Page images
PDF
EPUB

exécutés qu'au bout de quelques années! La lettre de la Charte veut une indemnité préalable; son esprit ne l'exige pas moins: elle a voulu donner à la propriété depuis longtemps lésée une garantie nouvelle et irrévocable. Il y a consignation, objecte-t-on. Mais cette consignation est-elle l'équivalent de la propriété ? Y a-t-il eu jugement? Et pourquoi, s'il y a un équivalent, provoquez-vous un jugement postérieur? Maintenant, que les travaux ne soient point terminés, alors il n'y aura ni propriété, ni œuvre d'art, ni indemnité. On se repose sur l'exception qui favorise les propriétés bâties; mais n'y a-t-il que cette classe de propriétés dont la disparition rende l'expertise plus difficile?

La différence de temps comptait beaucoup, au contraire, dans l'opinion de M. Lacordaire, dont l'expérience en ce point pouvait être de quelque autorité : il démontra que la prompte dépossession pouvait être réclamée dans les travaux existants aussi bien que dans les travaux neufs; par exemple, à la suite d'un de ces accidents naturels qui obligent à créer immédiatement un changement de direction et à procéder au rétablissement des communications publiques. Que si l'on ouvrait des travaux sur les terrains dont on serait maître, sans toucher aux parcelles pour lesquelles on n'aurait pu traiter à l'amiable, ces dernières feraient bientôt obstacle à l'écoulement des eaux, à la libre circulation des déblais ou des matériaux de construction. Ici donc encore l'urgence de la dépossession se ferait vivement sentir.

M. Couturier fit comme M. de Salvandy: il se livra à la supputation des délais et en induisit qu'il y aurait à peine plus de vingt jours à l'avantage de la procédure exceptionnelle. Laisser ensuite le propriétaire aux prises avec l'administration, pour obtenir en définitive la somme qui lui serait due en le forçant à prendre l'initiative de toutes les démarches tendant à amener la décision du jury, ce serait introduire la violation la plus flagrante du droit de propriété.

Cependant, M. Lherbette rectifia une erreur ou plutôt il

mit à la place d'une expression impropre une autre plus exacte: l'envoi en possession, pour être préalable à l'indemnité, ne serait nullement provisoire. Au fond, ce n'est point, ajoutait-il, porter atteinte au droit de propriété que d'en déterminer les limites, le mode ou les conditions. La Charte, en prescrivant une indemnité préalable, a voulu que le propriétaire ne pût être lésé. Quelle lésion éprouve-t-il quand on lui assure le paiement de l'indemnité sans effectuer à l'instant ce paiement? La Charte l'exige-t-elle ? non assurément. Le recours en cassation sera, dit-on, inutile. (On voit que M. Lherbette répondait particulièrement à M. de Salvandy). Le recours ne peut avoir lieu que pour violation de la loi dans la composition du jury et dans le mode de délibération. La consignation, ajoute-t-on, n'assure pas les droits des fermiers, usagers et autres ayant-droit. La consignation est pour la valeur de l'immeuble; elle sera répartie entre les ayant-droit, quels qu'ils soient, propriétaires ou autres.

M. Béchard se joignit aux adversaires de la loi en faisant valoir une considération puissante: aurait-on une juste fixation de l'indemnité? L'estimation que ferait le président, avec ou sans l'assistance d'un ou trois experts, ne serait-elle pas arbitraire? Elle ne serait, il est vrai, que provisoire, mais elle influerait toujours sur la décision à venir du jury; celui-ci n'aurait d'ailleurs plus sous les yeux la matière de l'estimation.

M. Guilhem ne fit guère que résumer les arguments en faveur de l'envoi en possession.

M. Renouard le repoussait, non pas précisément qu'il y vit une violation de la Charte, mais parce qu'iln'y trouvait pas les garanties désirables; parce que d'ailleurs elles ne pouvaient pas s'y trouver: on veut obtenir un avantage moral et un avantage de célérité. Le premier serait comminatoire pour la propriété, l'autre serait insignifiant, en tant qu'il serait appliqué au règlement de l'indemnité; les causes de retard, les ruses de procédure ne se rencontrent

que dans la période qui précède le jugement d'expropriation. Ce jugement peut être cassé, cependant l'arrêté d'urgence consommerait une injustice, le pourvoi en cassation n'étant point suspensif. Puis, quelle responsabilité on ferait peser sur le préfet! à quelles attaques on l'exposerait! Maintenant vienne la consignation de la somme, qu'elle soit du montant demandé par le propriétaire (amendement proposé par M. Alcock), alors on se trouvera presque toujours arrêté par des exigences exorbitantes (objection de la commission); ou bien ce sera le président du tribunal qui arbitrera la somme, et alors on rentrera dans les inconvénients de l'expertise, dans le système de la loi de 1810. Ici M. Renouard reproduisait les objections déjà présentées par M. Béchard: « Nous avons fait, dit-il en terminant, quelque chose

de sérieux dans les premiers titres; nous ferions quelque » chose de peu sérieux, si, après avoir contrôlé la loi de » 1833, avec l'expérience de sept années; si après avoir es»sayé de concilier les intérêts de la propriété avec les inté» rêts publics, nous allions déchirer la loi tout entière, et » la confisquer au profit du titre VII: nous ferions ce qu'on >> nous proposait de faire pour la loi sur les ventes immobi>> lières. >>>

Séance du 9 mars. - Le projet de la commission tel qu'elle venait de le présenter était trop attaqué et trop justement peut-être, pour qu'elle ne le modifiât point en présentant au moins une garantie nouvelle. Cette garantie, déjà écrite dans la loi du 30 mars 1831 (sur les travaux militaires), c'était úne autorité supérieure à celle du préfet, une ordonnance Toyale; c'est à elle qu'il appartiendrait de déclarer l'urgence prévue par l'art. 65.

Ce tempérament ne rassurait encore pas M. de Salvandy; il y voyait des formalités sans cesse renaissantes, des procédures nombreuses compliquées, parallèles.

[ocr errors]

M. Dalloz démontra au contraire qu'il y aurait économie de temps: vingt jours, par exemple, au lieu de quatre

vingt-dix ; il démontra que l'ordonnance pourrait être rendue après le jugement d'expropriation; ce qui empêcherait évidemment l'arbitraire, si l'on craignait qu'il ne prit place dans la procédure.

M. P. de Chasseloup-Laubat ne prit la parole que pour applaudir aux modifications proposées par la commission, et M. Matter, que pour attaquer en particulier, comme peu en harmonie avec la dignité du magistrat, la disposition qui conférait au tribunal entier (pour remplacer l'ancienne expertise), le soin d'estimer la valeur des propriétés, et, partant, de se transporter à l'occasion sur les lieux. Et cette estimation, les justiciables de ce tribunal, en un mot le jury, la pourraient infirmer! Voilà ce que M. Matter croyait avoir quelque droit decritiquer.

M. Dalloz répondit avec raison que c'étaient là deux décisions bien différentes : l'une n'était que provisoire, l'autre définitive. Sous aucun rapport le jury ne serait donc appelé à réviser ou à réformer le jugement du tribunal.

Et le rapporteur (M. Dufaure), fit une autre distinction non moins juste et parfaitement concluante, à savoir: que le tribunal fixait un gage, tandis que le jury déterminait la valeur réelle de l'indemnité. Mais M. Dufaure insista surtout pour l'adoption du principe: seule la procédure abrégée, la déclaration d'urgence parviendrait à mettre une digue aux résistances calculées de certains propriétaires ou spéculateurs. C'était un résultat important, que les deux mois et demi de différence signalés par M. Dalloz. Que si les résistances et les calculs avaient pu se produire, c'était précisément à la faveur des délais que l'on trouvait dans la loi de 1833, et que le mauvais vouloir pouvait multiplier indéfiniment.

Un mot de M. Renouard mit fin à cette longue et fort intéressante discussion: il s'agissait toujours, même avec les correctifs amenés par le débat, de savoir si le titre vê n'au

rait pas la destination de défaire tout ce que l'on avait fait dans les titres précédents.

De nouvelles et dernières explications du rapporteur firent ressortir ce point: que l'ordonnance d'urgence pourrait bien être prise depuis le moment où l'utilité publique des travaux aurait été déclarée, jusqu'au moment où le jugement d'expropriation serait prononcé, ou même après; mais que ce ne serait qu'après ce jugement qu'elle pourrait être exécutée. L'art. 65 de la commission ainsi expliqué, débattu et modifié, ayant été alors mis aux voix, fut enfin adopté,

L'amendement de M. Alcock venait à l'art. 66: au lieu de déterminer le montant de la consignation d'après une autorité quelconque, il voulait que cette consignation fût égale au montant de la demande du propriétaire, quelle qu'elle fût, Les développements de l'auteur de la proposition rentraient nécessairement dans la discussion qui venait d'être close; seulement il démontra que le propriétaire n'aurait aucun intérêt à exagérer ses prétentions; il s'engagerait en quelque sorte dans une impasse et risquerait d'indisposer contre lui l'esprit des jurés.

Néanmoins l'amendement ne fut pas appuyé, et l'art. 66, qui suivait dans ses conséquences le précédent (notification et assignation aux intéressés), fut adopté dans les termes présentés par la commission. De 68 à 78, les articles continuaient de réglementer cette procédure nouvelle: ils furent admis sans amener d'autres débats. Au scrutin, l'ensemble de la loi fut voté par 221 suffrages favorables contre 37 boules noires; les votants étaient au nombre de 258.

Chambre des pairs, 22 avril.- La noble Chambre se trouvait encore une fois appelée à délibérer sur la loi relative à l'expropriation pour cause d'utilité publique: seulement cette fois le projet revenait dégagé de ses nombreuses difficultés, et, à part quelques nouveaux amendements, la commission proposait l'adoption des articles votés par la Chambre élective. Un premier amendement eût supprimé dans le

« PreviousContinue »