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véritablement international, c'est-à-dire uniforme et le même pour tous les États maritimes? C'est ainsi que se pose la question générale : c'est ainsi que l'Institut de droit international l'a posée, et que M. Bulmerincq l'a étudiée avec autant de zèle que d'autorité.

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742. Au point de vue particulier qui est le nôtre et que nous ne perdons pas de vue — le traitement de la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi, la question est moins vaste, mais elle ne se pose pas dans des termes différents. Il existe un droit général de la guerre dont l'ennemi peut invoquer les règles; il existe aussi des règles quelconques en ce qui concerne les prises faites sur l'ennemi : ces prises ne sont valables que si elles ont été faites conformément aux règles en question, qui sont des règles de droit international. N'est-il donc pas naturel que les affaires de prises, même celles qui concernent les sujets ennemis, soient déférées à des tribunaux internationaux ? Les sujets ennemis auraient-ils moins que les neutres besoin d'une justice impartiale?

Spécialement, si l'on tient à ce que le principe de l'inviolabilité de la propriété privée ennemie soit sérieusement appliqué, n'est-il pas indispensable de confier le soin de cette application à des tribunaux de prises internationaux ? Les sujets ennemis pourraient-ils plus facilement que les neutres se passer du bénéfice d'une procédure strictement judiciaire et conforme aux principes? Évidemment non, surtout si l'on admet, avec l'Institut de droit international, et comme nous l'avons fait, au moins en principe, l'assimilation des sujets ennemis aux neutres quant au droit de prise. De tout temps, neutres et ennemis ont été égaux devant les tribunaux de prises nationaux. N'est-il pas désirable qu'ils le soient encore devant les tribunaux internationaux? Ils ont été ensemble à la peine: pourquoi ne seraient-ils pas ensemble à l'honneur? C'est donc en nous attachant à notre point de vue restreint, celui des garanties dues à la propriété privée ennemie sous pavillon ennemi, que nous étudierons sommairement les projets de réforme relatifs 1° à l'organisation de tribunaux internationaux et 2° à la procédure à suivre devant ces tribunaux.

I

Organisation de tribunaux de prises internationaux

743. Si l'on avait à faire le dénombrement des auteurs qui ont traité de la juridiction des prises et à les classer par nationalités, on pourrait dire avec M. Bulmerincq « que les Anglais, les Américains et les Français ont presque tous défendu les tribunaux de prises actuels; que les Allemands et les Danois ont, au contraire, pour la plupart, attaqué la compétence des dits tribunaux, et que quelques-uns ont même proposé des réformes; qu'enfin les Italiens sont de diverses opinions (1). »

Nous ne saurions passer en revue toutes les opinions émises à cet égard ni même les principales, d'autant que presque toujours elles ont eu exclusivement en vue les neutres, et non les sujets respectifs des États belligérants (2). Il suffira de résumer brièvement les arguments principaux qu'ont mis en avant et les partisans et les adversaires de l'état de choses actuel.

744. Les partisans de l'organisation actuelle des tribunaux de prises se sont souvent bornés à alléguer pour seul motif qu'il en a été ainsi dès la constitution de ces tribunaux et que telle a toujours été et telle est encore la coutume de toutes les puissances maritimes. Mais ils ont aussi donné les raisons suivantes :

1o Le droit de prise dérive du droit de la guerre ; la juridiction des prises doit donc appartenir au belligérant : la compétence des tribunaux de prises du capteur est la conséquence pure et simple du droit de la guerre ;

2° L'État belligérant a seul autorité sur les vaisseaux auxquels il délégue l'exercice du droit de prise : lui seul est responsable de leur conduite : il ne peut appartenir qu'à des tribunaux institués par l'État capteur de prononcer sur les prises faites par ses vaisseaux;

3° Si la saisie d'un navire a lieu dans les eaux territoriales

(1) Bulmerincq, R. D. I., 1879, p. 162. M. Bulmerincq, ibid., p. 209, donne un aperçu de la littérature danoise.

(2) Bulmerincq, ibid., p. 163-71.

du capteur ou dans celles de l'ennemi, le tribunal du capteur est compétent comme forum arresti sive deprehensionis, car le navire a été saisi dans un endroit soumis à la souveraineté du capteur ou d'une façon permanente, ou d'une façon transitoire et en vertu du droit de la guerre; la saisie a-t-elle lieu à la haute mer, c'est encore le tribunal du capteur qui doit en connaître «parce que, dit Klüber, cette juridiction est en quelque sorte fondée sur la saisie (forum arresti sive deprehensionis) » (1);

4o Le capteur jouant le rôle de défendeur, c'est devant un tribunal soumis au souverain de ce capteur, comme forum personale, que le capturé doit porter sa réclamation, par application de la règle actor sequitur forum rei;

5° L'État belligérant doit avoir la juridiction même sur les neutres, parce que ceux-ci en violant leurs devoirs internationaux ont fait acte d'hostilité, sont devenus de fait ennemis du belligérant; -quant à la juridiction sur les sujets ennemis, la plupart des publicistes ont, comme le remarque M. Bulmerincq, jugé inutile de la motiver, parce qu'elle résulte directement du droit de la guerre envers l'ennemi (1). 745. On ne peut contester la vérité de la première raison alléguée; mais est-on en droit d'en conclure que les belligérants, selon l'expression de M. Bulmerincq, «< aient seuls et chacun pour soi la juridiction des prises? » Il ne s'agit pas d'enlever au capteur la juridiction qu'il a jusqu'ici accaparée, mais de confier cette juridiction à un tribunal composé de belligérants et de neutres.

Le second motif a une valeur historique : c'est en partie pour exercer un contrôle sur leurs propres corsaires, que les belligérants constituèrent une juridiction des prises; mais c'est aussi pour juger si la prise avait été faite légalement. Le point de vue allégué n'a donc jamais été le point de vue exclusif: il l'est aujourd'hui moins que jamais. Il y a dès longtemps, peut-on dire avec M. Bulmerincq, «< comme une convention tacite entre tous les États, en vertu de la

(1) Klüber, Droit des gens mod., revu par Ott, 2o éd., pet. in-8°, § 296, p. 427. Heffter, on le sait, a prêté à cette manière de voir l'appui de sa grande autorité.

(2) Bulmerincq, R. D. I., 1879, p. 171; Gessner, Droit des neutres, 2o éd., p. 387-90.

quelle la prise n'est réputée valable que si elle est adjugée par les tribunaux du capteur; or, cette adjudication est un acte de nature judiciaire et non administrative, ni de police on ne peut donc pas baser la juridiction sur le droit de surveillance, qui est une fonction administrative, puisque ce droit de surveillance s'exerce sur le capteur qui est un sujet du belligérant (1). » De ce que le belligérant a seul autorité sur le capteur, il ne s'ensuit pas que le jugement à intervenir sur la conduite du capteur ne puisse être déféré à un tribunal international constitué du consentement et avec le concours du belligérant.

A l'égard du troisième motif, on a pu répondre avec raison, pour le cas où la saisie a eu lieu à la haute mer, que celle-ci appartenant à toutes les nations, le forum arresti du navire qu'on y saisit ne peut être qu'un tribunal international; au cas où la saisie a eu lieu dans la mer territoriale de l'État capteur ou de son adversaire, nous dirons que, comme il s'agit bien plutôt d'une violation du droit international que d'une atteinte à la souveraineté de l'État capteur, l'affaire est moins du ressort d'un tribunal de prises national que d'une juridiction internationale.

Dire que, le capteur étant le défendeur, le réclamant doit s'adresser à un tribunal du capteur, c'est argumenter d'un abus le demandeur véritable, c'est le capteur, et non le capturé; c'est d'ailleurs, comme le dit Wurm, méconnaître le fait que le capteur lui-même engage le procès tout aussi souvent que le capturé, et que le procès peut aussi commencer d'office, au moins dans certains pays (2).

Enfin, alléguer que la juridiction du capteur sur les neutres est fondée sur le fait que ceux-ci ont dépouillé leur qualité de neutres pour revêtir celle d'ennemis, qu'ils sont sortis de la neutralité en commettant un acte hostile, c'est faire purement et simplement une pétition de principes; il s'agit précisément de savoir si l'acte hostile a été commis, si le neutre est devenu ennemi (3).

(1) Bulmerincq, ibid., p. 171-72.

(2) Rotteck et Welcker, Staats lexicon, V Prisen, § 144, 5°. Cf. Bulmerincq, ibid., p. 172.

(3) M. Gessner, notamment, Droit des neutres, p. 389, relève cette pétition de principes.

746.

Les adversaires des tribunaux nationaux ont fait valoir contre eux: 1° que le belligérant décide dans sa propre cause; 2° qu'il juge d'après son propre droit.

Que l'État capteur soit juge dans sa propre cause, c'est un fait contre lequel aucune allégation ne saurait prévaloir; et c'est à bon droit que, depuis Hübner, maints publicistes en ont été choqués. Mais on ne s'est généralement offusqué que dans l'intérêt des neutres, de voir ainsi le belligérant juge et partie.

Quant aux sujets ennemis, loin de trouver qu'il existe une anomalie, on s'est presque invariablement accordé à dire que la guerre ayant précisément pour effet de constituer chaque belligérant juge dans sa propre cause, chacun d'eux connaît légitimement des prises faites sur l'adversaire; en ce qui concerne les neutres, on déclare que chaque belligérant étant en paix avec leur souverain, il est anormal d'attribuer aux belligérants le jugement des prises neutres: quant aux neutres, la guerre ne saurait avoir la vertu d'habiliter le belligérant à décider dans sa propre cause (1).

Alléguer que le belligérant décide dans sa propre cause d'après son propre droit, cela revient à dire que, malgré eux, les juges nationaux, placés en présence de règlements et d'ordonnances qui s'écartent parfois du droit international, peuvent être forcés, de par la constitution de leur pays, de se conformer à ces ordonnances et à ces réglements, ou s'ils n'y sont pas forcés, ne seront que trop enclins à le faire sans doute, ces juges nationaux doivent juger d'après le droit international, eux-mêmes le proclament; mais l'histoire atteste que leurs actes n'ont pas toujours été d'accord avec leurs déclarations, et il est à craindre que tant que les tribunaux des prises resteront des tribunaux nationaux par leur composition, les droits nationaux ne l'emportent sur le droit international.

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747. Il est un certain nombre de publicistes qui, tout en se montrant peu satisfaits de l'organisation actuelle des tribunaux de prises sont pourtant opposés à toute innovation dans ce domaine.

De ce nombre est Sir Travers Twiss dans le remar

(1) Notam. Gessner, op. cit., p. 393.

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