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revenir et prendre les assiégeants à revers, faire une trouée dans leurs lignes, où les appeler sur le terrain qui lui conviendra. Les fortifications les plus sérieuses, les plus solides, les plus imprenables seront donc les meilleures.

M. de Lamartine, et après lui M. de Tracy, avaient combattu l'opinion de l'empereur. M. de Rémusat ne la proclamait point infaillible; il demandait, au contraire, que l'on réparât une des fautes de ce grand homme, une faute qu'il avait lui-même reconnue. Le soldat français est plus propre à l'offensive qu'à la défensive, avaient dit les mêmes orateurs ; donnez-lui donc, répliquait encore M. de Rémusat, donnez-lui d'énergiques moyens de défense qui lui facilitent ce que, par sa nature, il ne sait pas aussi bien faire. Quant à l'objection tirée de l'excès de centralisation, l'honorable membre croyait que, s'il y a quelque chose qui puisse refroidir l'esprit défensif des populations du reste de la France, c'est la pensée qu'elles peuvent se défendre en pure perte, qu'elles seront vaincues par cela seul que Paris l'aura été; mais si les départements savent que Paris est imprenable, alors ils seront glorieusement condamnés à se défendre eux-mêmes. Enfin, dans l'hypothèse d'un siége, que se passera-t-il au sein de la capitale? Peut-on craindre une guerre civile à l'intérieur? Oui, si Paris, n'est pas fortifié! Si, la ville ouverte, sans défense, cette population ardente demandait des armes, et que de bons citoyens répondissent : « Il faut se résigner, il faut traiter avec l'ennemi; » alors une lutte violente pourrait s'établir entre les diverses classes de la société; alors les moyens violents et révolutionnaires deviendraient, non pas nécessaires, non pas utiles, mais plausibles. Le moyen de prévenir cette triste éventualité, c'était de constituer des moyens réguliers de défense.

M. de Rémusat terminait en déclarant qu'il aimait mieux, en ce moment, voir s'affermir le ministère du 29 octobre que de voir rejeter le projet de fortifier Paris.

Les arguments contre la loi, déjà mis en avant par divers orateurs, furent résumés et reproduits par M. de Mornay. 25 Janvier.-M. de la Tournelle opposa de sages raisons. Un adversaire du projet avait dit que 100,000 hommes seraient nécessaires à l'ennemi pour garder Paris une fois qu'il l'aurait envahi et que par les fortifications, on leur donnerait le moyen de le dominer. C'était supposer Paris bien fort lorsqu'il est ouvert, et le supposer bien faible quand il est fortifié. On avait dit encore : Les fortifications attireront l'ennemi; l'orateur citait les paroles d'un militaire distingué : <«< Les fortifications attirent l'ennemi comme les portes fermées attirent les voleurs. » Du reste, M. de la Tournelle, au lieu de craindre le parti de la guerre, s'inquiétait de l'affaiblissement de l'esprit militaire et de l'infériorité à laquelle pourraient nous faire descendre l'affaiblissement, le dépérissement de nos institutions militaires, et il le craignait dans l'intérêt de la paix; car si nous sommes moins forts, nous serons moins respectés et non moins fiers sans doute, mais plus susceptibles; il y aura une irritation permanente, une chance permanente, un danger permanent pour la paix.

Les considérations que fit ensuite entendre M. Janvier portèrent spécialement sur l'équivoque que semblait avoir jeté dans les débats le discours du maréchal Soult. Il importait de convenir que les travaux d'exécution auraient lieu simultanément dans le sens que la commission avait donné à ce mot.

M. le ministre des affaires étrangères pénétra dans la question politique plus avant peut-être qu'aucun orateur ne l'avait encore fait. Il avait compris que la Chambre croyait à l'utilité, à la nécessité des fortifications, mais qu'elle avait des doutes, des inquiétudes sur les résultats; elle n'en prévoyait pas clairement la portée et les effets; elle craignait que cette mesure ne devînt l'instrument d'une politique autre que celle qu'elle approuvait et qu'elle voulait soutenir. Ces inquiétudes ne sont point fondées, disait le ministre. Les

fortifications de Paris seront pour la France et pour l'Europe une garantie de paix ; et depuis 1818, toutes les fois que cette mesure a été discutée, elle l'a été dans un esprit de paix, au nom de la politique de la paix; elle a toujours eu le caractère de la politique défensive. Et ce n'est pas seulement la France, c'est l'Europe qui, depuis 1814, a adopté le système de la politique défensive et se conduit d'après cette vue. Mais elle s'organise très-fortement dans ce système; elle ferme toutes ses portes, elle s'établit sur toutes les routes par lesquelles nons pourrions entrer chez elle. Nous ne pouvons être moins prudents, et négliger de nous organiser, nous aussi, pour la défense. Quant à l'effet moral des fortifications, ce sera en France de rassurer les imaginations émues des souvenirs des invasions de 1814 et de 1815; à l'étranger, de détruire les espérances présomptueuses que ces derniers triomphes lui ont fait concevoir: Du même coup, la mesure atteignait un autre but; en mettant la capitale hors de cause, elle mettait le gouvernement, pour ainsi dire, hors de cause; si Paris est véritablement fortifié, le gouvernement fondé par la Chambre, le gouvernement de juillet sera mis hors de cause en Europe; on aura enlevé à l'Europe jusqu'à l'idée de venir renouveler contre lui les tentatives de destruction que nous avons déjà vues.

Mais en même temps que M. Guizot voyait dans la mesure une garantie de paix et de conservation, il y voyait encore un acte d'énergie morale, une preuve que la France a la ferme résolution de maintenir son indépendance et sa dignité, un acte de puissance matérielle, une preuve des immenses ressources militaires et financières du pays. Dans les circonstances actuelles, après les évènements qui venaient de se passer, «< c'était une bonne fortune qu'une telle mesure à adopter,» le ministre répétait ici les paroles de M. de la Tournelle; puis il ajoutait :

« Cette politique et ses effets n'ont rien de menaçant, ni pour les libertés

publiques, ni pour notre gouvernement; et si vous portez vos regards au dedans, comme je viens de les promener au dehors, la mesure ne vous offrira pas de caractère plus inquiétant. Vous le voyez, ce n'est pas une mesure de parti, ce n'est pas le triomphe du parti de la paix sur celui de la guerre, de la conservation sur le mouvement, du pouvoir sur la liberté, non, ce n'est pas une lutte de parti. (Très-bien!) Les opinions sont disséminées, divisées, sur tous les bancs de la Chambre. Je ne m'en afflige pas, je serais profondément fâché q'une mesure semblable fût une victoire des uns sur les autres. (Très-bien!) Il faut, pour son efficacité comme pour notre honneur à tous, qu'elle soit au-dessus de nous tous; il faut qu'elle obtienne, je voudrais pouvoir dire l'unanimité, mais au moins une grande majorité dans cette Chambre; tenez pour certain, Messieurs, que la paix sera d'autant plus respectée que la mesure que vous discutez sortira plus grande et plus unanime de cette Chambre. (Très-bien! trèsbien !)

» Un seul mot et je finis. Un homme dont j'honore autant le caractère que j'admire son talent, M. de Lamartine, s'est vivement préoccupé, quant à la mesure que nous discutons, de l'approbation qu'elle a paru rencontrer dans les partis extrêmes; il en a conclu qu'elle devait tourner à leur profit, et que nous devons la repousser. Je ne puis partager cette crainte; les partis extrêmes travaillent à s'emparer de tout; nous les rencontrons partout; nous les rencontrons dans les élections, dans la presse, dans la garde nationale, je ne veux pas dire à cette tribune...

Pourquoi pas? interrompit M. Joly.

«Je ne m'y refuse pas, reprit M. Guizol; c'est une preuve de plus à l'appui de ce que j'avais l'honneur de dire.

» Nous les rencontrons partout; partout ils travaillent à s'insinuer, à s'emparer de la force qui est devant eux. Est-ce une raison de nous méfier de tout; est-ce une raison de renoncer à tout, aux élections, à la tribune, à la garde nationale? Non, non !

>> Que les partis extrêmes s'efforcent autant qu'ils voudront, ils seront baltus partout. (Marques d'approbation.) Toutes nos institutions, par leur libre et complet développement, toutes nos institutions tourneront contre eux ce qui se passe depuis six ans m'en donne la complète assurance. Que les élections se fassent, que la garde nationale agisse, que la tribune parle, que la presse écrive, que les fortifications de Paris s'élèvent, toutes les forces tourneront contre les partis extrèmes. Ils y trouveront peut-être des champs de bataille, mais certainement des défaites. (Très-bien!)

>> Les fortifications de Paris, vous croyez que les factions s'en emparerout, vous croyez qu'elles s'y enfermeront: elles le tenteront peut-être,

Messieurs, et elles échoueront comme elles ont partout échoué jusqu'ici.

» J'ai encore plus foi que l'honorable M. de Lamartine et dans nos institutions, et dans le bon sens et dans l'énergie de mon pays. Je sais que c'est une condition laborieuse, rude; je sais qu'il en coûte d'avoir à se défendre contre l'invasion des factions et des brouillons: dans notre organisation sociale, il faut s'y résoudre, Messieurs ; c'est la liberté même; c'est à cette épreuve que les gens honnêtes, que les hommes sensés grandissent et deviennent les maîtres de leur pays.

» Soyez tranquilles, Messieurs, sur les fortifications de Paris, comme je le suis sur les élections, comme je le suis sur la garde nationale. Elles seront défendues, elles seront possédées par le même esprit de conservation et de paix qui, depuis dix ans, à travers toutes nos luttes, a prévalu dans toute notre histoire et qui fait notre gloire comme notre sûreté. » (Mouvement prolongé d'assentiment.)

M. Garnier-Pagès répondit avec amertume que les honnêtes gens sont ceux qui, dans la garde nationale, dans les élections, à la tribune viennent dire et soutenir ce qu'ils pensent, sans intérêt personnel; que les brouillons sont ceux qui trouvent mauvais, quand ils sont dans l'opposition, ce qu'ils ont trouvé bon quand ils étaient au pouvoir. L'orateur ne croyait pas que l'Europe eût besoin d'être rassurée, et savait très-bien que ce n'était pas contre elle que le projet de loi était présenté et soutenu. Oui, l'effet qu'on en entend est d'une nature tranquillisante pour l'Europe; ce que l'on veut, c'est de dénaturer l'esprit français, c'est de lui persuader que dans aucune circonstance, dans aucun cas, il ne doit songer à autre chose qu'à la guerre défensive. Il ne s'agit, en rassurant l'Europe, que de protéger la France, et non d'autre chose.

Mauvais pour la défense du territoire, le projet était encore dangereux pour la liberté. M. Garnier-Pagès invoquait l'autorité du maréchal Soult. « Il n'a pas voulu, ajoutait-il, qu'on pût dire qu'un militaire aussi distingué que lui, qui a fait tant de prodiges, qui s'est montré si habile lieutenant de Napoléon, il n'a pas voulu qu'on pût dire qu'il était arrivé un jour où il avait cru que les fortifications de Paris,

Ann. hist. pour 1841.

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