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nier, lors de la célébration, et non à toutes celles qu'il lui plaira d'adopter par la suite.

Enfin, nous estimons que la nationalité française acquise par la femme étrangère, comme conséquence de son mariage avec un Français, lui est rigoureusement personnelle et ne réagit en aucune manière sur la condition des enfants nés d'elle antérieurement à ce mariage.

SECTION 11. Une femme française épouse un sujet étranger.

C. civ., art. 19, §1: « La femme française qui épouse un étranger suit la condition de son mari, à moins que son mariage ne lui confère pas la nationalité de son mari, auquel cas elle reste française ».

Ce texte, qui forme la contre-partie de l'article 12 que nous venons d'étudier, et qui s'inspire visiblement des mêmes motifs, renferme une règle et une exception.

La règle seule avait trouvé place dans l'ancien article 19. Le Code civil de 1804 se contentait de dire qu'« une femme française qui épousera un étranger suivra la condition de son mari »; mais il avait oublié de prévoir le cas où la loi du mari aurait refusé d'associer cette femme à sa nationalité, ainsi qu'il arrivait en Angleterre avant le statut du 6 août 1844. Quelle était, en pareille occurrence, au regard de la loi française et des tribunaux français, la situation juridique de la nouvelle épouse?

Dans un premier système, qui s'autorisait des termes de l'article 19, on prétendrait la traiter comme ayant la même patrie que son mari, mais seulement dans l'étendue du territoire sur lequel la loi française exerce son empire. Que la législation étrangère ne lui reconnaisse pas cette nationalité, peu importe! disait-on; nous n'avons pas à nous préoccuper de ce qui se passe de l'autre côté de nos frontières; mais en France, parlout où l'article 19 du Code civil s'applique, il faut dire que la femme française « a suivi la condition de son mari », et que son état et sa capacité sont désormais régis par la loi personnelle de ce dernier (arg. C. civ., art. 3, § 3). L'article 19 était donc à la fois dévestitif et investitif de nationalité.

Dans une autre opinion, moins conforme peut-être à la lettre de l'article 19, mais qui s'accordait mieux avec les principes généraux de la matière, on raisonnait de la manière suivante : La femme française qui épouse un étranger n'est plus Française, cela est hors de

doute, en présence de l'article 19. La loi, considérant que les devoirs que son mariage lui impose seront le plus souvent incompatibles avec ses devoirs de Française, et voyant dans ce mariage une renonciation tacite, lui retire sa nationalité d'origine : c'est tout ce qu'elle peut faire. Mais, lorsqu'il s'agit d'attribuer à cette femme, qui n'est plus Française, une condition nouvelle, le législateur français est absolument incompétent. Dira-t-on que la nationalité nouvelle qui lui sera conférée ne sera que fictive et n'aura d'effet que sur le territoire français? mais les fictions légales sont rares et ne doivent pas être présumées à la légère. Et l'on en concluait qu'à moins d'une naturalisation obtenue au dehors, la femme française, devenue l'épouse d'un étranger, ne devait être regardée chez nous comme investie de la nationalité de son mari, qu'autant que la loi personnelle de ce dernier aurait elle-même attaché au mariage un effet attributif de nationalité; dans le cas contraire, elle ne pouvait être considérée en France que comme une étrangère sans patrie certaine.

Ainsi, l'ancien article 19, quelque interprétation qu'il dût recevoir, aboutissait à des conséquences également regrettables: ou bien il donnait à la femme une double nationalité; ou bien il la laissait sans patrie.

Le législateur de 1889 a heureusement pourvu à cette situation, ainsi que l'avaient déjà fait le Code civil portugais (art. 22-4°), le Code civil italien (art. 14), et la loi mexicaine de 1886 (art. 2, IV), en exigeant, pour que la dénationalisation de la femme française se produise à la suite de son mariage avec un étranger, que la loi dont ce dernier relève établisse entre eux l'unité de patrie.

Désormais, la femme française qui épouse un étranger ne perdra donc la nationalité française qu'autant que trois conditions se trouveront réunies :

a) Il faut qu'elle soit capable;

b) Il faut que son mariage soit valable;

c) Il faut que ce mariage lui confère la nationalité de son mari. a) Première condition.

Il faut que la femme soit capable.

Et la capacité exigée d'elle est, ici comme dans l'hypothèse précédente, non pas celle qui, de droit commun est nécessaire pour tout changement de patrie, mais la capacité requise pour le mariage par sa loi nationale, par la loi française. Une mineure pourra donc, dès l'âge de quinze ans (C. civ., art. 144), et même avant cet âge, si elle a ob

tenu une dispense (C. civ., art. 145), renoncer à la nationalité française, en se donnant à un époux étranger.

b) Deuxième condition.

Il faut que le mariage soit valable.

Le changement de nationalité qui en résulte pour la femme est subordonné à la perfection de l'union qu'elle a formée. La nullité du mariage entraîne pour elle la restitution rétroactive de sa qualité antérieure, sauf l'exception résultant des règles du mariage putatif, dans les cas où il lui sera possible de les invoquer. Au surplus, pour apprécier si le mariage est valable, c'est à la loi qui gouverne sa formation qu'il convient de se reporter, conformément aux principes du droit international privé; c'est à elle de dire si ses prescriptions ont été violées.

c) Troisième condition.

Il faut que le mariage confère à la femme française la nationalité de son mari.

Si donc la législation du pays auquel appartient le mari refuse au mariage toute influence sur la nationalité de la femme, celle-ci n'aura pas perdu la qualité de Française, et elle continuera à être investie. dans sa patrie d'origine de tous les droits qui découlent de cette qualité.

Il en sera de même, pensons-nous, si le mari n'a pas de nationalité déterminée. Le but de l'exception introduite dans l'article 19 est de tarir une des sources de l'heimathlosat; et ce serait le méconnaître que d'associer la femme française à la condition si précaire de son mari, que de la dépouiller de sa nationalité sans lui en donner une autre en échange.

Les effets du changement de nationalité opéré en vertu de l'article 19 ne diffèrent pas de ceux que nous avons étudiés à propos de l'article 12; comme dans l'hypothèse précédente, ils se limitent à l'avenir et ne rejaillissent pas sur les enfants de la femme. La loi d'ailleurs a pris soin, nous le verrons bientôt, de faciliter à cette dernière le retour à la patrie française.

TITRE (V

Influence des annexions et cessions de territoire

sur la nationalité des habitants.

Nous étudierons, sous ce titre :

a) L'influence que les principes généraux du droit international

commandent d'attribuer aux annexions et cessions de territoire sur la nationalité des habitants;

b) L'histoire des annexions et cessions antérieures à 1815;

c) Les stipulations des principaux traités conclus par la France depuis cette époque.

Généralités.

Tout démembrement de territoire est et doit être une cause d'acquisition et de perte de la nationalité.

A première vue, il paraît difficile qu'il en soit ainsi. On s'accorde en effet, généralement, à reconnaître que la nationalité n'est plus, comme à l'époque féodale, une dépendance du sol habité, mais qu'elle résulte d'un contrat formé et entretenu par la volonté de l'État et par celle du citoyen. Or ce contrat, cet accord de volontés, un remaniement territorial le laisse debout et n'y porte par lui-même aucune atteinte directe.

Nous répondrons qu'il est hors de doute qu'une cession de territoire ne peut définitivement imposer une nationalité nouvelle à qui n'en veut pas. Les habitants de la province démembrée sont libres de demeurer attachés à leur patrie d'origine, mais l'État cessionnaire a le droit strict de leur interdire un séjour dangereux pour l'ordre de choses nouveau et d'exiger que tous les sujets de l'État cédant qui prétendent conserver leurs anciens rapports avec le sol annexé reconnaissent son autorité. Autrement, il n'y acquerrait qu'une souveraineté matérielle et nominale, et, en présence d'habitants obéissant à un Gouvernement étranger et à des lois étrangères, ses droits seraient le plus souvent réduits à l'impuissance; le but de l'annexion serait manqué. Le droit qui appartient à l'individu de choisir sa patrie se heurte donc à l'intérêt de l'État annexant; et le seul moyen de les concilier consiste à attacher à toute modification territoriale un effet immédiat de dénationalisation, sauf aux personnes dont elle affecte la condition à décliner l'allégeance de la Puissance cessionnaire, par une manifestation non équivoque de leurs sentiments.

Ainsi, dans notre opinion, les habitants de la province cédée, et nous verrons tout à l'heure ce qu'il faut entendre par là, deviennent, à compter de sa séparation, quel que soit leur sexe ou leur âge, sujets de l'État annexant, sous la condition résolutoire d'une option

contraire.

Demandons-nous maintenant:

1° Quelles personnes doivent subir la dénationalisation résultant d'une cession de territoire;

2o A quelles conditions il doit leur être permis de s'y dérober.

1° Quelles personnes doivent subir la dénationalisation résultant d'une cession de territoire?

Mettons tout d'abord à part une nombreuse catégorie d'habitants. Il n'est pas douteux que la cession d'une province ne peut modifier l'état des sujets d'une tierce Puissance, qui y ont leur domicile ou leur résidence. Le traité conclu entre l'État cédant et l'État cessionnaire est pour eux res inter alios ucta, puisqu'ils n'y ont pas été représentés; et l'État cessionnaire n'a contre eux d'autre arme que le droit d'expulsion qui lui appartient contre tout étranger. Les sujets de l'État démembré, qu'un lien quelconque rattache au territoire cédé, sont donc seuls susceptibles d'en subir les conséquences.

Mais ce lien, de quelle nature et de quelle force doit-il être?

Divers systèmes ont été proposés à cet égard, qui tous ont pour base soit le domicile, soit l'origine, soit ces deux éléments combinés entre eux. Il importe de les mettre en présence.

Premier système. - Domicile.

Tout sujet de l'État cédant, qui est domicilié au jour de l'annexion sur le territoire séparé, appartient désormais à la nationalité de l'État cessionnaire et ce changement de patrie résulte, dit-on, d'une double présomption de volonté.

Les vues de l'État cessionnaire ne se trouveront réalisées que par l'incorporation de ceux qui ont leur domicile sur le sol annexé. Ce que cet État veut obtenir, c'est que ses possessions ne soient pas désormais habitées par des étrangers, rebelles à sa domination et fidèles aux souvenirs du passé; et pour cela il est indispensable d'attribuer sa nationalité à tous ceux qui sont établis avec quelque fixité sur le sol annexé, quel que soit d'ailleurs le lieu de leur naissance ou leur filiation. Peu importe au conquérant que les originaires du pays cédé, qui l'ont abandonné pour se fixer au loin et qui n'y reviendront peutêtre jamais, conservent l'allégeance de leur ancienne patrie.

D'un autre côté, l'individu domicilié sur le territoire annexé y a des intérêts nombreux, que la cession respecte; et c'est bien connaître la nature humaine que de supposer chez lui, à moins d'une affirmation contraire de volonté, l'intention d'accepter l'état de choses nouveau. L'originaire de la province cédée, qui n'y a pas conservé son domi

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