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des excuses rétrospectives à leurs fautes. Napoléon n'a pas dit un mot à Sainte-Hélène qui ne fût le contre-pied de ce qu'il avait fait en France. Napoléon n'a pas regretté un jour d'avoir négligé de fortifier Paris, excepté celui où toutes les fortifications du monde ne lui auraient pas rendu l'univers et n'auraient pas ajouté une heure à sa fortune: c'est le jour où voulant revenir sur Paris avec 45,000 hommes, dernier et fidèle débris de ce million que son ambition avait dévoré, il ne trouva plus d'empire, mais une nation anéantie, mais un sénat révolté, mais le monde entier las de sa tyrannie universelle, qui lui envoyaient sa déchéance, et par qui? par la main même de ses plus énergiques lieutenants. Le mot d'abdication n'est-il pas tombé de la bouche du brave des braves, de l'infortuné maréchal Ney?

De toutes ces considérations M. de Lamartine concluait que le projet de fortifier Paris était faux en tactique militaire, parce que des forces immobiles et localisées comme des remparts ne valent et ne défendent que sur un seul point, et que les forces mobiles, comme les armées et les batteries, défendent la France partout, et qu'en effet la France est pour nous partout, dans le dernier hameau de nos Alpes ou de nos Pyrénées aussi complètement qu'à Paris.

Qu'il était faux en politique parce qu'il soumettait la France entière au sort et à la domination de Paris, et qu'il soumettait Paris lui-même à la domination désespérée des factions extrêmes.

Qu'il était faux en humanité parce qu'il faisait rétrograder le droit de la guerre jusqu'à la guerre aux vieillards, aux enfants, aux femmes, jusqu'à l'incendie, jusqu'à la famine, jusqu'à l'assaut, jusqu'à tous les crimes à qui on ne donne qu'un jour et qu'une place sur le champ de bataille, à qui l'on donnerait des mois et des villes entières dans une capitale fortifiée.

Qu'il était faux en liberté parce que la liberté et le

canon ne peuvent pas vivre impunément face à face, et que la voix du canon a toujours et partout étouffé la parole des peuples libres. Enfin, qu'il était faux en bon sens, en dignité, en courage; car la conscience de l'Europe sait bien qu'on ne peut pas contenir et nourrir une ville de 1,500,000 âmes, et que Paris assiégé, c'est le gouvernement renversé et la France saisie au cœur! Qu'est-ce donc au fond pour l'Europe? une capitulation avant la bataille. Personne ne s'y trompe: 500 millions pour cela! c'était, aux yeux de l'orateur, trop stupide pour une vérité et trop cher pour un mensonge. Le passage suivant terminait ce discours:

. On dit pour excuser, pour motiver, pour pallier tout cela, on dit pour électriser une opinion qui vous résiste: Regardez l'Europe! vous êtes au ban du monde civilisé, du monde monarchique. La révolution, dont vous êtes le peuple, n'a que des ennemis implacables; partout on veut venir l'étouffer dans son foyer le plus lumineux, le plus détesté: défendez-la ! Élevez-lui un asile de fer et de bronze où elle soit à jamais inviolable aux haines coalisées qui la poursuivront jusqu'à son berceau. Que Paris fortifié soit la citadelle de la liberté dans le monde; que Paris crénelé soit le réduit de la révolution! C'est le mot. Vous êtes en 92 encore, dit le rapport!

» Que Paris fortifié soit le réduit de la révolution! Je dis, moi, qu'il n'y eut jamais une pareille insulte, un pareil blasphème contre la révolution, contre la puissance toujours croissante et déjà régularisée chez tant de peuples de ces idées généreuses, régénératrices de la dignité de l'homme, de la liberté, de la moralité humaines, écloses en 89 sur le monde, écloses ici, portées partout, acceptées, honorées, consacrées dans presque tout l'univers, et que nous appelons, nous, la révolution française! la révolution hormis ses crimes, ses tyrannies et ses conquêtes!

D

Quoi! il y a bientôt la moitié d'un siècle que cette révolution a jailli d'ici sur le monde, comme un astre lumineux et paresseux d'abord, comme un volcan plus tard, quand la coalition de Pilnitz voulut imprudemment mettre le pied du soldat sur la lave toute-puissante de nos idées et de nos droits! Quoi! nos pères sont morts presque tous, les uns en la combattant dans ses excès, les autres en la confessant sur les échafauds; ceux-là en lui faisant un rempart de leurs baïonnettes pour défendre son sol sacré, ceuxci en allant lui conquérir le monde avec son drapeau qui les fascinait encore, même quand un despole le portait devant eux. Quoi! elle a soulevé presque toutes les capitales de l'Europe, secoué tous les trônes, emporté

toutes les couronnes, modifié, libéralisé presque toutes les constitutions vieillies des peuples; elle s'est répandue comme l'air et la lumière pendant cinquante longues années avec vos idées, votre nom, vos armes; elle a éclaté avec la force d'explosion d'un évangile armé des temps modernes ; le monde entier est plein d'elle, de ses souvenirs, de ses vertus, de ses crimes, de ses exploits, de ses œuvres, de ses codes; et aujourd'hui, aujourd'hui qu'elle a un peuple de 34 millions d'hommes unis, armés, invincibles pour elle, et la sympathie de la moitié du monde, vous la déclarez assez abandonnée, assez désespérée, assez menacée, assez timide pour avoir besoin de de se creuser un réduit inexpugnable au cœur de notre sol, comme une bête féroce qui s'enfuit dans le repaire honteux où elle sent qu'on va venir la traquer! (Longue interruption.)

»Ah! s'il en était ainsi, Messieurs, si la révolution française en était réduite à ces extrémités déplorables; si, trahie par ceux qui l'ont faite, sortie du cœur des Français et des peuples, exécrée, incompatible avec les nationalités et la liberté même, elle était en effet obligée, pour se préserver des allaques de l'Europe, de se bâtir au lieu d'asile, une place forte, je dis que ce serait là la condamnation la plus honteuse d'elle, de ses œuvres, de ses idées, de sa force et du sang que nous avons versé pour elle! Et qu'une révolution qu'il faudrait après tant d'épreuves, après tant de victoires, après tant d'années, défendre ainsi derrière des bastions et des murailles, dans un réduit, comme vous dites, ne vaudrait pas d'être défendue! (Vive adhésion.)

» Mais il n'en est pas ainsi! Vous le savez bien, vous l'avez mille foisproclamé vous-mêmes: non. La révolution, la nôtre du moins, la révolution honnête, la révolution morale, la révolution réformatrice, libérale, celle-là a vaincu. Le monde en est plein; le monde vous convaincrait aujourd'hui qu'il vous la rapporterait encore; et, si vous sentez le besoin de creuser un réduit à une autre révolution, à une révolution qui bouleverse les peuples, qui sape tous les trônes, qui tue ses propres apôtres, qui improvise et qui renverse des dictatures, qui affecte non plus la monarchie universelle, mais qui affecte comme un droit une sorte d'anarchie universelle dans le monde, qui prend le masque de la liberté pour violenter tous les principes, toutes les institutions, pour effacer les limites et les nationalités partout, c'est que vous avez le pressentiment trop vrai que cette révolution extrême, que cette révolution pervertie, est aussi incompatible avec l'ordre européen dans le monde qu'avec la liberté sérieuse ici, et qu'elle ne peut subsister, en effet, qu'à l'ombre des bastions et des remparts que vous voulez nous faire bâtir avec l'or et la sueur de nos départements, et que nous ne les bâtirons pas. (Marques d'approbation.) Encore une fois, je repousse votre projet. » (Très-bien ! très-bien!)

22 Janvier. Après quelques explications données par M. Carnot, sur les motifs de répugnance qui avaient empêché son père de couvrir Paris d'une fortification permanente, explications provoquées par M. de Golbery, qui, à la précédente séance, avait fait valoir l'opinion de l'ancien membre du comité du salut public contre la fortifications de Paris, M. Monnier de la Sizeranne proclama son adhésion au projet de loi de la commission, et en développa les raisons dans de sages et longues considérations, qui, du reste, n'apportèrent aux débats aucun élément nou

veau.

M. Pagès (de l'Arriége) occupa ensuite la tribune. Il fallait, suivant l'honorable député, compléter, sur la frontière du Nord, notre ligne de places fortes; créer une seconde ligne de forteresses dans la Champagne; par des travaux avancés, mettre Paris à l'abri d'un coup de main ou d'une surprise; établir au-delà de la Loire et dans le cœur de la France, une grande place de guerre où serait déposé tout le matériel superflu ailleurs, qui deviendrait le vaste arsenal de la France, qui en serait, au jour du péril, la capitale militaire, où toutes nos armées pourraient se donner un dernier rendez-vous, où le gouvernement pourrait s'établir, d'où il pourrait conserver l'unité militaire et politique; d'où il pourrait protéger Paris, et où il ne pourrait être attaqué sans folie', parce qu'il y aurait folie à l'étranger de pénétrer au milieu du pays en se plaçant entre notre capitale militaire et notre capitale politique, en laissant ainsi sur ses derrières l'immense population de Paris et les haines qu'il aurait semées sur sa route. L'armée, libre alors dans tous ses mouvements, ne serait pas asservie à l'influence d'un million d'âmes effrayées; le pouvoir, fort de la même concentration, userait librement de tout son ascendant et de toute son habileté; le peuple ne perdrait rien de son enthousiasme, et ceux qui oseraient tenter la victoire ne trouveraient que la mort. Mais fortifier Paris seul, c'était perdre à la fois la capi

tale et le pays! Paris entouré par l'ennemi, c'était le gouvernement frappé de mort; c'étaient les communications interrompues; c'était la défense générale sans unité, et, par suite, impossible; c'était la France frappée à la tête et par conséquent au cœur. Il ne serait même pas besoin alors de l'assiéger; l'entourer hors de l'atteinte des remparts et des forts suffirait pour l'affamer et le forcer à se rendre. L'orateur dédaignait les calculs d'approvisionnement soumis à la Chambre ; « Depuis dix ans, l'art des chiffres est la langue du mensonge..... »

«Non, ce n'est pas pour arriver à ce résultat d'ignominie, ajoulait M. Pagès, que le Midi vous livrera ses dernières ressources et son dernier écu. Il veut combattre encore lorsque Paris sera vaincu; pour lui la France est partout où se trouvent des Français; il ne veut pas renouveler 1814; il ne veut pas qu'après la capitulation de Paris, on aille briser l'épée de Fontainebleau, et l'épée de l'armée de la Loire, et l'épée de l'armée de Soult, et l'épée de l'armée de Suchet, et les portes de toutes les places de guerre. Il ne veut être trahi, trompé, vendu par personne, ní pour personne. »

Quel était d'ailleurs, en dernier espoir, l'objet de la loi? de permettre à l'armée de débloquer Paris? Mais si l'armée ne peut se rallier, et si, ralliée, elle est battue une seconde fois, Paris sera invinciblement livré à la merci du vainqueur. Les forts, les remparts ne pourront servir alors que pour rendre une capitulation plus facile, pour servir de transition d'un gouvernement à un autre, pour assurer par un traité la fortune des traitres et des spoliateurs du peuple, les places et les emplois des ambitieux. « Tous ces transfuges, se traînant d'un pouvoir à l'autre, livreront la France flétrie, briseront l'épée dans des mains courageuses, achèteront par des milliards d'indemnité leur sécurité personnelle, et ces murailles, qui auront commencé par la lâcheté, finiront par la trahison. »>

M. Pagès ajoutait ces paroles :

«Par une invention téméraire, on a imaginé l'urgence pour un travail

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