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CHAPITRE PREMIER

DE LA NATIONALITÉ D'ORIGINE1.

Sommaire.

I. Notions historiques. Jus sanguinis et jus soli.

II. Influence du jus sanguinis sur la nationalité d'origine dans le droit français actuel.

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Section J.

Enfants adoptifs.

III. Influence du jus soli sur la nationalité d'origine dans le droit français actuel. Enfants domiciliés à l'étranger et nés en France d'un étranger qui n'y est pas né lui-même.

Section 11.

Section III.
Section IV.

Enfants domiciliés en France à l'époque de leur majorité et nés en France d'un étranger qui n'y est pas né lui-même. Enfants nés en France d'un étranger qui lui-même y est né. Enfants nés en France e parents inconnus ou dont la natioInalité est incert ine. IV. Conflits de nationalités d'origine.

Toute personne doit avoir une patrie. Si la société a besoin, pour se constituer et pour fonctionner régulièrement, du concours de toutes les forces individuelles, l'homme, lui aussi, a besoin pour arriver à l'entière satisfaction de ses appétits et de ses désirs, de l'assistance de ses semblables. Il doit donc, c'est une loi de nature, appartenir à un groupe plus ou moins nombreux, au sein duquel il développera el exercera ses facultés. Sa faiblesse native lui fait une nécessité de se rattacher à une force supérieure et collective, qui lui serve d'appui et de refuge. L'homme ne se conçoit pas plus sans patrie qu'il ne se conçoit sans famille : l'idée de patrie n'est qu'une extension de

1 V. Geouffre de la Pradelle, De la nationalité d'origine, 1893.

l'idée de famille. Les rapports sociaux sont une nécessité de la vie de relation, et c'est dans la nationalité qu'ils trouvent leur formule et leur réglementation naturelle. Le premier devoir du législateur envers l'enfant nouveau-né est de lui assigner, en prenant conseil de son intérêt présumé, de la volonté qui serait vraisemblablement la sienne, s'il était en état de la faire connaître, une nationalité qui le saisira, à l'heure même de sa naissance, et à laquelle il demeurera fidèle, jusqu'au jour où, devenu capable d'avoir et d'exprimer ses préférences, il se donnera à la patrie de son choix.

C'est donc à l'interprétation de la volonté de l'enfant que se réduit, au moins dans la doctrine moderne, qui fait dériver le droit de cité d'un contrat intervenu entre l'État et chacun de ceux qui le composent, la détermination de sa nationalité d'origine. Mais cette volonté, qui ne peut encore se faire jour, de quels indices, de quelles circonstances sera-t-on en droit de l'induire? C'est là une difficulté sur laquelle les législations sont loin de s'être mises d'accord.

Les unes, dominées par les souvenirs de la féodalité, qui faisait de l'homme l'esclave et l'accessoire inséparable de sa terre natale, attribuent à chacun la nationalité de l'État sur le territoire duquel il a reçu l'existence. C'est la vieille doctrine du jus soli qui, après avoir régné, presque sans partage, dans l'ancienne France, et, jusqu'en 1870, dans le droit britannique, exerce encore aujourd'hui son influence exclusive sur certaines constitutions de l'Amérique du Sud.

D'autres, préférant la tradition de l'antiquité grecque et romaine, s'en tiennent au jus sanguinis, et admettent que l'enfant reçoit toujours, avec la vie, la nationalité de ses auteurs, quel que soit d'ailleurs le lieu de sa naissance. Ainsi le décident les lois de l'Allemagne, de l'Autriche-Hongrie, du Japon, de la Norvège, de la Roumanie, de la Serbie et de la Suisse.

Enfin, un assez grand nombre de Codes ont fait place en même temps aux deux principes rivaux, et, prenant tantôt le jus sanguinis, tantôt le jus soli, comme point de départ, tempèrent par l'un les rigueurs excessives de l'autre, soit qu'ils accordent à l'enfant né sur le territoire où ils sont en vigueur certaines facilités pour acquérir la nationalité de ses habitants, soit qu'ils lui permettent de se soustraire, moyennant quelques conditions, à cette nationalité, à laquelle sa naissance lui donne droit, pour revenir à celle de ses parents. Ce système intermédiaire se trouve consacré dans les lois de la Belgique, du Brésil, de la Bulgarie, du Danemark, de l'Espagne, des États-Unis d'A

mérique, de la Grande-Bretagne, de la Grèce, de l'Italie, du Luxembourg, de la principauté de Monaco, des Pays-Bas, du Portugal, de la Russie, de la Suède et de la Turquie; c'est aussi, nous le verrons, le système de la loi française.

TITRE I

Notions historiques.

Jus sanguinis et Jus soli.

Les législations grecque et romaine conféraient à l'enfant la nationalité de ses parents jure sanguinis, et n'attribuaient aucun effet à sa naissance sur le territoire de la cité.

Les peuples anciens étaient jaloux de leur droit de cité et auraient craint d'en obscurcir l'éclat en l'accordant au premier venu que le hasard aurait fait naître chez eux; il fallait que la nationalité du père répondît du patriotisme de l'enfant. Le principe que la filiation seule peut donner à l'enfant nouveau-né la qualité de citoyen était entendu en Grèce et à Rome d'une manière excessivement sévère.

En Grèce, celui-là seul naissait citoyen, dont le père et la mère étaient revêtus de cette qualité. Et la théorie romaine n'était guère moins rigoureuse; deux règles la résument:

1o L'enfant né ex justis nuptiis d'un père, Romain au jour de la conception, lui emprunte sa nationalité1.

9° L'enfant né en dehors des justæ nuptiæ reçoit la nationalité qui appartenait à sa mère au jour de l'accouchement 2. De cette règle devait, semblait-il, résulter cette conséquence, qu'une femme mariée à un pérégrin donnait le jour à un enfant romain, pourvu qu'elle fût elle-même investie du droit de cité romaine, au jour de la naissance de ce dernier; mais une loi Mensia ou Minicia, dont la date est incertaine, avait écarté cette conséquence, en décidant que l'enfant dont l'un des auteurs n'aurait pas été investi du droit de cité naîtrait luimême pérégrin3. Un tempérament fut, il est vrai, apporté à cette loi par un sénatus-consulte rendu sur la proposition d'Hadrien, aux termes duquel le droit de cité est acquis à tout enfant, dont le père et la mère sont tous deux Romains lors de sa naissance, encore que

1 L. 19, De statu hominum, au Digeste (1, 5).

2 Gaïus, I, 67, 90, 92. L. 24, De statu hominum, au Digeste (I, 5).

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cette qualité leur aurait fait défaut, ou à l'un d'eux, au moment de la conception'.

Chez les Germains, la nationalité d'origine ne se déterminait ni par l'influence du jus sanguinis ni par celle du jus soli; elle résultait de l'affiliation à une tribu.

Est Germain tout individu né de parents étrangers ou de parents germains, sur le sol de la Germanie ou au dehors, qui s'est fait recevoir dans une tribu. « Et on voit alors se présenter ce singulier phénomène, d'un peuple pour qui la naissance n'est pas une cause de protection, qui confond sous le même nom d'étranger tous ceux qui ne sont pas affiliés, qu'ils soient étrangers proprements dits ou d'origine germaine ».

Après la migration des barbares en Occident, chaque tribu s'étant choisi un territoire et s'y étant établie, on en vint insensiblement à substituer à l'idée d'association l'idée de souveraineté territoriale. Le seigneur terrien se proclama l'héritier des droits de l'association et considéra comme ses familiares tous les individus nés sur le sol de la seigneurie. A la révolution qui fit succéder, à l'époque féodale, la territorialité des coutumes à la personnalité des lois barbares3, correspond ainsi un changement analogue dans la détermination de la nationalité d'origine. De même que tout homme est désormais justiciable de la loi réelle du lieu qu'il habite, de même aussi l'enfant acquiert la nationalité du lieu de sa naissance. L'homme devient l'accessoire de la terre; il est naturel qu'il en accepte les lois et qu'il en reçoive une patrie. Le jus soli apparaît donc avec la féodalité, et son application à la détermination de la nationalité de l'enfant présentait alors d'incontestables avantages. Avantageuse pour le seigneur et pour le roi, puisqu'elle leur donnait de nouveaux sujets, elle rendait en même temps au fils d'étranger le service de l'affranchir des droits d'aubaine, auxquels sa filiation l'aurait assujetti.

Le jus soli a régné en France pendant toute la durée de l'ancien régime. Au xvi siècle, Bacquet professait que « les vrais et naturels Français sont ceux qui sont naiz dedans le royaume, pais, terres et seigneuries de la nation, domination et obéissance du roy ». Et, au temps de Domat et de Pothier, cette doctrine n'avait subi aucun chan

1 Gaïus, I, 77 et 92.

2 Ch. Beudant, Revue critique, 1856, t. IX, p. 65.

3 Voir ci-dessous, livre deuxième.

Bacquet, Droit d'aubaine, 1, ch. 1, no 2.

:

gement sensible « Les enfants des étrangers, dit Domat, s'ils naissent dans un État où leur père était étranger, se trouvent originaires de cet État ; ils en naissent sujets et y ont les droits de naturalité, comme si leur père avait été naturalisé'. » Et Pothier: « On ne considère pas si ceux qui naissent en France sont nés de parents français ou de parents étrangers, si les étrangers sont domiciliés dans le royaume ou s'ils n'y sont que passagers. La seule naissance dans le royaume donne les droits de naturalité indépendamment de l'origine des père et mère et de leur demeure2 ».

Nos vieux auteurs avaient, par réciprocité, reconnu la nationalité étrangère à tout individu né hors de France, même de parents français : « Nous tenons en France que tout homme, qui est né dedans le Royaume, pais, terres et seigneuries de l'obéissance du roy de France, est appelé aubein ou estranger, soit qu'il fasse résidence continuelle au royaume, soit qu'il y demeure pour certain temps seulement, soit qu'il soit simple viateur et passager3. »

Cependant, vers la fin de l'ancien régime, on voit se produire un essai de conciliation entre le jus sanguinis et le jus soli. La jurisprudence en était venue à attribuer rétroactivement la qualité de Français aux enfants nés à l'étranger de parents français, pourvu qu'ils eussent établi leur domicile sur le territoire du royaume (Arrêt du 12 mars 1707). Et Pothier constate qu'à l'époque où il écrivait, le jus sanguinis avait réalisé de nouveaux progrès tout individu né à l'étranger du mariage d'un Français, ou hors mariage d'une Française, n'ayant pas fixé son domicile hors du royaume et ayant conservé l'esprit de retour, est, par une sorte de fiction d'exterritorialité, considéré comme né en France, et par suite comme investi de la nationalité française. Mais en droit, la doctrine qui rattache au jus soli l'acquisition de la nationalité d'origine n'en demeurait pas moins la base de notre ancienne législation, et elle a subsisté dans ses traits généraux jusqu'à la promulgation du Code civil, c'est-à-dire pendant toute la période intermédiaire qui sépare ce dernier du renversement de la Monarchie; on retrouve le jus soli dans toutes les constitutions républicaines postérieures à 1789 *.

1 Domat, Droit public, liv. I, tit. 6, sect. 4, no 5.

2 Pothier, Traité des personnes, part. I, tit. 2, sect. 1re, no 45.

3 Bacquet, op. cit., I, ch. 2, no 1.

Pothier, op. cit., part. I, tit. 2, sect. 1re, nos 43 et 46.

Constitution des 3-14 septembre 1791, tit. 2, art. 2; Const. du 24 juin 1793, art. 4; Const. du 5 fructidor an II, art. 8; Const. du 22 frimaire an VIII, art. 2.

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