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de ses faces, la conduite du cabinet dans ses relations avec le dehors, avec l'Espagne en particulier.

M. de Noailles entama le débat en pesant de toute sa parole sur le double danger qui résultait pour la France du voisinage d'un pays entraîné dans une voie révolutionnaire et anarchique, et de la prépondérance de l'Angleterre chaque jour croissant en Espagne, alors que la nôtre allait visiblement en dépérissant.

M. Guizot répondit, et la Chambre put croire que la pensée tout entière du gouvernement se trouvait dans les paroles du ministre, et qu'elles réfutaient suffisamment les observations de M. de Noailles : « Si le gouvernement de la reine Isabelle était menacé dans son existence; si la cause que la France a soutenue en même temps que l'Espagne la soutenait, si cette cause était menacée, le gouvernement verrait ce qu'il aurait à faire, et il ne déserterait pas la politique qu'il a suivie jusqu'à présent. Mais pour ce qui regarde les luttes de partis, de cabinets, l'administration intérieure d'Espagne, le gouvernement du roi... continuera à ne pas se mêler des querelles de partis, de cabinets; à laisser à l'administration intérieure de l'Espagne toute la liberté à laquelle elle a droit. >>

Rien n'était plus juste, assurément: après avoir laissé l'Espagne défendre sa révolution, il était politique, et de loyale politique, de lui en laisser suivre toutes les phases; «<le gouvernement actuel de l'Espagne étant, ajoutait M. Guizot, plutôt le gouvernement de droit que de fait, puisqu'il laissait intacts les intérêts de la reine Isabelle.>>

Le ministre des affaires étrangères niait ensuite l'autre conclusion du précédent orateur, à savoir, que la France eût perdu de son influence en Espagne: on n'est pas sans influence quand on offre un asile à tant de réfugiés, et de même des têtes couronnés; la France n'est pas non plus sans influence alors que l'Espagne se demande sans cesse ce que l'on dira, ce que l'on pensera en France.

A l'appui des craintes manifestées par M. de Noailles, M. de Brézé évoqua le fantôme de l'avenir; il tenait pour certain que si le gouvernement se contentait de laisser les évènements d'Espagne suivre leur cours, il verrait régler sans lui comme en Orient, des intérêts qui touchent de beaucoup plus près la France.

A cela près qu'il eût voulu que l'amnistie récemment publiée en Espagne eût été plus complète, M. de Fezensac, en lui donnant quelques conseils à ce sujet, approuvait la politique du ministère français.

M. de Montalembert saisissait mieux les difficultés sérieuses lorsqu'il s'inquiétait de l'esprit qui devait animer les Provinces-Basques, de l'irritation qu'y devait répandre la violation des stipulations du traité de Bergara. La France, ajoutait l'orateur, a payé assez cher le droit d'adresser à l'Espagne des avertissements sur les malheurs qui doivent suivre nécessairement un si déplorable système.

Une observation, ou plutôt une rectification incidente, de M. de Brézé amena la clôture de la discussion générale. On avait prétendu que le changement introduit dans l'ordre de succession par Ferdinand II n'avait donné lieu à aucune protestation. Or, l'ambassadeur (M. de Saint-Priest) avait protesté, sans être appuyé, répondit M. de Fezensac; et de plus, continua M. de Brézé, le duc d'Orléans, aujourd'hui roi des Français, avait demandé au roi Charles X et obtenu de protester en son nom privé.

M. Guizot releva plus explicitement le fait avancé par le préopinant. Le duc d'Orléans n'avait pas eu besoin de protester parce qu'il n'avait aucun intérêt à le faire, ses ancêtres ayant renoncé au trône d'Espagne.

3 boules noires sur 105 votants rejetèrent seules le crédit.

A la Chambre des députés (8 mai), M. de Larcy s'éleva surtout contre la disposition du projet de loi en vertu de laquelle, à partir du 1er juin, sauf un secours temporaire

de 400,000 fr. une fois accordé, il ne serait plus alloué de subsides aux réfugiés espagnols. N'eût-il pas été convenable d'attendre au moins que les sept mille individus tenus en dehors de l'amnistie y fussent enfin compris?

Le ministre de l'intérieur justifia le projet: il fallait profiter de l'occasion que préparaient les circonstances pour ôter aux subsides accordés aux Espagnols leur caractère de permanence.

La Chambre donna raison au ministère, en adoptant la loi ; 15 voix seulement se prononcèrent pour le rejet.

Au milieu des circonstances présentes, la grande question politique, dans le parlement, après celle de l'adresse, c'était la question des fortifications, résolue par le précédent ministère et sans le concours des Chambres.

Le 12 décembre 1839, le ministre de la guerre avait présenté son projet de loi sur cette matière. Il s'abstenait, disait-il dans l'exposé des motifs, d'apprécier le système qui avait été conçu par la précédente administration.

« Ce n'est pas, avait ajouté lé maréchal, ce n'est pas que j'aie abandonné l'opinión que j'ai été appelé à émettre sur la même question de fortifier Paris en 1831, 1832 et 1833; mais j'ai pensé que ce n'était point le moment de la reproduire; aussi je l'ai écartée avec soin, afin que la question se présentât tout entière devant la Chambre; mais en même temps je lui dois et je me dois à moi-même de déclarer que je fais expressément la réserve de cette opinion antérieure que ni le temps, ni les circonstances n'ont affai blie. »

La commission chargée de l'examen du projet choisit pour organe l'ancien président du 1er mars; M. Thiers présenta son travail à la séance du 13 janvier : le sujet fut exposé par lui avec une netteté extrême et avec tous les développements qu'il comportait.

Le rapporteur crut devoir tout d'abord appuyer le projet de fortifier Paris sur l'autorité de deux grands noms: Vauban

et Napoléon. Il fit ressortir les dangers qu'avait courus la France en 1792, les malheurs qui l'avaient frappée en 1814; dangers et malheurs que la fortification de la capitale. eût sans doute conjurés; et à cette occasion, M. Thiers rappela l'ordre imprudemment donné à Dumouriez, tourné par les Prussiens, de quitter la position qu'il occupait sur la frontière du nord pour venir protéger Paris. « Le général français n'en fit rien heureusement, car il eût perdu son armée, mais si Paris eût été fortifié, cet ordre, qui aurait pu être fatal, n'eût pas été donné. » Quant à la campagne de 1814, au milieu des admirables efforts de l'empereur, on voyait sans cesse la France sauvée si Paris avait été défendu, et la France perdue parce que Paris était resté découvert. « La leçon des évènements est telle, continuait le rapporteur, que nous serions sans excuse si nous ne profitions pas de la durée de la paix, durée inconnue à tout le monde, pour nous occuper enfin d'un intérêt national signalé à notre attention par de si grands évènements et de si grands esprits. >> Il est possible que la situation dans laquelle Paris peut être menacé renaisse encore. Depuis la première révolution jusqu'en 1815, elle s'est reproduite six fois; six fois l'Europe s'est réunie contre la France. Cet état d'antagonisme a cessé un instant sous la Restauration, parce que les puissances étrangères ont espéré alors que la branche aînée des Bourbons contiendrait les élans de la révolution. Depuis dix ans, le nouveau gouvernement élevé en 1830 n'a rien fait qui put justifier les hostilités patentes ou cachées de l'Europe; il a admis tous les traités existants; il n'a favorisé nulle part les tentatives populaires ; quand il a donné asile aux réfugiés des autres pays, ça été à la condition qu'ils ne troubleraient point leur propre gouvernement; au dedans, il a maintenu l'ordre et n'a donné aucun des spectacles reprochés à la révolution de 89. Et cependant, en ce moment-ci, il est seul encore en Europe comme du temps des coalitions de 1792 et de 1813.

Fallait-il s'irriter d'un tel état de choses, et pour en sortir troubler spontanément le repos du monde? Le rapporteur était loin de le croire; mais il fallait voir cet isolement avec fermeté, avec sang-froid. Il fallait examiner au juste les forces de la France, les organiser, non pas extraordinairement et pour un jour, mais, sérieusement d'une manière durable et qui s'accordât avec nos ressources financières, sans intention provocatrice. C'était le seul moyen de modifier la disposition morale et politique du monde à notre égard. La situation dans laquelle il importait que Paris fût fortifié n'avait donc rien de chimérique; il n'y avait rien d'extraordinaire à la prévoir, rien même de dangereux, si on le faisait avec calme, sans menace pour personne.

Il était nécessaire de s'y prendre avec suite, avec ordre et à l'avance; d'avoir un matériel longtemps accumulé, des cadres bien organisés, une armée toujours préparée à passer du pied de paix au pied de guerre; une réserve prête à la suivre, des gardes nationales disposées à donner à l'armée l'appui de la portion jeune et valide de la population; enfin, des travaux considérables sur le sol. « Ayez tout cela, disait M. Thiers, et vous n'aurez à regretter la puissance d'aucune époque. » Mais ces moyens devaient être préparés à l'avance; quand ils ne sont pas prêts, il faut les improviser; << on le fait mal, on le fait insuffisamment, on le fait tyranniquement. Cette prévoyance est surtout nécessaire pour les ouvrages de fortification; on n'improvise point des murailles. >>

Une objection pouvait être faite; on pouvait alléguer l'exemple de Napoléon lui-même, qui n'avait jamais tenu compte des places fortes et avait toujours marché droit aux capitales. «Mais il s'est chargé lui-même de la réponse, ajoutait M. Thiers, en soutenant que les places construites par Vauban avaient sauvé la France en 1792, qu'elles avaient ralenti l'invasion en 1814, et qu'elles avaient même influé sur les traités de 1815, et avaient contribué à les rendre moins malheureux. »

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