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pas la pensée de ses rédacteurs? Ce projet était ainsi conçu : « L'étranger qui aura fait la déclaration de vouloir se fixer en France pour y devenir citoyen, et qui aura résidé un an depuis cette déclaration, y jouira de la plénitude des droits civils ». Le but de la disposition proposée était de faciliter et de rendre moins pénible à l'étranger l'accomplissement des conditions prescrites par la Constitution de l'an VIII, pour l'acquisition de la nationalité française, à savoir une résidence de dix années consécutives sur le sol français, venant se joindre à une déclaration préalable de volonté. Sur le désir exprimé par le Premier consul, l'article fut ainsi modifié : « L'étranger qui aura été admis à faire en France la déclaration de vouloir devenir citoyen, et qui aura résidé un an depuis cette déclaration, y jouira de tous les droits civils, tant qu'il continuera d'y résider ». Dans ce texte qui, sauf la disposition relative au délai d'un an et la substitution de l'autorisation gouvernementale à la déclaration d'intention, est identique à l'article 13 actuel, apparaît la préoccupation unique du législateur d'affranchir le candidat à la naturalisation des rigueurs du droit commun, de lui rendre le stage supportable par la concession des droits civils, mais il n'est pas question de subordonner pour lui à cette concession l'acquisition d'un domicile véritable sur le sol français.

Reste l'article 102. Si cet article ne parle que du domicile du Français, c'est, d'une part, parce qu'il a en vue l'hypothèse la plus fréquente; de l'autre, parce que son but est de distinguer le domicile politique, dont il ne peut bien certainement être question pour l'étranger, du domicile civil. L'article 102 a moins pour objet de définir le domicile, de désigner les personnes qui peuvent avoir un domicile que d'indiquer l'endroit où il se trouve; et les éléments de fait qui concourent à le former, c'est-à-dire une habitation réelle dans un lieu, jointe à l'intention d'y fixer son principal établissement (C. civ., art. 103), peuvent aussi bien se rencontrer chez l'étranger que chez le national.

Objectera-t-on qu'en plaçant le domicile au lieu du principal établissement, le législateur exige, chez le domicilié, une absence d'esprit de retour, qui ne peut être présumée chez l'étranger demeuré étranger, et n'ayant demandé aucune autorisation au Gouvernement français? Mais l'absence d'esprit de retour n'est pas un des éléments essentiels du domicile. Le mineur domicilié jusqu'à sa majorité chez son tuteur, le domestique domicilié chez le maître qui emploie habituel

lement ses services, n'abdiquent pas toute pensée de retour à leur domicile d'origine. Rien n'empêche une personne d'avoir à un moment donné son principal établissement dans un endroit où elle n'entend pas se fixer à perpétuelle demeure. Et c'est pourquoi nous admettons aussi le Français à établir son domicile en pays étranger, encore qu'il n'ait pas quitté la France sans esprit de retour.

Un dernier argument est fourni à notre thèse par la loi du 23 août 1871 sur l'enregistrement, dont l'article 4 soumet « aux droits de mutation par décès les fonds publics, actions, obligations, etc., dépendant de la succession d'un étranger domicilié en France, avec ou sans autorisation », reconnaissant ainsi que l'autorisation gouvernementale n'est pas pour l'étranger en France une condition indispensable du domicile.

Nous concluons donc que l'étranger, même non autorisé, peut avoir sur le sol français un domicile légal, dans les termes de l'article 102 du Code civil, comme il le pouvait déjà dans le dernier état de notre ancien droit.

2° A quelles conditions l'article 13 du Code civil subordonne-t-il l'admission à domicile d'un étranger?

L'étranger, désireux d'obtenir la jouissance des droits civils sur notre territoire, doit satisfaire à une double condition: a) avoir été autorisé par un décret du Chef de l'État à fixer son domicile en France; b) avoir effectivement établi sa résidence sur le sol français. a) Première condition.

L'étranger qui sollicite son admission à domicile, doit adresser au garde des Sceaux une requête sur papier timbré et y joindre d'une part un extrait traduit et dûment légalisé de son acte de naissance, et un extrait de son casier judiciaire et de celui de son père; de l'autre la soumission d'acquitter les droits de sceau, qui s'élèvent à 175 fr. 23. Une enquête administrative, à laquelle il est procédé, à Paris par le préfet de police, ailleurs par le préfet du département, fait la lumière sur la moralité et sur les moyens d'existence du postulant; et c'est au vu des résultats de cette enquête que le ministre de la justice propose au chef de l'État, s'il y a lieu, d'autoriser par décret l'étranger à fixer son domicile en France. Cette autorisation est révocable.

b) Deuxième condition.

L'étranger admis à domicile doit avoir effectivement établi sa rési

dence sur notre territoire. Une habitation fictive ou passagère ne saurait suffire; aussi à toute interruption de quelque durée dans cette résidence vient correspondre une interruption dans les effets de l'autorisation, c'est-à-dire dans la jouissance des droits civils. Et le décret d'autorisation non suivi d'un transfert de résidence sur le sol français n'exercerait aucune influence sur la capacité de l'étranger.

3° Quels sont les principaux effets de l'admission à domicile?

Tous les droits privés que la loi française enlève expressément à l'étranger ordinaire, aussi bien que ceux dont la jurisprudence, par une interprétation souvent excessive, lui dénie l'exercice, peuvent être réclamés en France par l'étranger admis à domicile. C'est à juste titre qu'il invoquera tous les attributs, quels qu'ils soient, de la puissance paternelle; rien ne l'empêchera d'y gérer la tutelle de ses parents ou alliés, d'y adopter ou d'y être adopté, de se prévaloir d'une hypothèque légale, de participer aux coupes affouagères. De mème, avant la loi du 14 juillet 1819, l'étranger autorisé à fixer son domicile en France ne tombait pas sous le coup des articles 726 et 912 du Code civil; et l'article 2 de cette loi qui accorde un droit de prélèvement à l'héritier français en concours avec un étranger ne pourrait, dans notre opinion, lui être opposé; bien au contraire, nous pensons qu'il serait lui-même reçu à l'invoquer à l'encontre d'un cohéritier étranger non admis à domicile.

Enfin, ainsi que nous le verrons ci-dessous, les privilèges de compétence et de procédure que la loi et la jurisprudence reconnaissent aux Français, ainsi que le bénéfice de la cession des biens, sont compris dans la concession qui résulte pour l'étranger de l'autorisation de domicile.

De toute manière l'admission à domicile ne rétroagit pas; ses effets se restreignent à l'avenir.

C'est un point encore débattu que celui de savoir si l'étranger autorisé à fixer son domicile en France relève désormais, même en ce qui touche son état et sa capacité, de la loi française, ou s'il continue à être régi par sa législation nationale. Nons adopterons cette dernière solution dans notre livre troisième, où il sera traité du Conflit des lois.

CHAPITRE III

DES PERSONNES MORALES ÉTRANGÈRES DANS

LE DROIT FRANÇAIS ACTUEL.

Sommaire.

I. Des personnes morales étrangères en général.

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De la formation des personnes morales; de leur nationalité.
Condition juridique des personnes morales étrangères.

II. Des sociétés commerciales étrangères.

Section I.
Section II.
Section III.

Considérations générales.

De la personnification des sociétés étrangères en France. - Des droits et obligations des sociétés étrangères en France.

TITRE I

Des personnes morales étrangères en général.

SECTION I. De la formation des personnes morales;

de leur nationalité.

Jusqu'ici nous n'avons envisagé, sous le nom de personne, que l'homme, considéré soit dans la nation, soit dans la famille dont il est membre. En lui reconnaissant certains droits, en le soumettant à certaines obligations, le législateur ne fait que déduire les conséquences nécessaires de sa nature humaine; sa mission se borne à constater, à réglementer un fait indépendant de son intervention, le fait de l'existence.

Mais à côté de l'homme, dont l'individualité s'impose à la loi et la

domine, apparaissent certains êtres qui, bien que dépourvus de réalité physique, sont réputés, au regard de la loi, capables d'avoir des intérêts, des droits, des obligations. Ces êtres fictifs portent le nom de personnes morales, ou de personnes civiles, et on les oppose à l'homme, personne physique ou naturelle.

A quelle utilité vient répondre l'institution des personnes morales? Ainsi qu'il est facile de s'en convaincre, en embrassant d'un rapide coup d'œil les personnes morales si nombreuses, que reconnaît la loi française, leur création repose toujours sur l'utilité générale. Ou bien, en effet, comme l'État, comme les Universités, comme les Facultés, elles sont le représentant et l'organe d'un intérêt national; ou bien, comme certaines associations charitables, elles poursuivent un but de moralisation et de bienfaisance, auquel l'État ne peut demeurer indifférent; ou bien encore, comme les associations syndicales, comme les sociétés de commerce, elles groupent une collection d'intérêts individuels qui, à raison de leur importance, de l'influence qu'ils exercent sur le développement de l'agriculture et de la richesse publique, méritent une protection toute particulière. C'est donc l'intérêt général que nous voyons présider à la naissance de toute personne morale.

Mais à quelle autorité appartient-il de discerner si cet intérêt existe et par suite de donner la vie juridique à une personne morale?

L'État, régulièrement constitué suivant les règles du droit international public, est de plein droit et par lui-même revêtu de la personnalité; c'est la personne nécessaire. En effet, il centralise et résume dans son unité tous les intérêts généraux du pays; il est chargé d'assurer à chacun de ceux qui habitent son territoire les droits et les garanties que réclame le libre exercice de ses facultés. Cette mission, il ne peut utilement la remplir que s'il a lui-même certains droits à opposer à ceux de ses ressortissants, et pour qu'il ait des droits à faire valoir, il faut qu'il soit une personne. Par cela seul qu'il est, il est une personne.

C'est de l'État que toute personne morale tient son existence et ses droits; la reconnaissance expresse ou tacite de la puissance publique est indispensable à sa formation. « L'individu ne peut créer des fictions, ni partant des êtres fictifs. Ce pouvoir n'appartient qu'à la loi1».

1 Dumoulin, Coutume de Paris, Des fiefs, titre I, § 1, no 40.

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