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L'enfant né en France d'un père étranger qui lui-même y est né est donc Français de plein droit et dès l'instant de sa naissance. Il suit de là qu'il peut réclamer toutes les facultés, tous les avantages auxquels peuvent prétendre les Français dont la nationalité procède du jus sanguinis. Toutes les écoles, tous les concours lui sont accessibles; et de même il doit le service militaire avec tous les jeunes gens de sa classe, sans jamais pouvoir s'y dérober.

SECTION IV.

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L'enfant est né en France de père et mère inconnus ou dont la nationalité est incertaine.

Quelle sera la nationalité d'origine de l'enfant né en France de parents inconnus, en entendant par là aussi bien celui dont la filiation adultérine ou incestueuse rend la reconnaissance légalement impossible, que celui que ses père et mère naturels ont volontairement refusé d'avouer? Si l'un des auteurs de cet enfant s'était fait connaître, au jour de sa naissance, il n'aurait pas en principe d'autre nationalité que la sienne. Né d'un Français ou d'une Française, il serait lui-même Français jure sanguinis (C. civ., art. 8-1°); né d'un étranger, il serait étranger, à moins que la qualité de Français ne lui ait été acquise dans les conditions prévues par les articles 8-3o et 4o, et 9 du Code civil.

Mais sa filiation est incertaine; on ne sait rien de ses père et mère; on ignore leur nom et leur patrie. Dès lors, il est impossible de rattacher au jus sanguinis la détermination de la nationalité que l'enfant doit nécessairement avoir en venant au monde. A quelle présomption la demandera-t-on? Le Code de 1804 ne fournissait aucune indication à cet égard; et son silence avait donné lieu à une controverse assez vive entre les auteurs.

Les uns refusaient à l'enfant né en France de père et mère inconnus la nationalité française dès l'instant de sa naissance, et ne lui accordaient que le bénéfice de l'option consacrée par l'article 9. Le seul fait d'être né sur le sol français ne suffit plus, disait-on, à conférer le droit de cité; il faut de plus être né de parents français, et c'est à l'enfant à faire la preuve de son origine. Tant que cette preuve n'a pas été rapportée, et dans le cas particulier elle ne peut pas l'être,

la présomption est qu'il est issu de parents étrangers, et par suite il ne deviendra Français qu'en se conformant aux prescriptions de l'article 9, au même titre que les individus nés en France de parents légalement certains.

Dans un autre système, on partait d'un point de vue tout opposé. L'enfant né sur notre territoire de parents inconnus doit être présumé Français jusqu'à preuve contraire. La grande majorité de ceux qui l'habitent sont eux-mêmes Français; il est donc très vraisemblable que l'enfant qui y est né a dù l'existence à des parents Français; et c'est à lui à prouver sa filiation étrangère, s'il veut se soustraire à la nationalité française.

Deux textes pouvaient être invoqués à l'appui de cette opinion. Un décret de la Convention nationale, en date du 4 juillet 1793, avait déclaré les enfants trouvés « enfants naturels de la patrie ». Et sa décision, qui aurait pu s'expliquer par l'influence du jus soli, encore dominante à l'époque où elle fut prise, avait passé dans le droit nouveau qui cependant procède du jus sanguinis, puisque le décret impérial du 19 janvier 1811 appelle, dans son article 19, les enfants trouvés au service militaire, et leur reconnaît ainsi d'une manière implicite la qualité de Français. Ces décrets, quoique relatifs aux enfants trouvés, fournissaient un argument a fortiori au deuxième système; il est incontestable en effet que pour les enfants seulement trouvés en France la présomption de filiation française est moins puissante que pour ceux qui y sont nés.

La loi du 26 juin 1889 s'est prononcée en faveur de ce deuxième système, qu'avait déjà consacré, avec plusieurs législations étrangères, la jurisprudence de la Cour de cassation. « Est Français, dit l'article 8-2o... tout individu né en France de parents inconnus ou dont la nationalité est inconnue ».

Ainsi la nationalité française est acquise, à l'instant et par le fait de leur naissance sur notre territoire :

1° A l'enfant dont les parents n'ont pas voulu ou n'ont pas pu le reconnaître ;

2o A l'enfant dont les parents, quoique connus, ne se rattachent à aucun État déterminé, et appartiennent à la catégorie des heitmath

losen.

Mais, dans un cas comme dans l'autre, cette attribution ne sera souvent que provisoire; elle ne survivra pas en effet à la reconnaissance opérée par un auteur étranger de l'enfant, pendant qu'il est encore mineur (C. civ., art. 8-1°, al. 2), soit au jugement constatant la véritable nationalité de son père.

TITRE IV

Conflits de nationalités d'origine.

Si l'acquisition de la nationalité d'origne était partout gouvernée par une règle unique et inflexible, par le jus sanguinis, ou par le jus soli, tout conflit deviendrait impossible. Dans le premier cas en effet, chaque État considérerait comme étranger l'enfant né sur son territoire de parents étrangers, et réciproquement revendiquerait sans contestation possible l'enfant né même à l'étranger d'un de ses nationaux. Dans le second cas, chaque État attribuerait le droit de cité à tout individu né sur son territoire d'un père étranger et reconnaîtrait en retour à l'enfant né en pays étranger d'un de ses citoyens la nationalité du lieu de sa naissance. Mais si l'uniformité des lois est désirable en cette matière, elle est bien loin d'être réalisée à cette heure. Quelques législations se rattachent, avec plus ou moins de tempéraments, au jus sanguinis, les autres au jus soli; et les combinaisons si nombreuses et si variées que ces deux principes y reçoivent aboutissent à des difficultés internationales d'autant plus délicates à résoudre que l'intéressé ne peut invoquer ici, conformément à la règle générale que nous poserons plus loin, la loi nationale, constitutive de son statut personnel, par cette bonne raison que c'est précisément sa nationalité qui est en suspens et qu'il s'agit de déterminer.

Deux hypothèses veulent être soigneusement distinguées : ou bien le conflit s'élève entre deux nationalités, dont l'une est celle des magistrats saisis du litige; ou bien il se produit sur le territoire d'une tierce Puissance.

PREMIÈRE HYPOTHÈSE.

Le conflit s'élève entre deux nationalités d'origine, dont l'une est celle des magistrats saisis du litige. Aucune hésitation n'est permise au juge : il doit appliquer à l'individu dont la condition juridique est débattue devant lui la loi du pays au nom duquel il rend la justice, et en conséquence, si cet individu, même domicilié à l'étranger, satisfait aux conditions auxquelles le législateur local a subordonné l'acquisition de la nationalité d'origine, le traiter comme un de ses nationaux. Les règles con

cernant le droit de cité, les moyens de l'acquérir et de le perdre, touchent en effet à la vie mème et aux intérêts les plus essentiels de l'État; elles sont d'ordre public international et ne sauraient être tenues en échec, à défaut d'une loi nationale incertaine, par la loi du domicile des parties.

Éclairons cette règle par quelques applications pratiques.

a) Un individu est né de parents français sur le territoire d'un État où règne exclusivement le jus soli, sur le territoire de Vénézuéla par exemple.

Les autorités administratives et judiciaires de cet État lui imposeront la nationalité du lieu de sa naissance et le soumettront en conséquence aux devoirs et aux charges auxquels sont assujettis les autres citoyens vénézuéliens.

Or l'article 8, § 1 du Code civil attribue la nationalité française à l'enfant né en pays étranger de parents français, et, avec cette nationalité, tous les droits, toutes les obligations dont elle est la source.

Les tribunaux français appelés à se prononcer sur la nationalité d'une personne née d'un père français sur le territoire de l'État de Vénézuéla ne tiendront aucun compte des lois qui y sont en vigueur et ne pourront appliquer que la loi française. Le même individu sera donc réclamé à la fois par deux patries: au Vénézuéla, il sera réputé Vénézuélien, par la vertu du jus soli; en France, il sera considéré comme Français, jure sanguinis, conformément à l'article 8, § 1 du Code civil.

b) Un individu naît en France d'un sujet allemand, puis, excipant de l'article 9 du Code civil français, il revendique, dans le délai indiqué par ce texte, la nationalité française, mais sans avoir pris la précaution de demander un permis d'émigration (Entlassung) aux autorités de son pays d'origine, ainsi que l'exige l'article 13-1° de la loi allemande du 1er juin 1870, pour tout changement de patrie. Cet individu conserve en Allemagne la nationalité allemande, tant qu'il n'en a pas été déchu par une décision gouvernementale (L. du 1er juin 1870, art. 13-2°); mais en France, il est Français, par l'effet de l'option qu'il a formulée; il a donc encore deux nationalités.

c) Même l'identité des législations ne sera pas toujours un obstacle au conflit et au cumul des nationalités. L'ancien article 9 du Code civil, jusqu'à 1889 commun à la France et à la Belgique, avait soulevé, il y a quelque vingt ans, dans les rapports des deux États, une difficulté sérieuse dont il est intéressant de rappeler l'origine et les circonstances.

Un sieur Carlier, né le 30 mai 1860 de parents français à Marchipont (Belgique), avait été, sans réclamation de sa part, inscrit sur le tableau du contingent français. Arrivé à sa majorité, il déclara, à la date du 2 juin 1881, opter pour la nationalité belge, conformément à l'article 9 du Code civil, et, se basant sur cette déclaration, il actionna le préfet du Nord devant le tribunal civil de Valenciennes, à l'effet d'obtenir la radiation de son nom des listes de recrutement. Son principal argument consistait à dire que, l'option opérée par lui devant rétroagir, en droit il n'avait jamais été Français et n'avait pu par suite être soumis à la loi militaire française; mais le tribunal civil de Valenciennes d'abord, par un jugement du 4 août 1881, la cour d'appel de Douai ensuite, par un arrêt du 14 décembre de la mème année1, condamnèrent sa prétention.

La doctrine de cet arrêt se justifie sans peine. L'article 9 invoqué par Carlier pour se soustraire à la loi militaire française était l'article. 9 du Code civil belge et non celui du Code civil français, lequel ne disposait que pour les individus nés en France de parents étrangers et ne concernait nullement les individus nés hors de France de parents français. A ceux-ci l'article 10, § 1 de notre Code civil, aujourd'hui remplacé par l'article 8, § 1, était seul applicable, et les prescriptions de la loi belge, quelque analogie qu'elles présentent d'ailleurs avec celles de notre propre droit, ne pouvaient prévaloir contre ce texte, aux termes duquel « tout enfant né d'un Français en pays étranger est Français ».

Il est vrai que, suivant l'article 17-1° du Code civil de 1804, la qualité de Français se perdait par la naturalisation acquise en pays étranger. Or l'option exprimée par Carlier dans l'année de sa majorité, et l'acquisition de nationalité qui en était résultée pour lui en Belgique, ne constituaient-elles pas une naturalisation et ne l'avaient-elles pas, en conséquence, dépouillé de la qualité de Français, et déchargé de ses devoirs nationaux, au regard de la loi française? Nous ne le croyons pas. Dans sa teneur première et même depuis les remaniements qu'il a subis en 1889 et en 1893, l'article 9 du Code civil n'organisait pas un système de naturalisation proprement dite; il se bornait à déterminer la nationalité d'origine des individus nés d'un père étranger sur le territoire français (ou belge). La naturalisation, au sens légal du mot, implique un acte souverain et discrétionnaire de la

1 Journ. du dr. int. pr., 1882, p. 416.

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