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Nous estimons donc que l'article 12, §§ 2 et 3 ne s'applique ni à la femme, ni aux enfants de l'étranger qui opte pour la nationalité française, en se conformant à l'article 9, et qu'ils n'ont d'autre moyen de l'acquérir que de se soumettre personnellement aux conditions de la naturalisation ordinaire. Peut-être y a-t-il là un défaut d'harmonie, une lacune regrettable dans la législation nouvelle? Mais ils s'expliquent par la théorie jusqu'alors professée par la jurisprudence sur la rétroactivité des effets de l'option, et dans tous les cas, si l'interprète a le devoir de les signaler, il ne lui appartient pas de les effacer.

SECTION II.

L'enfant, né en France d'un étranger qui n'y est pas né lui-même, y est domicilié à l'époque de sa majorité.

« Est Français, dit l'article 8, 4° du Code civil, tout individu né en France d'un étranger et qui, à l'époque de sa majorité, est domicilié en France, à moins que, dans l'année qui suit sa majorité, telle qu'elle est réglée par la loi française, il n'ait décliné la qualité de Français et prouvé qu'il a conservé la nationalité de ses parents, par une attestation en due forme de son Gouvernement, laquelle demeurera annexée à la déclaration, et qu'il n'ait en outre produit, s'il y a lieu, un certificat constatant qu'il a répondu à l'appel sous les drapeaux, conformément à la loi militaire de son pays, sauf les exceptions prévues aux traités ».

Cette disposition ne figurait pas dans le texte d'abord voté par le Sénat. La distinction, établie par le droit antérieur entre l'enfant né en France d'un étranger lui-même né à l'étranger, et l'enfant né sur notre territoire d'un père étranger qui lui-même y est né, l'un Français sous condition suspensive, l'autre Français sous la condition résolutoire d'une option contraire, y était reproduite. Mais, entre ces deux situations, toutes deux soumises à des degrés divers à l'influence du jus soli, il n'y avait pas de place pour une situation intermédiaire. Le désir de rendre l'heimathlosat plus rare a fait prévaloir, à la Chambre des députés, et dans la rédaction définitivement adoptée pour la loi nouvelle, des idées quelque peu différentes.

Tout en conservant en principe à l'individu né d'un étranger sur le sol français la nationalité de son auteur, à moins d'une option formelle pour la France (C. civ., art. 9), on a considéré que l'enfant né en France d'un père qui lui-même y est né est un Français par

W.MAN.

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l'esprit, par les sentiments, par les mœurs, et que par conséquent il n'y a nul inconvénient à lui refuser le droit de se soustraire à cette qualité, en revendiquant, lors de sa majorité, la nationalité de son auteur (C. civ., art. 8-3°). Si l'un n'est, comme autrefois, Français que sous condition suspensive, l'autre est Français, qu'il le veuille ou non, et pour cesser de l'être, il n'a en général d'autres moyens que ceux que le droit commun met à la disposition de tous les Français.

Mais l'individu né sur notre territoire d'un étranger qui lui-même n'y a pas vu le jour peut cependant se rattacher à la France par des liens durables; il peut y avoir passé les années de son enfance et de sa jeunesse. Est-il juste de ne faire aucune différence, au point de vue de l'acquisition de la nationalité française, entre lui et l'enfant né en France par l'effet d'un hasard, qui n'y a jamais vécu, qui n'y a gardé ni habitation ni intérêts, de l'astreindre aux mêmes formalités et aux mêmes démarches?

La commission de la Chambre ne l'avait pas pensé de là l'article 8-4°, dans sa rédaction première : « Est Français... tout individu né en France d'un étranger qui, au moment de l'appel sous les drapeaux ou dans l'année qui suit la majorité de son enfant, y est établi depuis vingt ans au moins, à moins qu'au moment de son incorporation dans l'armée ou de sa majorité il n'ait décliné la qualité de Français et prouvé qu'il a conservé la nationalité de ses parents aux conditions et suivant les formes déterminées par la loi et les règlements, et, s'il y a lieu, qu'il a satisfait à la loi militaire de son pays, sauf les exceptions prévues aux traités ».

L'innovation proposée par ce texte, et dont l'idée paraît empruntée à l'article 8, § 1 du Code civil italien, se comprenait aisément. La résidence continuée pendant vingt ans par le père de l'enfant sur notre territoire renforce et confirme la présomption d'attachement à la France qui résulte de la naissance de ce dernier parmi nous. Tout indique en effet que, pendant cette période, il a lui-même demeuré au domicile paternel, qu'il y a reçu une éducation française. Quoi de plus naturel dès lors que d'exiger qu'il détruise, par un acte formel de sa volonté, une présomption si vraisemblable, qu'il décline la nationalité française qui lui est offerte par la loi1?

1 Dès 1831, on avait demandé, par voie d'amendement au projet de loi militaire, que l'individu né en France de parents étrangers, domiciliés depuis plus de vingt ans sur notre territoire, fût Français de plein droit et, comme tel, astreint au service

Cette extension du jus soli, du système appliqué par les lois de 1851 et de 1874 aux seuls étrangers nés en France dont les parents y étaient nés eux-mêmes, ne parut cependant pas suffisante.

A la résidence prolongée du père sur le sol français, la loi de 1889, telle qu'elle est sortie des dernières délibérations des Chambres, substitue une condition personnelle à l'enfant. Il suffit, pour que la qualité de Français soit acquise à ce dernier au jour de sa majorité. qu'il soit alors lui-même domicilié en France.

Et M. Delsol justifie de la manière suivante, dans son rapport au Sénat du 3 juin 1889, la règle nouvelle admise par l'article 8-4°. « L'enfant qui réunit cette double condition, d'être né en France et d'y être domicilié à l'époque de sa majorité, qui, par conséquent, doit être présumé l'avoir habitée pendant sa minorité, peut, à juste titre, être considéré comme lui étant attaché par des liens puissants. La France est son pays natal; il y a été élevé; il ne connaît point d'autre patrie. Pourquoi, dès lors, ne serait-il pas considéré comme un Français d'adoption? Cette présomption ne peut, d'ailleurs, lui causer aucun préjudice, car, arrivé à l'époque de sa majorité, il aura la faculté d'opter pour la nationalité étrangère et de demander qu'on lui applique le jus sanguinis. Le droit d'option, que le projet du Sénat accordait à l'enfant né en France d'un étranger qui lui-même y était né, se trouve ainsi transporté et rendu applicable uniquement à l'enfant né en France d'un étranger qui lui-même n'y est pas né, quand cet enfant réside en France à l'époque de sa majorité et est, par suite, considéré par la loi comme Français.

<< En second lieu, l'individu ainsi déclaré Français, se trouvant porté sur les tableaux de recensement, sera obligé, s'il veut échapper au service militaire, de décliner la qualité de Français dans l'année qui suivra sa majorité, et de prouver qu'il a conservé la nationalité de ses parents. Comme cette preuve sera rarement fournie, on fera disparaître, dans le plus grand nombre des cas, un abus déplorable, qui se produit fréquemment dans les départements voisins de la frontière, et contre lequel la conscience publique n'a pas cessé de protester. Avec la législation actuelle, les jeunes étrangers résidant

militaire. Il devait satisfaire à cette obligation dans l'année qui suivrait celle de sa majorité, à moins qu'il n'eût déclaré, dans le délai d'un mois à compter de cette époque, renoncer au bénéfice de l'article 9. Et l'amendement refusait le droit de faire cette déclaration à l'enfant dont le père, l'ayant faite pour son propre compte, aurait néanmoins continué à résider en France.

en France se soustraient à notre loi militaire en invoquant leur extranéité, et comme ils ne quittent pas le territoire, ils échappent aussi à la loi militaire de leur pays. Or, en agissant ainsi, ils n'éludent pas seulement une charge, qui serait l'équivalent bien naturel et bien légitime des avantages qu'ils ont trouvés en France; ils font en outre à nos nationaux une concurrence déloyale. Pendant que nos jeunes soldats sont à la caserne, ces étrangers continuent l'exercice de leur industrie ou de leur profession. Ils deviennent contre-maîtres, ils obtiennent des emplois lucratifs, et partout ils s'emparent des postes avantageux. Lorsque le soldat français revient du service, il trouve les bonnes positions occupées par eux et doit subir l'avance notable qu'ont prise sur lui ces concurrents privilégiés.

<<< En troisième lieu, on invoque un fait social qui prend une importance de jour en jour plus grande. Le nombre des étrangers qui viennent se fixer parmi nous est considérable..... Nous ne pouvons pas les rejeter tous hors de nos frontières, et cependant il y aurait péril à laisser se former ainsi sur notre territoire ces agglomérations d'étrangers, dont beaucoup peuvent être amenés à servir dans les armées ennemies, qui, dans aucun cas, ne serviraient dans les nôtres, et qui, dans les circonstances graves, seraient probablement pour nous un redoutable embarras? ne vaut-il pas mieux absorber ces étrangers dans la nationalité française, qui est si forte et si vivante, toutes les fois du moins que les circonstances de leur naissance ou de leur séjour permettent d'espérer qu'ils deviendront des citoyens dévoués à leur nouvelle patrie? A cet état social nouveau, ne faut-il pas une législation nouvelle? >>

Sans doute ces raisons sont excellentes; mais nous persistons à croire que la rédaction proposée par la commission de la Chambre leur aurait donné une satisfaction plus complète et aurait réalisé plus heureusement les vues du législateur.

En faisant à l'individu dont il s'occupe une situation privilégiée par rapport aux autres étrangers nés sur le sol français, l'article 8-4°, a sans aucun doute supposé qu'il se rattache à la France par des liens plus étroits que ces derniers; il veut que, pour avoir part à ses avantages, il joigne à sa naissance sur notre territoire un établissement effectif et durable. Le séjour de sa famille en France pendant vingt ans, au jour où il devient majeur, constituerait à cet égard une démonstration sans réplique, exclusive de tout hasard et de tout calcul.

Mais on a considéré qu'il serait parfois difficile de suivre, en remontant en arrière, pendant une période aussi longue, les parents de l'enfant né en France, à travers tous leurs déplacements, et de constater si la résidence qu'ils y ont faite eux-mêmes n'a subi aucune interruption appréciable; et l'on a cru sortir d'embarras en limitant les investigations de l'autorité française à un seul moment déterminé de la vie de l'enfant, à celui de sa majorité. Est-il alors domicilié en France, il est présumé, nous dit M. Delsol, l'avoir habitée pendant sa minorité. Et de son côté, M. Antonin Dubost, interprétant l'article 8-4°, affirme, dans son rapport supplémentaire du 28 février 1889, que la disposition nouvelle a pour objet « de déclarer Français les individus qui, nés en France, habitent encore notre pays à leur majorité ». Ainsi la pensée de la loi a été que, pendant l'intervalle qui sépare sa naissance de sa majorité, l'enfant a résidé dans notre pays, et que cette résidence implique chez lui la volonté de demeurer fidèle à la patrie française.

Mais, dans le cas où cette présomption serait démentie par les faits, où l'enfant aurait quitté la France peu après sa naissance, et n'y serait revenu qu'à la veille de ses vingt et un ans pour s'y établir, l'article 8-4o, perd sa raison d'être. Même il devient dangereux, puisqu'il permet à l'intéressé de se soustraire, moyennant un transfert de domicile, toujours facile à réaliser, aux conditions plus rigoureuses écrites dans l'article 9, et qu'il lui confère des droits plus étendus que ceux qu'il aurait trouvés dans ce texte, en faisant rétroagir à sa naissance,,comme nous allons le voir, l'acquisition de la nationalité française. Cependant la loi est formelle. Tout individu né en France d'un étranger, et y ayant son domicile à l'époque de sa majorité est Français.

Nous n'avons pas à revenir sur les conditions d'application de l'article 8-4°; elles nous sont suffisamment connues par les développements qui ont été consacrés à l'article 9. Pour que notre texte s'applique, il faut que celui qui s'en prévaut soit né en France, né d'un étranger, et ne soit pas domicilié parmi nous, à l'époque de sa majorité, telle qu'elle est déterminée par la loi française.

Ces trois conditions se trouvent-elles réunies, l'étranger est de plein droit Français, à l'instant même où il termine sa vingt et unième année; et il ne nous paraît pas douteux que cette qualité ne lui soit aquise même dans le passé. En effet, l'individu né en

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