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bre et n'échappa point aux critiques de la presse opposante.

Aussi le lendemain M. Guizot demanda-t-il une modification au procès-verbal. Il voulait qu'il y fût constaté qu'au moment où il était descendu de la tribune, après avoir répondu à M. de Valmy, personne n'ayant demandé la parole, la chambre avait passé à son ordre du jour.

« C'est d'autant plus essentiel, ajouta M. Dupin, qu'il n'est jamais arrivé à la Chambre de voter après qu'un ministre a parlé, avant qu'on lui ait répondu, lorsque quelqu'un demandait la parole. Si personne ne la demandait, c'est donc un acquiescement général. » (Marques d'approbation.)

Le procès-verbal fut adopté avec cette rectification.

La question parut tranchée à tous les partisans du gouvernement, et les orages qu'elle avait soulevés se perdirent dans l'indifférence publique.

Comme il arrive chaque année, la Chambre des pairs se trouva saisie du projet de loi des budgets à une époque beaucoup trop avancée de la session pour pouvoir faire autre chose que de le contrôler, sous peine d'entraver les services publics.

La discussion du budget des dépenses fut courte et sans importance. Un rapport de M. Camille Périer, avait nettement exposé sous les yeux de la Chambre toutes les questions qui pouvaient faire voter le projet de loi. Le scrutin sur l'ensemble donna 95 voix contre 18 (18 juin).

Le rapport du budget des recettes avait été présenté par M. Delavillegontier. Un discours de M. Humann ouvrit le débat. Le ministre avait en vue de répondre à l'exposé de la situation financière présenté par M. Dubouchage à l'occasion du budget des dépenses. Il jeta un coup d'œil rétrospectif sur nos finances depuis 1830.

Un excédant de dépense de 923,370,000 fr. s'était produit dans les différents exercices. M. Humann attribuait ce découvert aux circonstances nées de la révolution; il avait d'ailleurs été soldé par le boni de 1829: les trésors

d'Alger, les emprunts, les ressources de la dette flottante. Aujourd'hui, ajoutait-il, nos finances se présentent sous un aspect favorable; les recettes, si l'amélioration continue, excéderont les prévisions législatives. Les six premiers mois donnent sur le dernier service un excédant de 20 millions et demi. Tout fait espérer que la bonification continuera et que nous aurons en 1843 un budget en équilibre.

L'orateur ne pouvait passer sous silence la question du recensement qui de jour en jour devenait plus menaçante, et rencontrait plus d'opposition. Ce n'était point une mesure fiscale, il ne s'agissait que de faire cesser des inégalités criantes, d'amener une répartition juste d'un impôt dont le chiffre est annuellement voté par les Chambres et ne saurait être accru par le gouvernement. Aujourd'hui plus de cent dix mille maisons échappaient à l'impôt, et un grand nombre de patentables avaient réussi jusqu'alors à se soustraire aux charges qui pèsent sur l'industrie. Le recensement n'avait pas d'autre objet que d'étendre comme il était juste l'application de la loi. Il pouvait même en résulter une diminution d'impôt, puisque le chiffre de chaque commune restant le même, le nombre des contribuables serait accru de tous ceux qui échappaient aux prescriptions de la loi.

On vota rapidement les différents articles du projet. On sanctionna le 7 juillet l'ensemble de la loi, et le lendemain les Chambres se séparèrent au milieu des préoccupations que soulevaient dans les esprits les difficultés sérieuses amenées par l'opération du recensement.

Résultats de la session. Un mot résume au point de vue politique, les travaux de cette session. La Chambre élective et comme elle la pairie n'ont voulu, ce semble, en acceptant les actes du ministère, que terminer la question d'Orient. Elles ont laissé dans l'avenir la poli

tique intérieure. Si cette conduite du parlement n'a pas absolument satisfait le ministère et moins encore les espérances des partis quels qu'ils fussent, elle a servi du moins pour l'élaboration des matières purement législatives les formes de la procédure d'expropriation privée ont été abrégées, et si, au point de vue philosophique, la législation en cette matière laisse encore à désirer, si le système hypothécaire attend à être mis en harmonie avec la rapidité et la mobilité de nos mœurs, du moins a-t-on porté la hache sur les complications qui embarrassaient l'abord de cette partie du droit, reste des formes anciennes, et que la révolution n'avait fait qu'entamer. De même la loi de 1833 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique, qui était elle-même déjà un progrès, un pas de fait pour la simplification de cette procédure éparse jusque-là dans des décrets ou des ordonnances qui ne s'accordaient pas toujours avec le pacte fondamental, cette loi a reçu, durant cette session, des améliorations nouvelles destinées à rendre plus facile l'action de l'administration, et, en même temps, à entourer les parties en cause, de garanties plus tutélaires. D'autre part, les Chambres ont tranché enfin, mais dans un sens restrictif, une question qui avait longtemps divisé la jurisprudence: Elles ont interdit les ventes publiques à l'encan; toutefois il semble que le partage sur cette question se soit étendu jusque dans l'enceinte législative, puisque les voix s'y trouvèrent en quelque sorte également divisées. On peut, en effet, se demander si cette interdiction absolue d'un mode de vente souvent abusif, il est vrai, n'est cependant pas une atteinte à la liberté du commerce proclamée à l'aurore de notre ère nouvelle. De même le doute plane sur une autre grande question : un projet tout entier sur la propriété littéraire a été présenté amendé et discuté, durant cette session, et cette longue élaboration n'a abouti qu'à un rejet. Ici encore, se

retrouve l'esprit que nous avons signalé : la Chambre des députés a reculé devant une innovation hardie, mais qui reviendra encore quelque jour, forte de son droit, frapper à la porte du parlement. La propriété littéraire est ancienne comme l'esprit humain; elle devance donc, dans l'ordre des temps, la propriété proprement dite; mais elle a réussi plus tard à se rendre sensible, palpable.

Autre fut le résultat des discussions sur le travail des enfants dans les manufactures, matière urgente qui soulevait encore des difficultés dans l'application. La loi sortit enfin cette année plus complète et plus praticable des délibérations de la législature.

La transition d'un ministère à un autre avait donné aux lois de finances et de crédits un caractère plus politique et dès lors plus animé qu'elles ne le comportent ordinairement. Néanmoins elles furent adoptées par les Chambres qui avaient hâte de relier le passé à l'avenir, et qui trouvaient d'ailleurs essentiellement utile l'emploi d'une partie de ces crédits à la fortification de Paris.

Présenté trop tard à l'une des Chambres, un projet qui touche à un objet de haute utilité publique, puisqu'il s'y agit, en quelque sorte, de la vie des citoyens, en un mot, une loi de recrutement qui pouvait rendre moins onéreux ce que l'on appelle l'impôt du sang, fut retirée par le ministre, qui paraissait en avoir fait son œuvre personnelle, et qui, en cette occasion, céda trop promptement peut-être à l'amour-propre de l'homme, au lieu de ne laisser parler que le devoir du ministre.

Et puisque nous venons de prononcer le mot d'impôt, nous terminerons ce rapide résumé en rappelant que les Chambres ont voté le projet quinquennal des douanes. Les lois sur cet objet se lient si étroitement aux relations des peuples entre eux, que c'est presque toujours à un examen des faits commerciaux et politiques plutôt qu'à des théories qu'il faut alors se livrer. C'est ce qui est arrivé durant cette session.

Ann. hist. pour 1841.

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CHAPITRE VIII.

Appréciation générale des évènements de l'année.-Affaire des lettres altribuées au roi.-Les journaux légitimistes. - Acquittement de la France. - Condamnation de la Gazette.-Explications de M. Guizot au sujet de l'Algérie.-Procès divers.-Le National traduit devant la Cour des pairs. -Condamnation. —Incident relatif à l'admission du prince de la Moskowa. -Baptême du comte de Paris. Condamnation de Darmès. — Mort de M. Garnier-Pagès. - Traité des détroits.-Troubles occasionnés par le recensement.-Toulouse. - Bordeaux. - Clermont-Ferrand. - Lille. — Question de concurrence.-Émeute à Mâcon.-Le 17′ léger.—Attentat Quénisset. Circulaire ministérielle. Nouveaux procès de presse. -Condamnation de Quénisset, Dupoty et consorts.-Protestation des journaux.

La crise terminée par le 29 octobre remuait trop profondément les esprits, les passions, pour ne pas provoquer une de ces puissantes réactions qui se manifestent tantôt en paroles dignes, modérées, témoins les écrits que nous avons signalés précédemment (MM. de Lamartine, Quinet, voy. Année 1840); tantôt en écrits ardents, irrités, d'une expression violente, et tombant pour ce fait sous le coup de l'accusation publique (nous avons nommé M. de Lamennais et, après lui, quelques autres dont nous aurons encore à parler suivant l'ordre des dates); enfin, souvent aussi cette agitation se produit en actes coupables et qu'on ne saurait trop flétrir, par exemple, l'attentat qui amenait Darmès devant la Cour des pairs. (Voy. Année 1840.)

Il résulte d'un tel état de choses que si les esprits sont excités, le pouvoir ne l'est pas moins; que si l'attaque est violente, la répression l'est également, et s'érige presque en système. C'est ce qui est arrivé durant le temps que nous venons de parcourir. A aucune époque les partis ne furent

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