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sa loi personnelle qui, en organisant sa tutelle, a jugé qu'il était inutile de joindre aux sûretés qu'elle lui attribue vis-à-vis de son tuteur, la garantie d'une hypothèque. Autrement, plus favorisé que le pupille français, le mineur de nationalité étrangère pourrait se prévaloir cumulativement en France des mesures protectrices établies par sa propre législation, et de celles établies par la loi française. La loi qui régit la condition juridique du mineur, qui fixe les pouvoirs et les obligations de son tuteur, a seule qualité pour mesurer la somme de garanties que ce dernier doit offrir à celui dont il détient et gère la fortune.

C'est donc la lex tutelæ, la loi personnelle du pupille, qui décidera si une hypothèque légale doit ou ne doit pas lui être reconnue sur les biens de son tuteur; mais cette loi personnelle a, comme toujours, pour limite l'ordre public international. Si donc le tuteur d'un mineur français possède un immeuble sur le sol prussien où, ainsi que nous venons de le dire, le principe de l'hypothèque légale est repoussé, comme contraire au crédit et à l'intérêt de l'État, ce mineur ne sera pas admis à invoquer le bénéfice de celle qui lui est conférée par l'article 2121 du Code civil. De même encore, si, tout en reconnaissant au pupille une hypothèque légale, la loi du pays étranger où se trouvent situés les biens du tuteur, la soumet, dans un intérêt général, comme la loi italienne par exemple, à la double condition de la spécialité et de la publicité, dont elle est affranchie par la loi française, cette dernière devra céder à la lex rei sitæ.

D'autre part, il va sans dire que, lorsque la tutelle du mineur étranger a été provisoirement organisée en France conformément à la loi française, les biens appartenant à son tuteur sur le sol français seront toujours grevés d'une hypothèque légale, par application de cette dernière. Alors en effet l'incapable ne trouve dans sa loi personnelle aucune garantie équivalente à l'hypothèque ou propre à la suppléer. Lui refuser le bénéfice de l'article 2121 du Code civil, ce serait le laisser sans défense contre les dilapidations et les abus de gestion de son tuteur. La loi de la tutelle est, à titre provisoire tout au moins et dans une vue d'ordre public, la loi française; à elle seule il appartient de sanctionner, par une sûreté réelle, les obligations du tuteur qu'elle appelle à prendre soin du mineur étranger.

La loi personnelle du mineur, qui marque le point de départ de la tutelle, son lieu d'ouverture, la nature et l'étendue des fonctions du

tuteur, détermine aussi les événements qui doivent y mettre fio; enfin c'est elle qui préside à la liquidation de la tutelle, à la reddition des comptes du tuteur, à la prescription des demandes qui y sont relatives.

L'application de la loi nationale du mineur à l'organisation et au fonctionnement de la tutelle a été formellement consacrée par plusieurs traités internationaux.

C'est d'abord le traité franco-suisse du 15 juin 1869, dont l'article 10 est ainsi conçu :

<< La tutelle des mineurs et interdits suisses résidant en France sera régie par la législation de leur canton d'origine; et réciproquement la tutelle des mineurs et interdits français résidant en Suisse sera réglée par la loi française; en conséquence les contestations auxquelles l'établissement de la tutelle et l'administration de leur fortune pourront donner lieu seront portées devant l'autorité compétente de leur pays d'origine, sans préjudice toutefois des lois qui régissent les immeubles et des mesures conservatoires que les juges du lieu de la résidence pourront ordonner ».

C'est en second lieu l'importante convention du 12 juin 1902, cuvre de la Conférence de droit international privé réunie à La Haye. Cette convention signée par la France, l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, la Suède et la Suisse, contient les dispositions suivantes :

ART. 1er. -« La tutelle d'un mineur est réglée par sa loi nationale. ART. 2. «Si la loi nationale n'organise pas la tutelle dans le pays du mineur en vue du cas où celui-ci aurait sa résidence habituelle à l'étranger, l'agent diplomatique ou consulaire, autorisé par l'État dont le mineur est le ressortissant, pourra y pourvoir, conformément à la loi de cet État, si l'État de la résidence habituelle du mineur ne s'y oppose pas.

ART. 3. «Toutefois, la tutelle du mineur ayant sa résidence habituelle à l'étranger s'établit et s'exerce conformément à la loi du lieu, si elle n'est pas ou si elle ne peut pas être constituée conformément aux dispositions de l'article 1er ou de l'article 2.

ART. 4. « L'existence de la tutelle établie conformément à la disposition de l'article 3 n'empêche pas de constituer une nouvelle tutelle, par application de l'article 1er ou de l'article 2.

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Il sera, le

plus tôt possible, donné information de ce fait au Gouvernement de l'État où la tutelle a d'abord été organisée. Ce Gouvernement en informera, soit l'autorité qui aurait institué la tutelle, soit, si une telle autorité n'existe pas, le tuteur lui-même. La législation de l'État où l'ancienne tutelle était organisée décide à quel moment cette tutelle cesse dans le cas prévu par le présent article.

ART. 5.

<< Dans tous les cas, la tutelle s'ouvre et prend fin aux époques et pour les causes déterminées par la loi nationale du mi

neur.

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ART. 6. « L'administration tutélaire s'étend à la personne et à l'ensemble des biens du mineur, quel que soit le lieu de leur situation. Cette règle peut recevoir exception quant aux immeubles placés par la loi de leur situation sous un régime foncier spécial.

ART. 7. «En attendant l'organisation de la tutelle, ainsi que dans tous les cas d'urgence, les mesures nécessaires pour la protec tion de la personne et des intérêts d'un mineur étranger pourront être prises par les autorités locales.

ART. 8. — « Les autorités d'un État sur le territoire duquel se trouvera un mineur étranger, dont il importera d'établir la tutelle, informeront de cette situation, dès qu'elle leur sera connue, les autorités de l'État dont le mineur est le ressortissant. Les autorités ainsi informées feront connaître le plus tôt possible aux autorités qui auront donné l'avis si la tutelle a été ou si elle sera établie.

ART. 9. « La présente convention ne s'applique qu'à la tutelle des mineurs ressortissants d'un des États contractants, qui ont leur résidence habituelle sur le territoire d'un de ces États. Toutefois les articles 7 et 8 s'appliquent à tous les mineurs ressortissants des États contractants »>.

Émancipation et curatelle. En général le mineur n'est relevé des incapacités résultant de son âge qu'en devenant majeur; c'est alors qu'il devient maître de ses droits et qu'il échappe d'une manière presque complète à la puissance paternelle.

Mais l'incapacité persistante dont il est frappé dans la première période de sa vie présente parfois des inconvénients graves. La plupart des législations permettent au mineur sorti de l'enfance de contracter mariage. Or, comment pourra-t-on concilier les droits et les devoirs dont il est désormais tenu envers son conjoint et envers les enfants qui naîtront de son union, avec la soumission que la loi lui

impose vis-à-vis de son père ou de son tuteur? Réputé incapable de se protéger lui-même, ne le sera-t-il pas de veiller aux intérêts qui lui sont confiés? D'autre part, le développement des facultés précédant souvent, et de longtemps, la majorité légale, il peut se faire que le mineur entreprenne une industrie ou un commerce, parvienne à des fonctions, dont l'exercice réclame une certaine indépendance, incompatible avec le maintien intégral de l'autorité paternelle ou tutélaire. C'est en vue de donner satisfaction à ces besoins que la loi française, et avec elle plusieurs législations étrangères, ont emprunté au droit romain la théorie de l'émancipation; mais les conditions et les effets de cette émancipation ne sont pas partout les mêmes.

Par application de quelle loi résoudrons-nous les conflits de droit. international privé qui s'élèveront en cette matière?

L'émancipation influe sur l'état de l'enfant; elle l'investit d'une capacité dont il a été jusqu'alors privé par le fait de son âge. C'est donc à la loi personnelle du mineur qu'il faut s'attacher pour reconnaître s'il satisfait à toutes les conditions habilitantes que cette émancipation suppose, s'il a l'âge voulu, si les personnes sous l'autorité desquelles il est placé ont donné le consentement requis; de même les effets de l'émancipation sont régis par la loi du mineur; le tout bien entendu sous la réserve des exceptions que comporte l'application de toute loi personnelle sur un territoire étranger.

Un sujet anglais ne pourra valablement émanciper en France son enfant mineur, de nationalité anglaise comme lui, parce que la loi personnelle dont ce dernier relève ignore l'émancipation; mais en revanche, rien n'empêchera ce mineur d'invoquer chez nous les tempéraments que la législation anglaise apporte, dès avant sa majorité, aux incapacités qui résultent de son âge. On pourrait essayer de soutenir que le mariage d'un Anglais, célébré en France, produit son émancipation, en se fondant sur ce qu'il est de l'essence du mariage de soustraire le mineur à la dépendance de ses parents ou de son tuteur, que la loi française, qui fait résulter l'émancipation du mariage, est une loi d'ordre public international, obligeant à ce titre tous ceux, Français et étrangers, qui habitent le territoire. Il y a encore là une confusion entre les deux ordres publics, dont nous avons ci-dessus déterminé l'existence. Lorsque le Code civil attache l'émancipation au mariage de nos nationaux mineurs, il est guidé par l'intérêt des conjoints et de leurs enfants, qui s'identifie dans une large mesure

avec l'intérêt général de l'État; aussi comprend-on très bien que cette règle soit une règle d'ordre public interne, et que le Français mineur ne puisse se soustraire à la capacité à laquelle elle l'appelle. Mais, dans l'espèce, le mineur est étranger; son conjoint l'est ou le devient comme lui (C. civ., art. 19); et leurs enfants le seront aussi le plus souvent. Qu'importe dès lors à la France que leurs intérêts particuliers soient plus ou moins bien administrés! C'est à la loi étrangère d'y pourvoir; et la souveraineté territoriale n'a aucune raison pour entraver son application.

Au lieu de deux législations, dont l'une consacre, dont l'autre repousse la pratique de l'émancipation, supposons maintenant que le conflit s'élève entre deux législations qui l'admettent également, mais qui la subordonnent à des conditions et à des formalités différentes.

La loi italienne n'autorise l'émancipation du mineur qu'à dix-huit ans, tandis qu'en France elle est possible dès l'âge de quinze. Ces règles de capacité n'offensent en rien l'ordre public international dans le pays étranger où elles viennent à être invoquées; la doctrine de la personnalité du droit s'applique donc. Aussi le mineur italien ne pourra-t-il être émancipé sur le territoire français que s'il a dépassé ses dix-huit ans, et inversement le mineur français pourra-t-il, aussitôl après quinze ans, être affranchi en Italie de l'autorité paternelle ou tutélaire.

Autre conflit. Un mineur français est émancipé en pays étranger. Dans quelle forme sera-t-il procédé à cet acte? Appliquera-t-on la loi française, qui exige une déclaration formulée devant le juge de paix? ou se contentera-t-on d'observer la loi locale, aux termes de laquelle un acte sous seing privé est peut-être suffisant? Il n'y a aucune raison, croyons-nous, pour laisser ici de côté la règle Locus regit actum. Encore que dans notre droit l'émancipation constitue un acte solennel, les difficultés auxquelles se heurtera souvent sur le sol étranger l'observation exclusive des formes imposées par la loi française rendent aussi utile en notre matière qu'en aucune autre le tempérament que cette règle apporte à la personnalité rigoureuse du droit. D'ailleurs, il faut se garder de confondre le fond et la forme. N'appartiennent pas à la forme, et par conséquent au domaine de la règle Locus regit actum, certaines conditions habilitantes, comme celle qui soumet en France l'émancipation du pupille à l'assentiment préalable de son

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