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être en même temps matériellement ailleurs. Une personne physique peut avoir une résidence distincte de son domicile; elle habite l'une en quittant l'autre; mais une personne morale, une société, ne peut avoir de résidence, parce qu'elle ne peut délaisser son siège social pour se transporter en un autre endroit. On a pu attribuer à ce siège social le caractère d'un domicile, parce que le domicile est un établissement de droit, dont aucun obstacle naturel n'empêche un ètre de raison de réclamer le bénéfice, s'il lui a été concédé par la loi; mais la loi, si puissante qu'elle soit, ne peut lui donner un établissement de fait, que sa nature fictive lui interdit d'acquérir.

Les autres règles de compétence qui sont contenues dans les articles 59 et 420 du Code de procédure civile s'appliqueront aussi à l'étranger soumis à la juridiction française, par l'effet de l'article 14 du Code civil. L'étranger, défendeur à l'action en partage d'une succession ouverte en France, sera justiciable du tribunal du lieu où cette succession s'est ouverte (C. pr. civ., art. 59, § 6); l'étranger qui fait partie d'une société ayant son siège social en France, devra être assigné devant le tribunal de ce siège (art. 59, § 5); le garant devra l'être devant le tribunal français saisi de la demande principale (art. 59, § 8). De même, en matière commerciale, le Français demandeur pourra à son gré poursuivre son débiteur étranger devant l'un des trois tribunaux auxquels l'article 420 du Code de procédure civile attribue. compétence. Enfin, en cas d'abordage causé par un navire étranger, le demandeur français devra porter sa réclamation en France, devant l'un des tribunaux auxquels l'article 407 du Code de commerce, modifié par la loi du 14 décembre 1897, donne qualité pour en connaître1.

Mais, lorsque le défendeur étranger n'a ni résidence, ni domicile en France, et ne se trouve pas dans une des hypothèses prévues, soit par l'article 59, soit par l'article 420 du Code de procédure civile, soit par l'article 407 du Code de commerce, quel sera le tribunal compétent pour juger l'action formée contre lui?

Plusieurs systèmes ont été proposés : l'un attribue compétence au tribunal le plus voisin de la frontière; le second remet à la Cour de cassation le soin de prononcer sur la compétence respective des tribunaux saisis; le troisième accorde au demandeur le droit de choisir, dans les limites du juste et du raisonnable. Aucun de ces systèmes

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1 V. cep. Paris, 15 novembre 1900 (Journal du dr. int. pr., 1901, p. 132).

ne nous paraît devoir être admis. Le premier en effet obligera le demandeur et le défendeur à un déplacement onéreux, si l'un et l'autre habitent loin de la frontière; et d'ailleurs il sera souvent difficile de déterminer en fait quel est le tribunal qui en est le plus rapproché. Le second système n'est pas plus acceptable; il aurait pour effet nécessaire de contraindre le demandeur à porter simultanément sa prétention devant plusieurs tribunaux. Enfin le troisième système met le défendeur à la discrétion de son créancier et permet à ce dernier d'aggraver encore les effets, déjà si lourds, de l'article 14.

Nous nous prononçons pour une quatrième opinion, qui attribue compétence au tribunal du domicile du demandeur français. Lorsque le législateur fait de l'adage Actor sequitur forum rei, une règle de droit commun, il se trouve en présence de deux intérêts rivaux : celui du créancier, qui veut que l'instance soit jugée par son tribunal; celui du débiteur, qui demande que son propre tribunal ait compétence, et il donne la préférence à ce dernier. Mais, l'article 14 ayant retiré cette faveur au défendeur étranger, lorsqu'elle aurait pour effet de donner compétence à une juridiction étrangère, des deux intérêts en présence, il ne reste plus que celui du créancier : cela suffit pour attribuer compétence au tribunal de son domicile, ou, à défaut de domicile, au tribunal de sa résidence.

5° L'ordre public est-il intéressé à l'application de l'article 14 du Code civil?

Cette question revient à se demander si le créancier français d'un débiteur étranger peut valablement renoncer à la compétence exceptionnelle que l'article 14 confère aux tribunaux français et se soumettre au droit commun de la règle Actor sequitur forum rei. Si la disposition de l'article 14 est d'ordre public, la négative est de droit (C. civ., art. 6). Si au contraire elle a en vue, non pas l'intérêt général, mais l'intérêt particulier du Français, il est naturel de reconnaître à ce dernier la faculté d'y renoncer, pour s'en tenir au droit

commun.

Nous estimons que l'article 14 n'est pas une disposition d'ordre public. L'intérêt général ne saurait exiger en effet qu'un Français déploie contre son débiteur étranger toutes les rigueurs que la loi française met à sa portée. C'est à lui de voir si le droit commun lui suffit, s'il se trouve assez protégé par la règle Actor sequitur forum rei, si la juridiction étrangère mérite assez de confiance pour qu'il puisse en toute sécu

rité lui soumettre ses griefs. Une fois sa conviction faite à cet égard, rien ne doit l'empêcher de renoncer au privilège de l'article 14. Il pourra, personne n'en doute, renoncer à sa créance, se dépouiller du droit principal qui est la base de l'instance engagée; il pourra déférer sa prétention à l'examen d'arbitres volontairement choisis. En l'on irait lui défendre de renoncer à un droit accessoire de sa créance, de porter devant un tribunal régulièrement organisé en pays étranger une demande, dont les arbitres quelconques qu'il aurait désignés connaîtraient valablement ! La jurisprudence décide avec raison que cela n'est ni raisonnable ni possible.

La renonciation du Français au bénéfice de l'article 14 peut être expresse ou tacite.

Elle est expresse, lorsque l'étranger avec lequel il traite stipule que les contestations à naître du contrat seront portées devant le tribunal de son propre domicile; elle l'est encore, dans le cas où le Français aurait adhéré à une société étrangère dont les statuts attribuent compétence au tribunal du siège social, pour toutes contestations relatives à la société, aurait souscrit en pays étranger une police d'assurance attributive de juridiction au forum loci contractus, se serait soumis, lors d'une expédition de marchandises en pays étranger, aux clauses d'un tarif international arrêté entre plusieurs compagnies de chemins de fer, et donnant compétence, en cas d'accident, de perte ou de retard, au tribunal du lieu de destination, etc.

D'autre part, il est impossible de donner une énumération complète et limitative de tous les cas dans lesquels les tribunaux pourront découvrir une renonciation implicite du Français au privilège que l'article 14 lui confère; ils ont à cet égard tout pouvoir d'appréciation.

Un Français sera-t-il réputé avoir renoncé à la juridiction des tribunaux français, par cela seul qu'il a assigné tout d'abord son débiteur étranger devant les juges naturels de ce dernier? Nous répondons affirmativement, soit que l'instance engagée devant le tribunal étranger n'ait encore reçu aucune solution, soit qu'un jugement ait été rendu.

C'est à tort que l'on nous objecterait, dans le premier cas, les règles ordinaires de la litispendance. Art. 171, C. pr. civ.: « S'il a été formé précédemment en un autre tribunal une demande pour le même objet....., le renvoi pourra être demandé et ordonné ». Cette disposition n'a rien à faire ici; elle concerne exclusivement les de

mandes portées à la fois devant deux tribunaux du même pays. Lorsque le défendeur étranger, traduit devant un tribunal français, par application de l'article 14, résiste à la demande dirigée contre lui, en se basant sur ce que la juridiction étrangère en est déjà saisie, il n'invoque pas la litispendance, mais seulement la renonciation implicite de son créancier français au bénéfice de l'article 14.

On ne serait pas mieux fondé à nous opposer, dans le second cas, celui d'un jugement déjà rendu sur la contestation par un tribunal étranger, la règle en vertu de laquelle les décisions de la justice étrangère n'ont en France l'autorité de la chose jugée que lorsqu'elles ont été déclarées exécutoires par un tribunal français. En ce qui nous concerne, en effet, nous n'acceptons pas cette prétendue règle; et, dans tous les cas, ce n'est pas sur l'autorité de la chose jugée que notre solution repose; elle s'appuie uniquement sur la renonciation présumée du Français au bénéfice de l'article 14. Le juge est maître d'induire cette renonciation de tel fait qu'il lui plait; et de quel fait pourrait-elle résulter avec plus d'évidence que d'une instance conduite par le créancier français depuis la première jusqu'à la dernière phase, jusqu'à un jugement qui, pour n'être pas exécutoire en France, n'en demeure pas moins comme une manifestation énergique et persistante de sa volonté d'accepter le droit commun de la règle Actor sequitur forum rei?

Mais, de toute manière, les tribunaux français devront apprécier si les circonstances que le Français a traversées lui ont laissé toute la liberté de son choix, si son option pour la juridiction étrangère est bien volontaire, et si, dans sa pensée, elle était définitive.

Lorsque le Français a renoncé expressément ou tacitement à la protection de l'article 14, l'étranger défendeur, qu'il assignerait nonobstant devant un tribunal français, sera admis à invoquer l'incompétence de ce dernier; mais cette incompétence, procédant d'un accord de volontés, ne touche pas à l'ordre public: c'est une incompélence ratione persona; elle doit être présentée par l'étranger in limine litis, et le juge ne pourrait, croyons-nous, la prononcer d'office.

TITRE II

Étranger contre Français.

Un étranger pourra-t-il faire valoir devant les tribunaux français les droits qui lui appartiennent, à l'encontre d'un de nos nationaux?

L'article 15 du Code civil répond à cette question : « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger ».

Cette disposition ne fait dans la plupart des cas qu'appliquer au demandeur étranger les règles ordinaires de la compétence, exprimées par l'adage Actor sequitur forum rei; elle est inspirée par une idée de justice, et aussi par l'intérêt bien entendu du Français. Sans elle, l'étranger serait parfois dans l'impossibilité d'obtenir l'exécution des engagements contractés envers lui, lorsque son débiteur français n'a laissé hors de France ni biens ni domicile; et le jugement prononcé en sa faveur par un tribunal étranger est soumis, pour produire ses effets en France, à une déclaration d'exequatur émanant de la justice française, qui s'arroge le droit de le réviser. D'un autre côté, si l'étranger ne pouvait poursuivre un sujet français devant nos tribunaux, il hésitera à devenir son créancier, au grand dommage des affaires et du crédit de ce dernier. Et dans tous les cas, le débiteur français serait malvenu à se plaindre d'être déféré à ses juges nationaux, dont l'impartialité doit lui inspirer la plus entière confiance.

L'article 15 sera valablement invoqué par tout étranger, même par une personne morale reconnue en France, contre son débileur, même domicilié à l'étranger, pourvu que ce dernier soit Français au jour du procès, quelle qu'ait été d'ailleurs sa nationalité au jour de la naissance de l'obligation.

C'est toujours, en effet, au moment où le litige s'engage, qu'il faut considérer si le débiteur poursuivi est Français, et si par suite l'article 15 lui est applicable. Un Français, héritier d'un débiteur étranger, sera régulièrement traduit devant la justice française par un créancier étranger.

Bien que l'article 15 ne mentionne que les obligations contractées par un Français en pays étranger, il faut généraliser la règle qui s'y trouve posée, et l'étendre à toutes les obligations, même contractées en France, même non contractuelles, dont le Français est tenu vis-àvis de l'étranger, aux actions réelles mobilières dirigées contre lui, aux contestations relatives à son état, aux demandes en divorce ou en séparation de corps, etc.

Notre texte ne dit pas devant quel tribunal français l'action introduite par le sujet étranger devra être portée; les règles écrites dans les articles 59 et 420 du Code de procédure civile ou 407 du Code de

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