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Dans les discussions qui précédèrent la rédaction du Code civil, le système du jus sanguinis et le système du jus soli furent mis en pré

sence.

Tout le monde était d'accord pour attribuer la nationalité française à l'enfant né d'un Français en pays étranger; mais en ce qui touche les enfants nés d'un étranger sur notre territoire, l'article 2 du projet reproduisait la doctrine traditionnelle : « Tout individu né en France est Français ». Et à l'appui de cette disposition, trois ordres de considérations différentes étaient invoqués :

a) La première raison était une raison d'humanité : « Nous tenions autrefois pour maxime, disait Boulay dans son Exposé des motifs, que la France était pays naturel de la liberté, et que dès qu'un esclave avait le bonheur de mettre le pied sur son territoire, par cela seul, il cessait d'être esclave. Pourquoi ne reconnaîtrait-on pas de même, dans cette terre heureuse, la faculté naturelle d'imprimer la qualité de Français à tout individu qui y aurait reçu la naissance 1. »

b) D'autre part on faisait observer que l'intérêt français réclamait le maintien du jus soli : « On disait que les événements de la guerre avaient amené en France beaucoup d'étrangers qui s'y étaient mariés, qu'il y avait avantage à regarder leurs enfants comme Français, parce qu'ils seraient soumis à la conscription et aux autres charges publiques; que, s'ils recueillaient des successions à l'étranger, ils en rapporteraient le produit en France, et qu'il était probable que le plus grand nombre y resterait d'après ces motifs, on décida d'abord que les enfants de ces étrangers jouiraient des droits civils, sans avoir besoin de déclarer qu'ils entendaient être Français 2. »

c) Enfin le premier Consul faisait reposer sur l'attachement présumé de l'enfant pour sa terre natale l'application du jus soli à la détermination de sa nationalité d'origine : « Il ne peut y avoir que de l'avantage, disait-il au cours de la discussion, à étendre l'empire des lois françaises. Les fils d'étrangers qui se sont établis en France ont l'esprit français, les habitudes françaises; ils ont l'attachement que chacun porte naturellement au pays qui l'a vu naître 3.

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Les deux premières raisons n'ont aucune base sérieuse.

Ce que Boulay représentait, dans son langage emphatique, comme

Locré, Législation civile, t. II, p. 58.

2 Malleville, Analyse raisonnée de la discussion du Code civil au Conseil d'État, t. 1, p. 18.

3 Locré, op. cit., t. II, p. 35.

l'application d'une idée hospitalière et généreuse était surtout un souvenir de la féodalité et de l'ancien régime qui, voyant dans l'homme un accessoire du sol, devaient nécessairement rattacher sa nationalité au lieu de sa naissance.

D'autre part le jus soli ne devait pas être, sous le régime du Code civil, aussi favorable à l'intérêt français qu'on veut bien le dire. Il était dangereux en effet, alors que notre législation refusait à l'étranger tout droit de succession en France, d'attribuer la qualité de Français, sans aucune condition de domicile ou de résidence, aux individus nés sur le territoire de parents étrangers. Peut-être ont-ils conservé leur résidence, leurs affections bien loin de la France, et s'empresseront-ils d'y emporter les successions françaises que le jus soli les rend habiles à recueillir? L'intérêt français ne saurait s'accommoder d'une semblable exportation de nos richesses nationales. Mais, dit-on, en soumettant à la conscription tout individu né en France d'un père étranger, le jus soli donnera à notre pays de nombreux soldats. Qu'importe! la force d'une armée ne réside pas seulement dans le nombre de ceux qui la composent; mais dans leur esprit de discipline, dans leur sentiment du devoir, dans leur patriotisme, et ces qualités se rencontreront rarement chez des hommes que leur origine sépare de la France et qui ont été, malgré eux, enrôlés, sous ses drapeaux.

Reste le troisième motif: l'attachement présumé de l'enfant pour le lieu de sa naissance. Sans méconnaître le moins du monde l'attraction de la terre natale, il nous semble difficile d'en faire le fondement unique de la nationalité d'origine. Le patriotisme est le fruit de l'éducation, du milieu, des habitudes; il ne s'acquiert que par un séjour prolongé; et le seul fait d'être né sur un territoire qu'on n'a jamais habité ne saurait être une garantie suffisante d'attachement à la France. «Eh quoi ! disait Siméon au Tribunat dans la séance du 25 frimaire an X, le fils d'un Anglais peut devenir Français par cela seul que sa mère, traversant la France, l'aura mis au jour sur cette terre, étrangère à elle, à son mari, à ses parents !:Si chaque nation fait une telle déclaration, nous perdrons autant de Français que nous en gagnerons; on n'appartiendra plus à sa famille, à sa nation; la patrie dépendra moins de l'affection qui y attache, du choix et de l'établissement que du hasard de la naissance. Ouvrons nos portes aux étrangers; mais ne nous en saisissons pas malgré eux1. »

1 Locré, op. cit, t. II, p. 248.

Bien plus fondée paraît être la présomption contraire, qui détermine par la filiation, par le jus sanguinis, la nationalité de l'enfant nouveau-né. Celui-ci étant naturellement incapable de manifester sa volonté d'appartenir à telle ou telle patrie, il est raisonnable de penser qu'il a voulu se rattacher à l'État dont ses parents sont membres et obéir aux mêmes lois. Ces lois conviennent à l'enfant comme au père, parce qu'elles sont modelées sur les qualités constitutives de la race, que ce dernier lui a transmises avec la vie, et, ses intérêts se confondant le plus souvent avec les intérêts paternels, leur administration souffrirait d'une diversité de législations, conséquence de la différence des nationalités. Cependant cette présomption ne saurait résister à la preuve contraire l'enfant, devenu capable, est maître de la détruire par une manifestation expresse de volonté, dont l'effet sera de le soumettre à l'application du jus soli, en le rendant citoyen du pays sur le territoire duquel il est né.

Tel est le système qui, sur les observations du Tribunat, avait prévalu dans le Code civil de 1804. Son article 9, tout en reconnaissant au fils d'étranger né en France la nationalité d'origine de son père, lui permettait d'acquérir la qualité de Français, au moyen d'une option formulée dans l'année de sa majorité à cela se bornait l'influence du jus soli.

La loi du 7 février 1851 alla plus loin. Inspirée par le désir de combattre les progrès et les dangers toujours croissants de l'heimathlosat, elle vint attribuer de droit à l'enfant né sur le sol français d'un étranger qui, lui-même, y a vu le jour, la nationalité française, sous la condition résolutoire d'une option exprimée, dans sa vingt-deuxième année, en faveur de la patrie dont relève son père.

Enfin, la loi du 26 juin 1889, due à l'initiative de M. Batbie et modifiée en 1893, a fait un pas nouveau et décisif dans le sens d'un retour au jus soli. Tandis qu'elle déclare Français l'enfant né en France d'un père qui lui-même est né en pays étranger, tantôt sous la condition suspensive d'une option favorable à la France, s'il n'y a pas son domicile au jour de sa majorité (C. civ., art. 9), tantôt sous la condition résolutoire d'une option contraire, s'il y est domicilié à la même époque (C. civ., art. 8-4o), la nationalité française est définiti vement acquise à celui auquel un père étranger né lui-même en France a donné le jour sur notre territoire (C. civ., art. 8-3°); et il n'a d'autre moyen de s'y soustraire que de se soumettre aux conditions auxquelles le droit commun subordonne la perte de la qualité de Français (C. civ., art. 17 et 19).

TITRE II

Influence du jus sanguinis sur la nationalité d'origine dans le droit français actuel.

Le principe que l'enfant suit la nationalité de ses parents ne se trouvait formulé en termes généraux dans aucun texte du Code civil de 1804. L'article 10, § 1, se bornait à dire que « Tout enfant né d'un Français en pays étranger est Français ». Des enfants nés en France de parents français, il n'était pas question. Néanmoins, le silence que la loi avait gardé pour eux ne signifiait nullement que le bénéfice du jus sanguinis leur était refusé. Nés en France de parents français, ils avaient un double titre à la nationalité française; ils étaient à la fois protégés par le jus soli et par le jus sanguinis, par le droit ancien et par la législation nouvelle. Aucun doute n'étant dès lors possible sur leur condition, il pouvait sembler inutile de leur consacrer une disposition formelle. Mais le véritable motif de ce silence nous est indiqué par les incidents qui ont marqué la rédaction du titre premier du Code civil. L'article 2 du projet conférait la nationalité française à tout individu né sur le sol français, et l'article 10, § 1, du texte définitif devait compléter cette disposition, en attribuant, à l'exemple de la législation des derniers temps de l'ancien régime, la qualité de Français aux enfants nés à l'étranger de parents français. Ces deux articles faisaient donc partie d'un même tout, et, le premier ayant été écarté, sur la demande du Tribunat, l'article 10 du § 1 lui-même aurait dû disparaître devant une formule plus générale, embrassant, dans ses termes, tous les enfants nés de parents français, soit à l'étranger, soit en France.

Cette formule a trouvé place dans la loi du 26 juin 1889. Le nouvel article 8-1° du Code civil est ainsi conçu : « Est Français..... tout individu né d'un Français en France ou à l'étranger. »

Ainsi, dans le système du Code civil, l'enfant n'a pas en principe d'autre patrie d'origine que celle de ses auteurs; la filiation est attributive de nationalité. Mais l'application de cette règle, en apparence si simple, n'est pas sans soulever des difficultés sérieuses, dont quelques-unes sont demeurées en dehors des prévisions de la loi.

Pour les résoudre nous distinguerons trois hypothèses : 1° L'enfant est légitime.

2° L'enfant est naturel.

3° L'enfant est adoptif.

SECTION I.

L'enfant est légitime.

Lorsque le père et la mère, dont le mariage a donné naissance à l'enfant, sont tous deux Français, aussi bien à l'époque de l'accouchement qu'à celle de la conception, le jus sanguinis s'applique sans difficulté; l'enfant nail Français.

Mais que décider, si les époux appartiennent à des nationalités différentes? Sans doute les articles 12 et 19 du Code civil, qui attribuent en général à la femme la nationalité de son mari, rendront cette éventualité très rare; mais elle est loin d'être impossible, même sous l'em pire de la loi nouvelle, qui se montré cependant plus favorable que la législation de 1804 à la conservation de l'unité de patrie dans la famille. Peut-être en effet, la femme française devenue l'épouse d'un étranger n'a-t-elle pas acquis la nationalité de ce dernier? en ce cas elle n'a pas cessé d'être Française (C. civ., art. 19). Peut-être aussi le mari a-t-il changé de patrie au cours du mariage? or, les conséquences de ce changement lui demeurent personnelles en principe et n'affec tent en rien la condition de sa femme; l'article 12, § 2 et l'article 18 du Code civil n'associent la femme aux effets de la naturalisation ou de la réintégration qu'il a obtenne en France, que si elle l'a expressément demandé. Enfin, rien, croyons-nous, n'empêche une femme mariée d'acquérir, en se conformant aux règles qui gouvernent sa capacité, une nationalité différente de celle de son mari.

Un enfant naît d'un père français et d'une mère naturalisée belge avant sa naissance. Quelle sera sa patrie?

Il semble à première vue que les liens du sang qui rattachent l'enfant à chacun de ses auteurs étant de même nature et de même force, il n'y ait aucune raison pour lui donner la qualité de Français plutôt que celle de Belge; logiquement il devrait avoir deux patries; et c'est pour échapper à un semblable cumul que M. Laurent, ne prenant conseil que de l'intérêt de l'enfant, lui permet d'opter entre la nationalité de son père et celle de sa mère1. Ce système est inadmissible - et le célèbre professeur de Gand ne fait pas difficulté d'en convenir dans un de ses derniers ouvrages 2 parce qu'il introduit dans l'état

1 Laurent, Principes de droit civil, t. I, p. 429.

Laurent, Le droit civil international, t. III, p. 183.

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