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droit d'option, ce serait en fait le priver pendant un laps de temps plus ou moins long de toute nationalité; d'autre part, comme il ne s'agit pas de lui donner une patrie nouvelle, mais de lui rendre celle qu'il tient de sa naissance et à laquelle les événements politiques l'ont momentanément arraché, on peut sans inconvénient faire abstraction des principes généraux qui régissent la capacité des personnes, au point de vue du changement de nationalité.

Dans un troisième système, qui nous paraît théoriquement le meilleur, on admet bien le droit d'option de l'enfant mineur, mais on retarde jusqu'à sa majorité l'exercice de ce droit. Ce système présente de nombreux avantages: il tient compte de la règle qui subordonne à la capacité de l'intéressé tout changement de patrie; il applique au mineur le vieil adage: Contra non valentem agere non currit præscriptio. D'ailleurs ne permet-il pas mieux que tout autre de déterminer avec quelque certitude si le consentement de l'optant est sincère, s'il n'a pas été surpris, sous couleur d'autorisation, par ceux dont il dépend encore? En donnant à l'enfant un droit d'option actuel, on arriverait souvent à annihiler en fait sa volonté et à lui substituer celle de ses protecteurs légaux; ce qui nous ramène aux inconvénients du premier système. Enfin on peut invoquer, en faveur de cettre troisième opinion, l'esprit général de la législation française, qui, dans des hypothèses analogues, suspend jusqu'à la majorité de l'enfant l'exercice de son droit d'option.

Résumant les notions théoriques qui viennent d'être exposées, nous formulerons les propositions suivantes :

1° Toute cession de territoire dénationalise ipso facto les sujets de l'État cédant domiciliés sur le sol annexé, et ne dénationalise que ceux-là.

2o Toute personne domiciliée, quel que soit son âge ou son sexe, a un droit personnel d'option pour la nationalité de l'État démembré; seulement l'exercice de ce droit doit être différé pour le mineur jusqu'à l'époque de sa majorité, telle qu'elle est déterminée par la législation de l'État cessionnaire.

3° L'option valablement exprimée rétroagit au jour de la cession.

Annexions et cessions de territoire antérieures à 1815. Les législations de l'antiquité n'attribuaient pas nécessairement aux habitants du territoire conquis la nationalité du vainqueur.

Les cités de la Grèce se contentaient de les réduire à la servitude,

d'en faire des Périèques, des Ilotes, et refusaient de partager avec eux un droit de cité dont elles étaient très jalouses à l'origine.

Rome, plus prévoyante, suivit dans les premiers jours de son histoire une politique différente: elle assimila les vaincus aux conquérants et, en leur donnant les mêmes droits, les intéressa par cela même au maintien et au développement de sa puissance. C'est ainsi que Romulus ouvrit la cité aux Sabins, et ses successeurs agirent de même à l'égard des Albains et des autres peuples italiques, préparant par leur absorption la grandeur future de l'État romain. Plus tard cependant les circonstances obligèrent les Romains à renoncer à un système qui, à l'origine, avait été aussi habile qu'humain. Leur empire une fois fondé, il eût été imprudent d'en ouvrir trop libéralement l'accès à des cités à peine soumises et nourrissant encore quelque espoir de revanche, à des populations bien supérieures en nombre à celle de la Rome primitive, et séparées d'elle par la race et par les mœurs. Aussi voit-on Rome, devenue puissante, se montrer de moins en moins généreuse à l'égard des vaincus: tantôt elle leur concède la civitas sine suffragio ou même sine connubio, tantôt le jus Latii, jusqu'au jour où la constitution de Caracalla, inspirée par des considérations fiscales, vint étendre à tous les sujets de l'Empire le plenum jus civitatis. Dès lors il n'y eut plus à Rome, comme aux premiers temps de son existence, en dehors des barbares et des esclaves, que des citoyens romains.

Quelle était en France, sous l'ancien régime, l'influence du remaniement territorial sur la nationalité des habitants?

Malgré quelques dissentiments entre nos vieux jurisconsultes, parmi lesquels Dumoulin et Choppin subordonnaient à un acte exprès de la couronne, à des lettres patentes par exemple, l'incorporation à la France des habitants du territoire conquis, il paraît certain que l'annexion avait pour effet nécessaire de les délier de l'allégeance de l'État cédant et de les soumettre à celle de l'État cessionnaire. Alors même que cette doctrine ne serait pas conforme au principe qui dominait notre ancien droit et qui attribuait aux individus la nationalité du sol, elle est autorisée par la formule même du préambule dont étaient précédés les traités, emportant annexion de territoire à la France, et dont il résulte bien que les habitants du sol annexé deviennent ipso facto sujets du roi de France. Pothier d'ailleurs la confirme en ces termes : « Lorsqu'une province est réunie à la couronne, ses habilants doivent être regardés comme naturels français, soit

qu'ils y soient nés avant ou après la réunion. Il y a même lieu de penser que les étrangers qui seraient établis dans ces provinces et y auraient obtenu, suivant les lois qui y sont en vigueur, les droits de citoyen, devraient après la réunion être considérés comme citoyens, ainsi que les habitants originaires de ces provinces, ou du moins comme des étrangers naturalisés en France1. »

Jusqu'à la fin du règne de Louis XIII, les traités avaient fait bon marché de la volonté des habitants de la province démembrée, en ne leur laissant aucun moyen de recouvrer leur nationalité d'origine. C'est en 1640 que nous voyons apparaître, dans le traité de capitulation d'Arras, une clause permettant aux habitants des villes cédées à la France de se soustraire par l'émigration, c'est-à-dire par une option tacite, à l'allégeance du vainqueur, et une clause semblable se retrouve dans la plupart des traités d'annexion postérieurs. La même règle est appliquée par Pothier aux individus habitant un territoire. détaché de la France2.

Le changement de nationalité résultant de l'annexion à la France atteint, dans notre ancien droit, non seulement les sujets de l'État démembré domiciliés sur le territoire cédé, mais encore tous ceux qui y sont nés, pourvu qu'ils ne se trouvent dans aucune des situations qui font perdre la qualité de Français. Domiciliés et originaires échangent donc, sauf émigration, leur nationalité première contre celle de l'État cessionnaire; c'est une conséquence du principe ancien qui faisait de la nationalité une dépendance du sol.

La Révolution et le premier Empire semblent être restés fidèles aux principes antérieurs, dans les divers agrandissements que des guerres ou des négociations heureuses ont apportés au territoire français, de 1792 à 1814. Le traité de Campo-Formio, du 17 octobre 1797 (art. 9 in fine), celui relatif à la cession de Mulhouse, du 28 janvier 1798 (art. 3), celui relatif à la cession de Genève, du 26 avril de la même année (art. 2), celui d'Amiens, du 27 mars 1802 (art. 13), ouvrent aux habitants des territoires annexés un délai pendant lequel ils pourront, par une émigration et par la vente de leurs biens, conserver leur nationalité d'origine. En ce qui touche les personnes dénationalisées par l'annexion, encore que les traités de cette période ne fassent ordinairement mention que des habitants de la province

1 Pothier, Traité des personnes, part. I, titre II, sect. 1re.

2 Pothier, loc. cit.

réunie à la France, la jurisprudence incline à admettre que cette dénomination comprenait même les originaires non domiciliés, que l'annexion de leur lieu de naissance aurait ainsi rendus Français.

Le traité du 30 avril 1814, qui mit fin à l'épopée impériale, dispose, dans son article 17, que, sur tous les territoires qui « doivent ou devront changer de maître tant en vertu du présent traité que des arrangements qui doivent être faits en conséquence, il sera accordé aux habitants, naturels et étrangers, de quelque condition et nation qu'ils soient, un espace de six ans à compter de l'échange des ratifications, pour disposer, s'ils le jugent convenable, de leurs propriétés et se retirer dans tel pays qu'il leur plaira de choisir ». Ce texte, quoi qu'on en ait dit, nous paraît devoir être interprété conformément aux précédents et à l'opinion des anciens auteurs; il consacre au profit des habitants frappés par le démembrement de 1814 un droit d'option tacite, leur permettant de demeurer Français, à la condition de transporter hors du territoire rétrocédé leurs personnes et leurs biens'.

Ainsi, nous plaçant à la fin de l'Empire, nous pouvons dire que le droit des gens conventionnel attribue à toute annexion de territoire un effet immédiat de dénationalisation; mais qu'il autorise en même temps les habitants de la province cédée à se soustraire par une émigration, c'est-à-dire par une option tacite, à l'allégeance de l'État an

nexant.

Traités d'annexion ou de cession conclus par la France depuis 1815. Le Code civil s'était bien gardé de parler des modifications qu'un remaniement territorial peut apporter à la nationalité des habitants. La prudence, aussi bien que l'orgueil, le défendait à ses rédacteurs. D'une part en effet, la prévision de conquêtes futures eût manifesté chez le Gouvernement français des vues ambitieuses, bien faites pour exciter la défiance des autres nations; de l'autre les succès de nos armes repoussaient en 1804 l'hypothèse d'un démembrement du

1 Toutefois le Gouvernement de la Restauration, craignant de paraitre légitimer les conquêtes de la République et de l'Empire, s'est écarté de cette interprétation bienveillante par la loi du 14 octobre 1814. D'après cette loi, les habitants des provinces démembrées en 1814, n'avaient, nonobstant leur émigration sur le sol français, d'autre droit et d'autre qualité que les étrangers ordinaires; et le seul moyen qui leur était offert pour revenir à la nationalité française éfait la naturalisation. Mais, en considération des années qu'ils avaient vécues sous l'allégeance française, la loi de 1814 les affranchit de quelques-unes des conditions assez rigoureuses auxquelles la constitution de frimaire an VIII, encore en vigueur sur ce point, subordonnait alors en France l'admission des étrangers au droit de cité.

sol de la patrie. Mais les événements ont été plus forts que la prudence et que l'orgueil. Après les bouleversements de 1814 et de 1815, l'annexion de la Savoie et du comté de Nice, celle de Menton et de Roquebrune, la cession douloureuse de l'Alsace-Lorraine à l'empire allemand, enfin l'annexion de l'île de Saint-Barthélemy à la France sont venues soulever à nouveau des questions délicates de nationalité. Un caractère commun à ces dernières annexions ou cessions de territoire, c'est que désormais l'option tacite, celle qui résulte d'une émigration, n'est plus regardée comme une manifestation suffisante de volonté; une déclaration formelle devient nécessaire.

a) Annexion de la Savoie et du comté de Nice à la France.

Le traité franco-sarde du 24 mars 1860, qui a réuni la Savoie et le comté de Nice à la France, confère hic et nunc la nationalité française à tous les individus domiciliés sur le territoire annexé, et à tous ceux qui y sont nés, consacrant ainsi le troisième système que nous avons exposé ci-dessus.

Article 6 « Les sujets sardes, originaires de la Savoie et de l'arrondissement de Nice, ou domiciliés actuellement dans ces provinces, qui entendront conserver la nationalité sarde, jouiront, pendant l'espace d'un an à partir de l'échange des ratifications, et moyennant une déclaration préalable faite à l'autorité compétente, de la faculté de transporter leur domicile en Italie, et de s'y fixer, auquel cas la qualité de citoyen sarde leur sera maintenue. >>

Les négociateurs de ce traité se sont tout d'abord préoccupés d'assurer à l'annexion de la Savoie et du comté de Nice la libre adhésion de leurs habitants, afin de le rendre inattaquable au point de vue du droit international public; et le moyen auquel s'arrêtèrent les Puissances contractantes pour s'édifier sur le vœu des populations fut un plébiscite, dont le résultat, favorable à la France, a été ratifié par le Parlement sarde.

Mais encore fallait-il, en dépit de cette manifestation plébiscitaire, sauvegarder les droits de la minorité opposante, de ceux qui prétendaient conserver la nationalité sarde. Pour eux le traité de 1860 a organisé un droit d'option, dont nous allons maintenant étudier le mécanisme.

1° A quelles personnes appartenait-il, aux termes du traité de 1860, d'opter pour la nationalité sarde?

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