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c) Un sujet hollandais, âgé de plus de vingt et un ans, mais mineur de vingt-trois ans, c'est-à-dire incapable, suivant sa législation nationale, obtient le droit de cité en France, où l'âge de vingt et un ans est suffisant pour la naturalisation.

Le même conflit se présente que dans les deux hypothèses qui viennent d'être examinées. Le Gouvernement néerlandais revendiquera l'émigré comme son national, et le Gouvernement français lui maintiendra la nationalité qu'il lui a conférée; cet individu aura donc deux patries. La difficulté se trouverait résolue, si la loi française faisait dépendre, ainsi que nous en avons déjà exprimé le vœu, la naturalisation d'un sujet étranger, de la preuve qu'il est en règle avec sa patrie d'origine, ou tout au moins si elle l'obligeait à justifier, d'une part qu'il est majeur et capable, suivant les lois du pays dont il sollicite l'admission, de l'autre qu'il est capable de renoncer à sa nationalité première, suivant les lois de l'État auquel il s'est rattaché jusque-là. Une règle semblable se rencontre dans la loi allemande du 1er juin 1870 (art. 8), dans le Code civil portugais (art. 19), dans la loi fribourgeoise du 15 mai 1877.

d) La Constitution de l'État de Salvador du 4 décembre 1883 conserve à la femme ressortissant à cet État sa nationalité d'origine, lorsqu'elle épouse un étranger (art. 42). Si donc son mari est Français, elle relèvera en même temps de deux patries, puisque l'article 12 du Code civil lui confère de plein droit la qualité de Française. Cet article devrait être modifié, de manière à n'associer la femme à la nationalité de son mari, que dans le cas où sa loi personnelle aurait attaché à son mariage un effet de dénationalisation; à ce prix seulement on préviendra pour elle les inconvénients qui résultent d'une double patrie.

e) Si le mariage d'une étrangère avec un Français a pour conséquence possible de lui donner deux nationalités à la fois, inversement il pouvait se faire, avant la loi de 1889, que le mariage d'une femme française avec un sujet étranger la laissât sans patrie; c'est ce qui arrivait si la législation de l'État dont relevait son mari ne lui attribuait pas la nationalité de ce dernier. En effet, tout ce que pouvait faire la loi française, c'était de retirer à la femme sa nationalité d'origine, dont le maintien était jugé incompatible avec ses devoirs nouveaux; mais il ne lui était pas permis, sans dépasser les limites de sa souveraineté, de déclarer que la patrie de son mari serait désormais la sienne. Ce conflit sera évité à l'avenir dans notre pays par l'ar

ticle 19 du Code civil, qui subordonne la dénationalisation de la femme française à l'acquisition de la nationalité de son mari.

f) Un sujet français se fait naturaliser dans un pays où l'admission au droit de cité produit des effets collectifs, et s'applique de plein. droit aux enfants mineurs du bénéficiaire, en Suisse par exemple. Quelle sera, au point de vue de la nationalité, la situation des enfants encore soumis à sa puissance?

En France, ils seront considérés comme n'ayant pas cessé d'être Français, puisque la naturalisation conférée en pays étranger est, dans notre jurisprudence actuelle, réputée personnelle à celui qui l'obtient. En Suisse, au contraire, ils seront censés compris dans la naturalisation de leur père; et ainsi ils seront réclamés par deux patries qui, toutes deux, prétendront les assujettir aux obligations qu'engendre le droit de cité, notamment au service militaire.

Le Gouvernement français s'est ému de cet état de choses et a obtenu des autorités suisses une concession importante. Le traité conclu entre la France et la Suisse le 23 juillet 1879, et promulgué par décret du 7 juillet 1880, dispose, dans son article 1er, « que les individus dont les parents, Français d'origine, se font naturaliser Suisses, et qui sont mineurs au moment de cette naturalisation, auront le droit de choisir, dans le cours de leur vingt-deuxième année, entre les deux nationalités française et suisse. Ils seront considérés comme Français jusqu'au moment où ils auront opté pour la nationalité suisse ». Ce texte fait, on le voit, aux enfants mineurs du Français naturalisé Suisse, une situation identique à celle que la loi française du 7 février 1851 (art. 2) avait faite aux enfants mineurs de l'étranger naturalisé Français; il leur donne un droit d'option, dont l'exercice est retardé jusqu'à leur majorité, et recule en conséquence pour eux l'application de la loi militaire. L'option pour la nationalité suisse résulte d'une déclaration faite par l'intéressé devant l'autorité municipale française ou suisse du lieu de sa résidence. S'il réside sur le territoire d'une tierce Puissance, il peut faire sa déclaration devant un agent diplomatique ou consulaire, français ou suisse. A défaut d'une semblable déclaration effectuée dans le cours de sa vingt-deuxième année, il est regardé comme n'ayant pas cessé d'être Français. Le service militaire ne lui est imposé en France qu'après sa vingt-deuxième année révolue. Toutefois il peut, sur sa demande, remplir, dès avant sa majorité, ses obligations militaires ou s'engager dans l'armée française, à la condition de renoncer, avec le consentement de ses représentants légaux,

à son droit d'option pour la nationalité suisse (Traité de 1879, art. 2 et 3). Enfin le traité dispose que toute déclaration d'option ou de renonciation au droit d'opter devra être communiquée par le Gouvernement qui l'a reçue à l'autre Gouvernement (art. 4).

Le traité franco-suisse de 1879 a donc heureusement résolu, dans les rapports de la France et de la République voisine, le conflit qui naît des différences de législations relativement aux effets de la naturalisation. En attendant que l'unité soit faite sur ce point dans les divers Codes, que partout la naturalisation soit individuelle ou collective, la conclusion de traités semblables avec les États si nombreux, qui associent les enfants mineurs à la naturalisation de leur père, s'impose à la sollicitude du Gouvernement français.

LIVRE DEUXIÈME

DE LA CONDITION CIVILE DES ÉTRANGERS.

Par le seul fait qu'il existe, l'homme a des droits à exercer et des devoirs à remplir. Les facultés qu'il a reçues en naissant veulent être développées et mûries; et c'est pour lui un droit en même temps qu'un devoir d'accomplir tous les actes qui tendent à la réalisation de ce but. Le rôle de la société est précisément de protéger le libre exercice des facultés individuelles, d'aider, par un concours incessant, chacun à remplir sa mission selon ses moyens et selon ses forces, sur quelque terre qu'il habite, quels que soient son âge, son sexe, sa nationalité, sa religion.

A côté de ces droits primordiaux, que nous appellerons droits naturels, parce qu'ils sont étroitement liés à la nature humaine et parce qu'ils appartiennent à tout homme, en vertu de la mème loi naturelle qui lui a donné l'existence, l'analyse juridique découvre d'autres facultés qui sont le produit d'une civilisation relativement raffinée, d'un état social particulier. Tandis que les droits naturels, tels que le droit de mariage et le droit de propriété, doivent en principe être reconnus partout aux étrangers, comme une conséquence impérieuse de leur personnalité humaine, on comprend que les législations positives réservent parfois aux seuls nationaux les droits non essentiels que des nécessités contingentes ont fait naître et qui ne sont pas indispensables à l'existence. Ce n'est pas à dire que les étrangers doivent toujours être exclus de leur bénéfice : l'exclusion est une arme dont l'État sur le sol duquel ils se trouvent est pourvu contre eux, mais dont son intérêt bien entendu lui conseillera le plus souvent d'atténuer les coups. En un mot, la jouissance des droits naturels est le minimum de protection et de garanties que l'étranger puisse invoquer en dehors de son territoire national; mais la jouissance des autres droits pourra lui être concédée au gré de l'État qui lui offre l'hospitalité, pourvu qu'ils soient compatibles avec le maintien de sa nationalité étrangère.

CHAPITRE PREMIER

HISTOIRE DE LA CONDITION DES ÉTRANGERS.

Sommaire.

I. L'étranger chez les peuples théocratiques de l'antiquité.

II. L'étranger chez les peuples commerçants ou conquérants de l'antiquité.
III. Les barbares et la féodalité.

IV. L'ancien droit monarchique français.

V. Le droit intermédiaire.

TITRE I

L'étranger chez les peuples théocratiques de l'antiquité.

Un caractère commun à toutes les théocraties, c'est-à-dire à toutes les sociétés dominées et absorbées par l'idée religieuse, c'est le mépris de l'étranger. Le national est l'élu de la Divinité; l'étranger est un être impur, exclu de la religion, et par suite de tous les droits dont elle est la source: « Le citoyen, dit M. Fustel de Coulanges, c'est l'homme qui possède la religion de la cité; c'est celui qui honore les mêmes dieux qu'elle..... L'étranger, au contraire, est celui qui n'a pas accès au culte, celui que les dieux de la cité ne protègent pas et qui n'a pas même le droit de les invoquer. Car ces dieux nationaux ne veulent recevoir de prières et d'offrandes que du citoyen; ils repoussent l'étranger; l'entrée de leurs temples lui est interdite et sa présence pendant les cérémonies est un sacrilège » 1.

Aussi toutes les législations théocratiques de l'antiquité établissent

1 Fustel de Coulanges, La cité antique, liv. III, chap. 12.

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