paraîtil préférable de maintenir ici encore le principe de la notification spéciale.

701. Ainsi donc, il n'y a rupture de blocus que si, la notification spéciale reçue, il y a tentative de franchir dans un sens ou dans l'autre la ligue de blocus.

Si cette formule est exacte, on voit combien est excessive la prétention anglaise d'après laquelle le fait seul de mettre à la voile pour un port bloqué constitue une viola

(1) Martens, N. R., XV, p. 133; Cf. Hautefeuille, op. cit., II, p. 219, note : cet auteur cite d'autres traités qui statuent dans le même sens. (2) Hautefeuille, ibid., p. 219-20. C'est en se sens que se prononcent implicitement les Instructions du 25 juillet 1870, en ne parlant de la notification spéciale que pour les bâtiments qui se dirigent vers un port bloqué.

tion de blocus. Les tribunaux de prises anglais et américains déclarent criminel le fait de se diriger vers un port que l'on sait être bloqué, quelle que soit la distance qui sépare le navire de ce port au moment où un croiseur le rencontre. Ainsi, la simple intention est atteinte, et l'intention est supposée irrévocable, par cela seul que le navire a sa proue dirigée vers le port bloqué ; le capitaine pourra être à même de prouver qu'il avait l'ordre de relâcher à un autre port, s'il trouvait bloqué celui sur lequel il se dirigeait en premier lieu il n'y en a pas moins rupture de blocus. Le bâtiment coupable d'une pareille rupture de blocus, peut être arrêté à la haute mer, partout où il est rencontré. C'est ce que l'on a appelé le droit de prévention, une des armes les plus redoutables qui aient été forgées contre la liberté du commerce pacifique: avec un pareil droit, comme l'écrivait Hautefeuille en 1860, au moment de la guerre de Chine, un navire sorti de Hambourg à destination de Canton, port dont le blocus a été notifié, pourrait être saisi dans la Manche et déclaré de bonne prise comme coupable de violation du blocus des rivages chinois (1).

702. — La tentative de franchir la ligne de blocus n'est punissable qu'au moment même où elle s'accomplit. Ainsi, le navire ne peut être saisi que s'il est surpris en flagrant délit, c'est-à-dire à l'instant même où il traverse la ligne de blocus. On admet encore qu'il peut être saisi dans le port bloqué, si les forces bloquantes parviennent à y entrer, soit en s'en emparant, soit en y pénétrant par force ou par ruse, et, en outre, au moment où il se présente pour sortir de ce port dont il a forcé l'accès (2). Il nous semble aller de soi que si l'escadre de blocus n'a pu arrêter un navire qui sort du port bloqué, elle peut détacher un des vaisseaux qui la composent pour poursuivre le navire coupable; mais cette poursuite à vue sera nécessairement limitée: en tout cas, le navire délinquant ne pourra être saisi que s'il est atteint par le vaisseau de guerre détaché de l'escadre bloquante, avant d'être entré dans un port neutre.

On ne saurait donc admettre rien de pareil à ce qu'on a

(1) Hautefeuille, op. cit., p. 228.

(2) Id., ibid., p. 225-26; Bluntschli, op. cit., art. 836; Arth. Desjardins, op. cit., I, p. 54.

désigné sous le nom de droit de suite: en vertu de ce prétendu droit, tout navire sorti d'un port bloqué est réputé en flagrant délit et peut être saisi par un croiseur belligérant pendant toute la durée de son voyage de retour, même s'il a relâché dans un autre port que celui de sa destination définitive. Ce droit de suite a été surtout pratiqué par l'Angleterre Sir W. Scott est allé jusqu'à dire dans l'affaire du Christianberg: «En droit rigoureux, il ne serait pas contraire à la justice de laisser un tel navire éternellement sous le coup de la capture. » C'est oublier que la rupture de blocus, pas plus que le transport de contrebande, n'est pas un délit proprement dit, un délit pénal, mais un manquement au devoir de non-immixtion dans les hostilités : un tel manquement autorise la saisie par le belligérant, au moment même où il se produit; toute prétention contraire ne peut s'expliquer que comme un vestige du système des blocus fictifs.

703. — Quelle est la sanction de la rupture de blocus ainsi définie ? Quel sera le sort du navire et de la cargaison saisis de ce chef dans les conditions indiquées ? Dans la pratique, on confisque, en général, le navire et la cargaison sans distinction d'aucune sorte.

Il est des publicistes qui approuvent cette pratique Hautefeuille pense que la loi qui édicte la confiscation du navire et de la cargaison entière, quels que soient d'ailleurs la nature et le propriétaire des marchandises, « si rigoureuse quelle soit, est juste, parce qu'elle est rendue par le souverain du lieu où elle doit recevoir son exécution (1). »

Mais une pareille rigueur est rejetée par les tribunaux de prises et par les publicistes anglais eux-mêmes. En règle générale, dit Sir R. Phillimore, navire et cargaison sont tous deux confiscables pour rupture de blocus; mais il faut faire une importante distinction: les propriétaires de la cargaison sont-ils en même temps propriétaires du navire? Si oui, la confiscation de l'un entraîne celle de l'autre ; si non, la cargaison n'est pas confisquée, à moins que les propriétaires n'eussent appris ou n'eussent dû apprendre l'existence du blocus, ou à moins, ajoute-t-il, fidèle aux décisions des tribunaux de prises anglais - qui, suivant l'expression de M.

(1) Hautefeuille, op. cit., II, p. 224-25.

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Gessner « se réservent ici encore une porte de derrière qui leur permet de rendre les vrais principes complétement illusoires », à moins qu'il ne résulte des circonstances de la cause que le fait du capitaine les oblige personnellement (1). M. Ortolan exprime la même idée avec clarté et concision: « La peine contre la violation d'un blocus est la confiscation du navire; la cargaison est aussi confiscable, excepté dans le cas où celui dont elle est la propriété, n'étant pas le même que celui à qui appartient le navire, peut fournir des preuves qu'il était étranger à la violation du blocus (2). »

704. Cette manière de voir nous paraît équitable. Le navire sera confisqué, parce que le propriétaire, par l'intermédiaire du capitaine qui est son agent, a fait acte d'immixtion dans les hostilités. Quant à la cargaison, elle suivra le sort du navire, si elle appartient au propriétaire du navire; mais si elle appartient à un autre que le propriétaire du navire, elle ne sera pas condamnée, sauf le cas où il est établi que son propriétaire savait qu'elle était dirigée sur un port bloqué: s'il a voulu s'associer à la spéculation du propriétaire du navire, il aura sa part dans l'échec, comme il aurait eu sa part des bénéfices: la cargaison sera confisquée. Dans l'état actuel de la procédure suivie devant les tribunaux de prises, ce serait au propriétaire de la cargaison à prouver qu'il est étranger à la violation du blocus (3); mais, en vertu de l'adage unusquisque præsumitur bonus, c'est au capteur que devrait incomber la tâche de prouver la connivence du propriétaire de la cargaison avec le propriétaire du navire.

Dans des cas exceptionnels, il a été jugé que la marchandise est confiscable, tandis que le navire doit être restitué : c'est ce qui a été jugé dans l'affaire du Springbok, sur laquelle nous reviendrons: à moins de circonstances tout à fait invraisemblables, de pareils cas ne se présenteront pas dans

(1) Phillimore, Comm., III, p. 507, § 318; Gessner, op. cit., p. 228. (2) Ortolan, op. cit., II, p. 357; Cf. Bluntschli, op. cit., art. 840. (3) Pourtant Sir R. Phillimore, Comm., III, p. 507, se plaçant au point de vue de la pratique actuelle, s'exprime ainsi : « It should seem, though the point is perhaps not quite clear, that in those cases in which the owners of the ship and cargo are divers persons, the burden of proving the guilt of the cargo lies upon the captor. »>

une théorie de la rupture de blocus sainement conçue et équitablement appliquée.

705.

Nous avons constamment supposé le blocus d'un lieu quelconque, d'un point de la côte, d'un port militaire ou commercial; nous avons ainsi préjugé la question des blocus commerciaux nous devons pourtant examiner sommairement cette question.

Le blocus étant une opération de guerre qui a pour but d'exercer une pression sur l'ennemi, tous les lieux placés sous la souveraineté de l'un des belligérants peuvent être soumis au blocus: telle est du moins l'idée qui semble la plus naturelle. Les mers intérieures, les golfes, les baies, les rades, les ports, les détroits, l'embouchure d'un fleuve, une portion de côte peuvent être bloqués, moyennant un déploiement suffisant des forces navales. « Un peuple dont les forces navales, dit Hautefeuille, seraient assez considérables pour entourer les côtes ennemies d'un cercle de bâtiments de guerre assez rapprochés pour que le feu de leur artillerie se croisât, pourrait, en exécutant réellement cet investissement, soumettre au blocus tous les rivages de son adversaire (1). » Mais le blocus ne peut frapper que les lieux soumis entièrement à la souveraineté de l'un des belligérants c'est ainsi que l'embouchure d'un fleuve qui arrose plusieurs États indépendants, un détroit donnant accès à une mer qui baigne le territoire de plusieurs nations, ne peuvent être bloqués, si un seul des États arrosés par ce fleuve ou baigné par cette mer est neutre, alors même que l'État belligérant serait souverain du détroit ou des deux rives du fleuve à son embouchure.

Quant au blocus d'un littoral entier, d'une portion de côte, parmi ceux-là mêmes qui n'en contestent pas la légitimité, il en est qui le considèrent comme à peu près impossible. Et dans la crainte de voir se renouveler les abus auxquels il a donné lieu, on préfère, dit-on, le passer sous silence les neutralités armées, ajoute-t-on, ont eu le tact de ne pas parler absolument que de blocus de ports; la Déclaration de Paris, en évitant expressément de restreindre le blocus à des ports isolés, « a toléré un principe très-dangereux (2). » (1) Hautefeuille, op. cit., II, p. 195-96. (2) Gessner, op. cit., p. 210-12.

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