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sont tous deux Français. De même c'est au droit international privé à déterminer les règles suivant lesquelles sera dévolue la succession immobilière d'un Anglais décédé en France, sans autres héritiers que des Anglais. Ici encore l'unité de nationalité n'est pas un obstacle à son application.

Nous pouvons adresser une autre critique à cette définition; elle semble oublier que ce ne sont pas des rapports entre particuliers, mais des rapports entre États que le droit international a pour objet de régler tel est, en effet, le caractère commun au droit international public et au droit international privé, et s'ils diffèrent, ce n'est, répétons-le, que par la nature des intérêts qui sont en jeu.

Rien n'est plus simple en apparence que le critérium que nous avons assigné à cette distinction, et cependant rien n'est plus difficile que de se mettre d'accord sur la portée qu'il faut lui attribuer.

A quelle branche du droit international rattacherons-nous les conflits auxquels peuvent donner lieu les lois de procédure et les lois criminelles, soit qu'il s'agisse d'assurer aux jugements émanant des autorités étrangères certains effets sur notre territoire, soit qu'il s'agisse de livrer aux tribunaux étrangers un malfaiteur réfugié sur le sol français, et réciproquement.

En ce qui touche les conflits dont les lois de procédure peuvent ètre la source, nous n'hésitons pas à penser qu'il relèvent du droit international privé. La procédure en effet est le complément nécessaire des lois civiles et commerciales; elle ne saurait en être isolée. <«< A quoi bon, disait Boitard, rechercher avec soin l'étendue et la mesure de nos droits, si nous ne savions aussi quelle sanction les protège et les défend, si nous ne connaissions quelles règles, quels principes président à ces luttes judiciaires, que chaque jour fait surgir le conflit des intérêts privés1». La sanction ne va pas sans le droit qu'elle garantit, et les conflits de procédure en matière civile et commerciale appartiennent, comme les conflits portant sur le fond même du droit, au droit international privé.

Quant aux conflits de législations criminelles qui peuvent s'élever entre deux souverainetés, la question de savoir si c'est au droit international privé qu'ils empruntent leur solution est particulièrement délicate.

Un Français s'est rendu coupable à l'étranger, en Angleterre par

Boitard, Colmet-Daage et Glasson, Leçons de procédure civile, t. I, p. 3.

exemple, d'un crime ou d'un délit présentant quelque gravité. Il revient en France et devance ainsi par la fuite les poursuites de la justice étrangère. Restera-t-il impuni? L'autorité française devra-t-elle le remettre à l'autorité du lieu où l'infraction a été commise pour être jugé conformément à la loi anglaise? Ou bien aura-t-elle le droit de le juger elle-même et de lui appliquer les peines portées par la loi française?

Ce conflit de la loi personnelle du Français et de la loi territoriale étrangère rentre-t-il dans le domaine du droit international privé? On l'a contesté avec une très grande force d'arguments. En matière criminelle, a-t-on dit, l'intérêt capital, celui qui prime tous les autres, c'est l'intérêt général, celui de la société que le crime a lésée. C'est l'action publique qui domine le procès criminel, et l'action civile celle qui tend à la réparation du préjudice causé, n'y joue qu'un rôle accessoire et effacé. D'autre part, la procédure de l'extradition suppose un accord entre deux États et l'intervention de la diplomatie. Ainsi les deux caractères du droit international public se trouvent réunis dans la solution d'un semblable conflit; il sépare deux États, à l'occasion d'un intérêt général.

Cette opinion, à laquelle l'éminent professeur de droit des gens de la Faculté de Paris a prêté l'appui de son autorité', ne nous satisfait pas entièrement. Sans doute en matière criminelle, le conflit s'élève entre deux États; mais ce n'est pas là, nous le savons, le propre du droit international public. D'autre part l'intérêt général n'est pas seul en jeu dans les poursuites criminelles. Le plus souvent c'est une atteinte au droit privé, à la vie, à la fortune d'un citoyen qu'il s'agit de réprimer; et c'est toujours la vie, l'honneur et la fortune de l'inculpé qui sont les enjeux du procès. Les poursuites criminelles touchent donc à des intérêts privés, et à ce titre cn pourrait, avec plusieurs auteurs, comprendre dans le droit international privé les conflits auxquels elles donnent naissance.

Pour nous, sans méconnaître les affinités que le conflit des lois criminelles présente avec le droit public d'une part, avec le droit privé de l'autre, nous croyons qu'il est préférable d'y avoir une branche. distincte de notre science, le Droit international criminel.

Le droit international public et le droit international privé diffèrent donc au point de vue des intérêts que tous deux se proposent de

1 L. Renault, op. cit., p. 26.

concilier; mais ce n'est pas là la seule différence qui les sépare. La solution des problèmes de droit international public échappe ordinairement à la législation intérieure de chaque État et à l'action de ses tribunaux, tandis que les conflits d'intérêt privés sont le plus souvent soumis dans chaque État aux lois et aux juridictions nationales. D'un côté, c'est l'action diplomatique, de l'autre, l'action législative et judiciaire qui joue le rôle prépondérant.

Notre Manuel de droit international privé aura quatre livres.

Dans le premier, nous étudierons la théorie de la nationalité, que l'arrêté ministériel du 24 juillet 1895 a détachée de l'enseignement du droit civil pour la comprendre dans celui du droit international privé, et qui en forme l'introduction naturelle. Avant de savoir ce que l'étranger peut et doit faire dans notre pays, il est indispensable de savoir qui est étranger, de savoir à quels signes l'étranger se reconnaît du national.

Le second livre sera consacré à la condition civile des étrangers. Nous y rechercherons quels doivent être et quels sont les droits et les obligations de celui qui n'est pas membre de la cité.

Ces droits et ces obligations une fois déterminés dans leur existence, il s'agira d'en mesurer l'étendue, de fixer les règles suivant lesquelles ils devront être appréciés. Le troisième livre répondra à cette question, qui comprend tout le droit international privé proprement dit; nous y traiterons du conflit des lois civiles et commerciales.

Mais ce n'est pas tout d'avoir établi l'existence d'un droit et d'avoir conclu théoriquement à l'application de telle ou telle loi. Quelles sont les sanctions qui protègent le droit de l'étranger? quel est le tribunal qui lui fera justice? quelles sont les formes de procédure, les voies de recours, les modes d'exécution qui lui seront ouverts ou qui lui seront appliqués? Toutes ces questions si importantes feront l'objet d'un quatrième livre : Compétence, procédure et jugements.

LIVRE PREMIER

DE LA NATIONALITÉ 1.

La nationalité peut être définie le lien qui rattache une personne à une nation déterminée.

Qu'est-ce qu'une nation?

Dans une acception politique et abstraite, la nation ne doit pas être confondue avec l'État; elle est l'idée première dont celui-ci procède. Les éléments qui concourent à la former sont la race, la religion, le langage, les mœurs, l'histoire, la législation, et ces divers éléments ne constituent la nation qu'autant qu'ils ont été, pour ainsi dire, cimentés par l'unité morale, par la volonté commune de ceux qu'il s'agit de grouper sous un même sceptre ou dans un même État. Dès que cette volonté générale s'est ajoutée à la communauté d'origine et d'intérêts, la nation existe, et c'est pour elle un droit inaliénable et sacré que de s'organiser en État. Ce droit est pour elle ce qu'est pour l'homme le droit à la liberté individuelle, et le principe des nationalités a pour objet d'assurer son triomphe.

Mais à quels signes reconnaîtra-t-on l'unité de culture ou d'origine, constitutive de la nation? Est-ce à l'identité du langage? mais tout le monde sait que souvent des individus de même race parlent des dialectes très différents, tandis qu'inversement la même langue est en usage chez des peuples que tout sépare. Est-ce à la similitude du vi

1 V. Cogordan, La nationalité au point de vue des rapports internationaux, 2 édit., Paris, 1890; Le Sueur et Dreyfus, La nationalité, Commentaire de la loi du 26 juin 1889, Paris, 1890; Rouard de Card, La nationalité française, Paris, 1893, et notre Traité théorique et pratique de droit international privé, t. I. La nationalité.

sage et des traits? mais, le temps et la fusion des races accomplissant leur œuvre, il serait peu sûr de s'attacher exclusivement à la conformation physique des individus.

La vérité est que le critérium de la nationalité n'existe pas ou est impossible à déterminer avec certitude, en dehors d'un accord intervenu entre l'État et le citoyen. Le principe des nationalités est toujours une arme dangereuse et sans portée.

Quelle que soit la manière dont un État s'est constitué, l'appréciation de sa légitimité nous échappe. Tant que le principe des nationalités ne sera pas une vérité démontrée en droit public et n'aura pas prévalu d'une manière absolue dans les rapports politiques des peuples, la nation s'identifiera avec l'État, lorsqu'il s'agira de déterminer la situation juridique de ceux qui la composent. Nation et État, nationalité et sujétion sont donc synonymes: la nationalité est le lien contractuel qui rattache à l'État chacun de ses membres.

C'est dans un contrat synallagmatique, intervenu entre l'État et le citoyen que se trouve, selon nous, la base juridique de la nationalité. Le lien de nationalité ou de sujétion est contractuel, c'est-à-dire qu'il naît et ne peut naître que d'un accord de volontés: celle de l'État d'une part, celle du citoyen de l'autre ; et le contrat ainsi formé est synallagmatique, c'est-à-dire qu'il engendre des obligations réciproques entre les deux parties (C. civ., art. 1102). L'État, en effet, accorde à ses nationaux et est tenu de leur accorder la protection de ses lois et la tutelle de ses magistrats; il leur reconnaît certains droits civils et politiques et se charge de les faire respecter même au delà de ses frontières. En échange de cette sollicitude, il a le droit d'exiger de ses ressortissants, même émigrés, le respect de ses lois, il peut les contraindre à participer aux charges publiques et à la défense de son territoire. État et citoyen ont donc tous deux des droits et des devoirs l'un envers l'autre. Ce qui est droit pour l'État est devoir pour le citoyen, et réciproquement.

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